Le tournant cognitif en pragmatique. Un aller-retour transatlantique et ses imp
Le tournant cognitif en pragmatique. Un aller-retour transatlantique et ses impacts philosophiques Bruno Ambroise Dans Revue d'Histoire des Sciences Humaines 2011/2 (n° 25), pages 81 à 102 Éditions Éditions Sciences Humaines ISSN 1622-468X ISBN 9782361060237 DOI 10.3917/rhsh.025.0081 Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Sciences Humaines. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2011-2-page-81.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2011, 25, 81-102. Le tournant cognitif en pragmatique Un aller-retour transatlantique et ses impacts philosophiques Bruno Ambroise Résumé Ce texte a pour objectif de retracer une double évolution, historique et conceptuelle, au sein d’un champ disciplinaire récent : la pragmatique. Communément qualifiée « d’étude des effets du langage en contexte », celle-ci est née au milieu du xxe siècle des réflexions convergentes d’anthropologues et de philosophes sur l’aspect actif du langage, avant de devenir une discipline à part entière en se concentrant plus exclusi- vement sur les effets de compréhension obtenus par l’usage du langage en contexte. On est ainsi passé d’une considération – assez révolutionnaire – des capacités de modifi- cation du monde que le langage pouvait avoir à une étude centrée sur un simple élar- gissement de ce qu’il donne à comprendre en contexte. Nous soutenons, pour conclure, que cette évolution s’est accomplie au prix d’un oubli de l’activité même réalisée par le langage, qui est dommageable sur le plan conceptuel. Mots-clés : Actes de parole – Anthropologie – Austin – Conventions – Esprit – Grice – Intentions – Langage – Linguistique – Philosophie – Pragmatique – Sciences cogntives – Searle – Sperber & Wilson – Strawson. Abstract : The cognitive turn in Pragmatics. Philosophical consequences of a tran- satlantic round-trip This paper aims at retracing a twofold evolution, both historical and conceptual, which occurred in a recent scientific field : pragmatics. Often qualified as “the study of what language does in context”, it was born in the middle of the 20th century from the convergent thoughts of some anthropologists and philosophers concerning the actions accomplished by means of language. Then it became an independent academic disci- pline more exclusively focused on the cognitive effects of the use of language in context. The focus is thus gone from an – quite revolutionary – examination of the capacities language may have to modify states of affairs, to the mere analysis of the content it may convey in context. To conclude, we argue that this evolution took place after sacrificing the consideration of what the language does, which is probably a conceptual loss for the study of language. Key-words : Anthropology – Austin – Cognitive sciences – Conventions – Grice – In- tentions – Language – Linguistics – Mind – Philosophy – Pragmatics – Searle – Speech acts – perber & Wilson – Strawson. © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) 82 Revue d’Histoire des Sciences Humaines Introduction La pragmatique est une activité de recherche académique récente, au croisement de plusieurs disciplines, dont, principalement, la philosophie du langage (dont elle est originellement issue), la linguistique et, de plus en plus, les sciences cognitives. Jeune discipline dont on peut dater l’apparition sur la scène philosophique, puis scientifique, dans les années 1940-19501, elle consiste à rendre compte des phénomènes linguistiques qui ne sont pas explicables de manière purement « interne », c’est-à-dire qui ne semblent pas pouvoir se réduire à un pur fonctionnement linguistique, mais nécessitent le recours à une analyse de l’usage du langage (pour faire certaines choses). À ce titre, elle prend en compte différents paramètres externes au langage, que ce soit la situation de communication, les rapports d’interlocution, le statut des locuteurs ou les intentions et croyances de ces derniers – tous éléments qu’on regroupe souvent sous l’appellation « contexte ». Il s’agit ainsi pour elle d’expliquer le langage tel qu’il se déploie en usage, ou tel qu’on le pratique en situation2. Se développant, à l’origine, à côté et contre les recherches purement formelles, elle vise à rendre compte de toute la richesse des phénomènes du langage naturel, qui ne cadrent pas avec les explications logiques que la philosophie analytique issue du premier tournant linguistique (avec G. Frege et B. Russell) cherche à développer en se concentrant sur les aspects sémantiques et syntaxiques du langage3. Parmi ces phénomènes longtemps ignorés par la philosophie analytique du début du xxe siècle4, un des tout premiers à avoir été identifié est celui qui consiste, non pas seulement à dire des choses par le langage, mais à en faire – ce qu’on appelle le « speech act », indifféremment traduit par « acte de langage », « acte de parole », ou « acte de discours »5. L’idée, déjà présente chez Frege au travers de la notion de « force » d’une assertion, ou de « force assertive »6, traverse souterrainement la première moitié du xxe siècle dans des textes d’anthropologues7 et de linguistes pour se retrouver pleinement explicitée, de manière presque simultanée, par le philosophe J.L. Austin dans les années 1940 et par le linguiste E. Benveniste dans les années 19508 : c’est l’idée que le langage agit dans et sur le monde. Issue de cette « découverte », 1 On date souvent la pragmatique des premiers travaux de Ch. Morris (Morris, 1937) et de J.L. Austin (Austin, 1962). Voir l’introduction dans Nerlich & Clarke, 1996. 2 On peut aussi dire qu’elle consiste à expliquer non plus le seul phénomène de la « signification », ne nécessitant qu’un seul sujet parlant, sinon la langue seule, mais le phénomène de la « communication » au moyen de la langue, qui implique au moins deux sujets parlant, une situation, etc. 3 Sur cette histoire, voir Récanati, 1979. 4 Il convient en effet de noter que ces phénomènes spécifiques, ne relevant pas clairement de l’ordre de la sémantique ou de la syntaxe, avaient été explorés, pour certains d’entre eux, par la scolastique médiévale (voir Rosier, 1994 et Rosier, 2007) et par un certain versant réaliste de la phénoménologie (voir Reinach, 1913). 5 En réalité, la traduction n’est pas tout à fait neutre et renvoie à des choix théoriques distincts, notamment sur le point de savoir ce qui est efficace – ce qui a une efficacité proprement pragmatique : est-ce le langage, la parole (considérée comme l’usage, en situation, du langage), ou le discours (considéré comme un usage dialogique, donc accompli dans un contexte spécifique, du langage) ? Sur ce point, voir Vernant, 1997. 6 Voir Frege, 1919, et le commentaire de D. Vernant in « Genèse du concept d’assertion », in Vernant, 1997, 21-42. 7 De manière la plus explicite chez B. Malinowski. Voir Malinowski, 1935. 8 Voir Benvéniste, 1966. © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) © Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 25/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 38.25.15.209) 83 Bruno Ambroise la pragmatique s’est pourtant progressivement développée et institutionnalisée9, des années 1970 aux années 2000, en reléguant peu ou prou les études de ces effets linguistiques singuliers et en se concentrant sur d’autres effets, plus « cognitifs », relatifs à la compréhension et l’interprétation liées aux usages contextuels du langage dans la communication, tels les phénomènes de sous-entendus, d’argumentation dans la langue ou d’implications pragmatiques, qui sont tous plutôt redevables d’une analyse en termes de contenu, et non plus en termes de force, du langage. Il s’agira ici de présenter rapidement10 cette histoire, d’un point de vue essentiellement conceptuel11 – c’est-à-dire de retracer le processus par lequel la « théorie des actes de parole » s’est progressivement transformée en « pragmatique » (qui l’a intégrée comme une simple composante) et a, de ce fait, perdu une composante essentielle de son objet même, à savoir, pour présenter immédiatement les choses, la découverte par Austin des « performatifs » ou de « l’aspect illocutoire » du discours (l’idée, pour le dire grossièrement, que parler, c’est agir ; ou que « dire, c’est faire »12). Il s’agira de voir comment la pragmatique s’appuie désormais sur une compréhension très particulière du « faire » réalisé par le « dire », qui n’était précisément pas celle identifiée par Austin, puisqu’il entendait bien plutôt combattre cette conception même ! Il s’agira donc uploads/Philosophie/bruno-ambroise-le-tournant-cognitif-en-pragmatique-2011.pdf
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- Publié le Jan 25, 2021
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