L'Unité de l'œuvre de Rousseau Author(s): Pierre Burgelin Source: Revue de Méta

L'Unité de l'œuvre de Rousseau Author(s): Pierre Burgelin Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 65e Année, No. 2 (Avril-Juin 1960), pp. 199- 209 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40900488 Accessed: 25-12-2016 02:52 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale This content downloaded from 132.236.27.217 on Sun, 25 Dec 2016 02:52:49 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms L'Unité de l'œuvre de Rousseau Le statut paradoxal du philosophe tient à ce double trait qu'il cherch à établir une science, mais que celle-ci se présente sous la forme d'une œuvre personnelle, qui ne se fond pas dans l'anonymat collectif. L'acte philosophique prétend viser la vérité en ce qu'elle a d'universel, do d'acceptable en droit pour tout esprit libre. Son caractère polémiq naît de l'effort difficile pour briser l'obstacle de l'imagination ou habitudes intellectuelles. Un dialogue perpétuel s'instaure au sein cet univers des philosophes où aucune grande voix ne cesse jamais com plètement de se faire entendre. D'où cette conclusion, toujours vérifié que le dernier interlocuteur, notre contemporain, prétend clore enfin le débat, mais se voit à son tour mis en accusation pour toute l'inertie inexprimée que son langage implique et dissimule. L'homme s'exprime, il ne saurait composer sans choisir un point de vue qui, par définition exclut toutes les perspectives différentes. Une doctrine est seulement une vérité, celle de quelqu'un, que l'on confrontera avec toutes le autres. Une philosophie a un style. Son auteur a une conscience plus ou moins nette du rôle de sa personne comme medium de la vérité. Tel semble s'effacer et se laisser mener par l'ordre des raisons, au sein d'une lumière intellectuelle toute pure. Tel autre accepte que son/ moi, avec toutes ses richesses, soit inévitable et central, que la contingence d'une expérience impose les problèmes et réfracte la vérité. Chacun pourrait être défini par sa tension entre ces deux pôles : une personne complexe, jamais absente de son œuvre et l'exigence de l'universel. En d'autres termes, une pensée peut toujours être rapportée à un sujet qu'elle mahifeste et à un dessein que le sujet poursuit. Elle se réfère à la fois à une décision et à une certaine situation de la culture, à des motivations et à une pro- blématique, elle enrichit notre connaissance des hommes et apporte une note originale à la tradition philosophique. 199 This content downloaded from 132.236.27.217 on Sun, 25 Dec 2016 02:52:49 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Pierre Burgdin L'œuvre de Rousseau porte cette ambivalence à son point extrême et a déconcerté par là nombre de ses lecteurs. Le sillage laissé par elle dans notre histoire occidentale ne suffit pas à nous éclairer. Elle a con- tribué à créer une nouvelle espèce d' « âmes sensibles », ouvertes à la pitié, à l'amour, à la nature, à la religion. Elle a nourri des réformateurs politiques, excité la réflexion sur la philosophie de la morale et de l'his- toire, bouleversé la pédagogie. D'elle naissent aussi bien un rapport neuf entre l'écrivain et son public qu'une compréhension nouvelle des rela- tions humaines et sociales. Pour Rousseau lui-même, toutes ces richesses si diverses ont une unité. Dans la réflexion tardive des Dialogues, il se présente expressément comme l'auteur d'un « système », dont Emile est la clef. Dès le Discours sur V Inégalité, il voit que la science de l'homme n'existe guère encore, il prétend apporter à son développement une contribution. A propos du Contrat social, il reconnaît l'importance déci- sive des travaux de Montesquieu, mais croit devoir combler un vide en élaborant les fondements de la science politique. Après Fénelon et Locke, il faut chercher les bases d'une science de l'éducation encore à faire. A la lumière de ces indications, il ne semble pas douteux que le dessein avoué de coordonner toutes ces tentatives est philosophique. Malheureusement, ou heureusement, Rousseau ne s'est pas contenté du système. Il a, si j'ose dire, vendu la mèche. Il a tout livré, tout avoué : qu'il lie péniblement ses idées, que l'imagination le guide et que ses passions entraînent sa raison, que ses doctrines doivent satisfaire ses propres besoins. Derrière ses ouvrages les plus objectifs, il nous laisse entendre et même il dévoile, une existence dont il nous offre les misères, les joies, les rêveries et finalement le délire. Non, il ne joue pas le jeu et détruit l'illusion du penseur pur, il témoigne contre VitUellectus sibi permissus, contre la stabilité de la raison fidèle à elle-même, fondement de l'œuvre philosophique. Au contraire, il dénonce chez ses confrères la cohérence de systèmes qui ne manifestent jamais qu'originalité recher- chée, désir de paraître, besoin de succès. Il se présente, dès lors, en poète, en visionnaire, en prophète peut-être, en tous cas en homme qui veut s'exprimer et non en philosophe qui se bat avec les idées et se laisse contraindre par elles. Brisant la façade rationnelle, il dévoile un débat existentiel, qui n'est pas le privilège des doctes, mais constitue, en cha- cun de nous, la difficulté et la raison de vivre. Les innombrables travaux sur Rousseau ont donc toujours oscillé entre ces deux aspects : ou ils concernent l'homme, l'écrivain, et notent l'incohérence symptomatique de l'œuvre, ou ils analysent et discutent une doctrine, en mettant la psychologie de l'auteur entre parenthèses. L'accent est tantôt sur l'enseignement politique ou social, tantôt sur le témoignage intime. Nous avons la chance que divers livres récents se réfèrent à l'une et l'autre perspective, et que leur indiscutable impor- tance nous oblige à considérer à nouveau le conflit. 200 This content downloaded from 132.236.27.217 on Sun, 25 Dec 2016 02:52:49 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Vunité de Vœuvre de Rousseau Auparavant, il convient dene pas omettre de signaler une publication qui fait honneur à la collection de la Pléiade : l'édition critique des œuvres de Rousseau. C'est la première et elle s'imposait. Nous vivons encore dé la piété des héritiers directs de Rousseau, mais depuis près de deux siècles, la collation des manuscrits, la mise au jour de nombreux inédits contraignaient à ce travail. Si certains textes ont été excellemment publiés, l'éparpillement des découvertes est tel qu'on devait les regrou- per. Le seul volume paru aujourd'hui, par les soins diligents de MM. Ray- mond, Gagnebin et Osmond, rassemble les écrits intimes et offre un ins- trument de travail désormais indispensable. Non seulement le texte est sûr et complété par de nombreux fragments, mais il s'accompagne de préfaces et de notes qui mettent à notre disposition tout ce que des générations d'érudits ont minutieusement établi 1. En même temps, deux ouvrages importants ont tenté de nouvelles interprétations. L'un, en français, est dû à M. Starobinsky, l'autre, en allemand, à M. Martin Rang *. L'art du lecteur est de découvrir les mots clefs qui s'insinuent dans un texte comme par mégarde. Ils paraissent insignifiants, mais l'insis- tance de leur retour manifeste discrètement les intentions les plus pro- fondes de l'auteur. Ils créent comme une atmosphère autour du pur développement des idées. M. Starobinsky a relevé ceux de transparence et d'obstacle, les images concernant le voile et le dévouement. Il parcourt l'œuvre en tous sens pour en déceler les échos. Sans aucun doute, il a mis en lumière une motivation essentielle, une expérience fondamentale de la sensibilité et de la pensée de Rousseau. Si l'on se souvient de l'im- portance que celui-ci accorde aux conditions atmosphériques de l'exis- tence, à la lumière, au décor, on ne s'étonne pas qu'une méditation sur cette transparence, qui nous ouvre l'accès aux profondeurs, nous con- duise aux exigences authentiques de sa pensée. Le philosophe de Male- branche tire les rideaux de sa fenêtre pour que rien ne disperse son esprit attentif, ne l'écarté des beautés intelligibles. Mais lé Vicaire savoyard conduit son disciple sur une colline au soleil levant, parce que le soleil devient pour lui une sorte de sacrement, d'image sensible du Dieu ordon- nateur qui nous regarde. Et Rousseau a souvent évoqué son horreur physique de l'obscurité, des ténèbres que son angoisse délirante utilise pour décrire son impression d'être enveloppé par une conjuration impé- nétrable. Le dualisme de la transparence et de l'ombre symbolise l'oppo- sition du bien et du mal. Ainsi notre condition sociale nous a fait passer de la perméabilité originelle des hommes les uns aux autres, dans la (1) Œuvres complètes de J. J. Rousseau, tome I, Gallimard, 1959. (2) Jean Starobinsky, Jean- Jacques Rousseau, la iransparence et ruostacle, Pion 1958. Martin Rang, Rousseaus Lehre vom Menschen, Vandenhoeck et Ruprecht, Göttingen, 1959. 201 This content downloaded from 132.236.27.217 on Sun, 25 Dec 2016 02:52:49 UTC All uploads/Philosophie/burgelin-l-x27-unite-de-l-x27-oeuvre-de-rousseau.pdf

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