53 Éducation & formations n° 80 décembre 2011 ] Méthodes internationales pour c
53 Éducation & formations n° 80 décembre 2011 ] Méthodes internationales pour comparer l’éducation et l’équité L’ équité est devenue une dimension incontournable de l’analyse des systè- mes éducatifs aussi bien au niveau international que national, et dans la sphère de la recherche comme dans celle du politique. Au-delà de simples consi- dérations éducatives, l’équité renvoie à des enjeux sociaux très importants : nul ne conteste que l’école doit être juste et équitable. Cependant, l’équité apparaît comme une notion complexe : dérivée du principe d’égalité, l’équité peut être définie comme la « disposi- tion de l’esprit consistant à accorder à chacun ce qui lui est dû »1. Cette première définition met en évidence la difficulté inhérente à ce concept : contrairement à l’égalité, l’équité est normative. Comment, en effet, définir en éducation ce qui est dû à chacun et comment évaluer si un système y réussit ou non ? Tout travail qui cher- che à apprécier l’équité des systèmes éducatifs doit se positionner sur ces deux points et les réponses données ne sont pas équivalentes. Loin d’être anodine, la posture choisie dépend de valeurs sous-jacentes relatives à la disparité entre individus et au concept de justice. Quand la dimen- sion comparative entre pays s’ajoute, il devient primordial de pouvoir expli- citer et comprendre quelles contrain- tes guident la production d’indicateurs statistiques sur ce thème. L’ÉVALUATION DE L’ÉQUITÉ : DES APPROCHES MODELÉES PAR LES ENJEUX NATIONAUX Deux conceptions de l’équité sco- laire sont généralement distinguées : le principe d’égalité des chances et celui d’inclusion. Dans un objectif d’égalité des chances, l’école doit per- mettre que chacun réussisse en fonc- tion de son mérite et l’appartenance à un groupe ne doit pas handicaper, ou favoriser, la réussite scolaire. Dans un idéal d’inclusion, il s’agit surtout de supprimer les phénomènes d’ex- clusion créés par l’école, en particulier l’échec scolaire, pour parvenir à une intégration de tous les élèves dans leur diversité. Si ces deux approches peuvent sembler complémentaires, L’évaluation de l’équité scolaire : perspectives nationales et internationales Estelle Herbaut Consultante Direction de l’éducation, Organisation de coopération et de développement économique Dérivée du principe d’égalité, l’équité consiste à accorder à chacun ce qui lui est « dû ». Ce concept est donc normatif et les conceptions de l’équité scolaire dépendent notamment du lieu et de l’époque considérés. Comment, dès lors, les comparaisons internationales peuvent-elles éclairer les situations nationales d’équité ou d’inéquité scolaire ? Cet article cherche à expliciter le mode d’élaboration des évaluations internationales de l’équité en éducation et des informations qu’elles produisent. Pour cela, les différentes conceptions de l’équité scolaire, leurs traductions en mesures et en évaluations, et l’interprétation de leurs résultats sont interrogées. Il est ainsi possible de mettre en évidence les contraintes qui accompagnent les évaluations internationales de l’équité pour permettre une interprétation la plus rigoureuse possible de leurs résultats. NOTE 1. Dictionnaire de l’Académie française : http://www.cnrtl.fr/defi nition/equite Éducation & formations n° 80 [ décembre 2011 ] 54 l’accent mis sur l’une ou sur l’autre se traduit par des politiques scolaires différenciées, voire contradictoires. D’un pays à l’autre, des différences apparaissent dans l’importance accor- dée à la problématique de l’équité sco- laire, dans les conceptions de l’équité mobilisées et dans l’identification des groupes jugés vulnérables. Meuret (2008) [1] note qu’« en France, depuis la seconde guerre mondiale, […] il allait de soi qu’une école équitable était une école où les enfants des différentes classes sociales auraient une probabilité égale d’accéder aux sommets du système scolaire. » Le principe d’égalité des chances conserve ainsi un statut d’évidence en France et plus particulièrement pour la question de l’influence du milieu social. Cela n’est pourtant pas le cas dans tous les pays. L’encadré ci-contre sur les objectifs assignés à l’éduca- tion par les législations française et finlandaise illustre ainsi différentes conceptions de l’éducation en général et de l’équité en particulier. Le Code de l’éducation français précise explicitement que le but de l’éducation est de favoriser « l’égalité des chances ». Dans ce but, des aides sont attribuées aux étudiants en fonc- tion de leurs ressources ainsi qu’aux écoles des zones défavorisées. Cela illustre parfaitement l’idéal d’égalité des chances mis en œuvre par un prin- cipe de compensation : des inégalités de traitements sont mises en place, ici une répartition des ressources en faveur des plus défavorisés, pour per- mettre de concrétiser l’objectif d’éga- lité des chances. La vision de l’équité en Finlande semble à l’inverse correspon- dre à l’idéal d’inclusion dans sa dimen- sion d’égalité de réalisation sociale. Ainsi, l’éducation a pour mission de favoriser « l’égalité dans la société » en permettant aux élèves de développer « une personnalité aux talents variés » et la « capacité à apprendre ». En pers- pective, il faut favoriser l’éducation et le développement « tout au long de la vie ». La comparaison entre les textes français et finlandais illustre le fait que Objectifs de systèmes éducatifs et différentes visions de l’équité • France : Article L 111-1 du Code de l’éducation2 « L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. Outre la transmission des connaissances, la Nation fi xe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. L’école garantit à tous les élèves l’apprentissage et la maîtrise de la langue française. Dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels met- tent en œuvre ces valeurs. Le droit à l’éducation est garanti à chacun afi n de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. Pour garantir ce droit dans le respect de l’égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l’éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale. Elle a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établisse- ments d’enseignement situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé, et de permettre de façon générale aux élèves en diffi culté, quelle qu’en soit l’origine, en particulier de santé, de bénéfi cier d’actions de soutien individualisé. L’acquisition d’une culture générale et d’une qualifi cation reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. » • Finlande : – Basic Education Act, section 23 (1998) « L’objectif de l’éducation auquel se réfère cet acte est d’aider les élèves à croître en humanité et à devenir des membres éthiquement responsables de la société ; il est aussi de leur fournir les connaissances et les compétences nécessaires à la vie. De plus, le but de l’éducation préprimaire, en tant que composante de l’éducation de la petite enfance, est de développer la capacité des enfants à apprendre. L’éducation promouvra la civilisation et l’égalité dans la société et permettra aux élèves d’acquérir les moyens de poursuivre leur éducation et d’une manière générale de se développer durant leur vie. » – Upper Secondary Schools Act (1998, cité par Robert, 2008) « L’objectif de l’éducation secondaire supérieure générale est d’aider les élèves à devenir des individus bons, équilibrés, cultivés et intégrés dans la société, et de leur fournir les compétences et les connaissances nécessaires à la poursuite de leurs études, à leur future vie professionnelle, à leurs intérêts personnels et au développement d’une personnalité aux talents variés. Par ailleurs, l’éducation favorisera la capacité des élèves à apprendre et à se développer tout au long de leur vie. » NOTES 2. Disponible en ligne : http://www. legifrance. gouv.fr/affi ch Code.do? cidTexte= LEGITEXT000006071191 & dateTexte = 20100902 3. Disponible en ligne : http://www.fi nlex.fi /en/laki/ kaannokset/1998/en19980628.pdf Thème 55 Éducation & formations n° 80 [décembre 2011 ] la rhétorique de l’équité est au centre des fondements des systèmes scolai- res, mais qu’elle peut y être exprimée très différemment. L’objectif d’égalité des chances, en tant que fondement des sociétés démocratiques modernes, est un élé- ment central dans de nombreux pays. Cependant, les groupes d’apparte- nance considérés comme pertinents pour vérifier sa concrétisation varient d’un pays à l’autre. Des chercheurs suisses notent que « depuis longtemps maintenant, le débat public en Suisse à propos de l’équité en éducation s’est concentré principalement sur les différences entre les hommes et les femmes et l’intégration des groupes ayant une expérience de migration » (Coradi Vellacott et Wolter, 2005) [2]. En France, nous l’avons dit, le débat s’est principalement focalisé sur les différences dues à l’origine sociale des élèves. En Espagne, l’intérêt pour les différences entre les régions est plus important, aux États-Unis les questions de « race et d’ethnicité » sont centrales depuis les années soixante (voir notam- ment Orfield, 2001) [3]. Le contexte et l’histoire de ces pays ne sont pas les mêmes et cela permet d’expliquer ces différences : en Suisse, 20,5 % de la population est étrangère, en Espagne les régions sont autonomes, etc. Ce qu’il convient uploads/Philosophie/depp-eetf-2011-80-evaluation-equite-scolaire-national-international-203298.pdf
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- Publié le Apv 12, 2021
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