« NOUS AURONS LA PHILOSOPHIE FÉROCE ». LES RÉVOLTES LOGIQUES, 1975-1981 Vincent
« NOUS AURONS LA PHILOSOPHIE FÉROCE ». LES RÉVOLTES LOGIQUES, 1975-1981 Vincent Chambarlhac Ent'revues | « La Revue des revues » 2013/1 N° 49 | pages 30 à 43 ISSN 0980-2797 DOI 10.3917/rdr.049.0030 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-revue-des-revues-2013-1-page-30.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Ent'revues. © Ent'revues. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Nous massacrerons les révoltes logiques. « Aux pays poivrés et détrempés ! – au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires « Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route !1 » « Démocratie » appartient aux poèmes politiques de Rimbaud ; écrit aux lendemains de la Commune, il porte la marque de son contexte quand « politique et histoire semblaient achevées, condamnées à être celles des Vainqueurs2 ». Prendre comme titre l’un ses vers dit le contexte qui préside à la naissance de la revue, soit le retour à l’ordre après Mai 68, une forme de restauration. Les Révoltes logiques auront contre ce contexte, « la philosophie féroce » en toute logique rimbaldienne décryptée, après-coup, par Jacques Rancière, l’une de ses chevilles ouvrières : « … révolte logique. Le texte, on le sait, dit : “Nous massacrerons les révoltes logiques.” Ce “nous” dont le patois étouffe le tambour, c’est celui des “soldats du bon vouloir”, des armées coloniales de la démocratie qui s’en vont aux pays poivrés et détrempés. Mais, bien sûr, nous entendons derrière le “nous” de majesté par lequel le poète se fait lui aussi massacreur de révoltes logiques, met fin à l’insurrection de son poème. (…) Vincent CHAMBARLHAC « Nous aurons la philosophie féroce » Les Révoltes logiques, 1975-1981 1. Arthur Rimbaud, « Démocratie », Les Illuminations. 2. Frédéric Thomas, « Rimbaud bolchevik » in Arthur Rimbaud, Poèmes politiques, Bruxelles : Aden, 2012, p. 40. 31 LA REVUE DES REVUES NO 49 © Ent'revues | Téléchargé le 16/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.165.164.62) © Ent'revues | Téléchargé le 16/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.165.164.62) Rimbaud a pris la langue au sérieux, il a pris “la réalité des choses” au sérieux. (…) Il a dit par avance adieu aux avant-gardes, aux ciseleurs de poèmes et aux chefs des partis de l’avenir glorieux, après avoir tenu sa partie, fait résonner le chant de l’obscure infortune dans la révolte logique de ses vers et de ses proses .3 » La courte trajectoire de la revue affirme cet adieu au gauchisme de Mai 68 dans l’une de ses variantes maoïstes. Au « on a raison de se révolter » de la Gauche prolétarienne, la revue substitue l’attention portée à la révolte. Elle forme le contrepoint de ce retournement intellectuel des années 1970, prélude aux muta- tions de la décennie 80 toutes entières vouées à la conjuration de Mai 684. Est-elle pour autant, comme l’affirme Kristin Ross, l’une des vies ultérieures de Mai ? Sans doute, ou peut-être, dans l’horizon d’une histoire conceptuelle de Mai. À cette lecture, on objectera qu’au plus près de ce que fut la revue, il s’agit moins de Mai et davantage d’une réflexion sur les lendemains d’un événement : un choix de l’intempestif, un refus de la continuité, soit la logique de la révolte contre la logique de la généalogie et ses discours d’ordre. Dans l’écart de la revue avec sa postérité intellectuelle, une époque se scande, toujours plus irréductible à ce Mai qui la précéda, toujours plus mélancolique pour qui l’aborde à rebours. Situer une revue. Le premier numéro des Révoltes logiques (Rl) paraît à l’hiver 1975 aux éditions Solin, la revue est l’émanation du Centre de Recherche sur les Idéologies de la Révolte (CRIR). Un court texte collectif paru dans Le Doctrinal de Sapience (lui- même édité par les éditions Solin5) au printemps 1975 manifeste de manière pro- grammatique les ambitions de ce centre créé en novembre 1974 par Jacques Rancière, Jean Borreil auxquels s’adjoint rapidement Geneviève Fraisse. Le CRIR est lié au département de philosophie de Paris VIII où travaille Jacques Rancière6, semble rattaché à la chaire d’Histoire des systèmes de pensée du Collège de France 3. Jacques Rancière, « Les révoltes logiques » in La chair des mots. Politiques de l’écriture, Paris : Galilée, 1998, p. 83-84. 4. François Cusset, La décennie. Le grand cauchemar des années 80, Paris : La Découverte, 2006. 5. Le Doctrinal de sapience est la revue d’un collectif de philosophes, attachés à la défense de la discipline dans le contexte – notamment – de la loi Haby. Cf. Christopher I. Fynsk, « Legacies of May : On the Work of Le Doctrinal de Sapience » in MLN, Vol. 93, no 5, Comparative Literature (Déc. 1978), p. 963-971. 6. Geneviève Fraisse, « À Contre-Temps », in Genre & Histoire , no 2 | Printemps 2008, mis en ligne le 13 juillet 2008, consulté le 20 juillet 2012, http://genrehistoire.revues.org/index233.html 32 LA REVUE DES REVUES NO 49 Vincent CHAMBARLHAC © Ent'revues | Téléchargé le 16/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.165.164.62) © Ent'revues | Téléchargé le 16/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.165.164.62) tenue par Michel Foucault. L’amarrage universitaire renseigne peu la dynamique de fondation de la revue. Signé de Jacques Rancière, Jean Borreil, Geneviève Fraisse, le programme dans Le Doctrinal de sapience s’achève sur l’urgence de la nécessité d’un bulletin afin de diffuser les travaux du CRIR et surtout multiplier les échanges « notamment avec les chercheurs “sauvages”»7. Les Rl seront ce bulle- tin. Le collectif de la revue8 à l’origine comprend, outre Jean Borreil, Geneviève Fraisse et Jacques Rancière, Pierre Saint-Germain, Michel Soulerie, Patrick Vauday, Patrice Vermeren. Sept donc, rejoints par Serge Cosseron, Stéphane Douailler, Christine Dufrancatel, Arlette Farge, Daniel Lindenberg, Philippe Hoyau, Danielle Rancière. Le contexte renseigne davantage la dynamique de naissance des Rl. Elle tient à l’effondrement du maoïsme que symbolisent les funérailles de Pierre Overney (4 mars 1972) ; la revue paraît dans la foulée de la publication par Jacques Rancière de La leçon d’Althusser (1974). Le philosophe donne là quitus de l’althussérisme de sa jeunesse incapable de se saisir de la pluralité des luttes de la décennie 1970. Lip vaut symbole de ce que ce marxisme ne peut étreindre : « L’affaire Lip, si elle a révélé la profondeur que pouvait atteindre la subversion dans la pratique et la pensée de ces ouvrier(e)s et employé(e)s qu’on disait si respectueux, a aussi montré l’impuissance radicale des mou- vements gauchistes à propager cette subversion, à en faire le principe de formes nouvelles d’organisation de la révolte. Début sans doute d’une figure nouvelle de la subversion mais fin en tout cas des grands discours totalisa- teurs du gauchisme. Fin, si l’on veut, de l’opposition des petits mondes communistes au grand. Le temps de la concurrence est fini, le temps de la récupération peut enfin se déployer.9 » Ce temps déployé de récupération, que dénonce également le programme du CRIR, vise autant le travail de refondation intellectuelle du Parti socialiste à partir du rimbaldien Changer la vie (1974) dont la dynamique accouche en 1977 du discours de Michel Rocard sur les « deux cultures » où Marx se ravaude à partir de Proudhon et Jaurès10, que les tentatives d’élucidation de Mai 68 par le PCF, 7. Geneviève Fraisse, Jean Borreil, Jacques Rancière, « Le Centre de Recherches sur les Idéologies de la Révolte, définition des objectifs… », Le Doctrinal de Sapience, no 1, Troyes, Printemps 1975. 8. Ariane Revel, Les Révoltes Logiques. Un cas de collectif de recherche, entre 1975 et 1985, Mémoire de Master 2, Paris 1, soutenu en septembre 2010. 9. Jacques Rancière, La leçon d’Althusser, Paris : Gallimard « Idées », 1974, p. 217-218. 10. Vincent Chambarlhac, « Les deux cultures : l’histoire du socialisme dans l’affrontement partisan », Séminaire « Marx au XXIe siècle », 10 décembre 2011, http://vimeo.com/33533944 . Consulté le 25/03/2012. À paraître. 33 LA REVUE DES REVUES NO 49 LES RÉVOLTES LOGIQUES (1975-1981) © uploads/Philosophie/ vincent-chambarlhac-philosophie-feroce-revoltes-loguiques.pdf
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- Publié le Jul 30, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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