THE FRENCH REVIEWN VOI LII, NO. 3, February 1979 Printf fl in U.S. A . Rencontr
THE FRENCH REVIEWN VOI LII, NO. 3, February 1979 Printf fl in U.S. A . Rencontre avec Roland Barthes par Nadine Dormoy Savage r s ET HOMME GRISONNANT A L ALLURE DISCRETE, au visage impassible, a la voix uniforme, dont le discours se veut non assertif, non arrogant, non dogmatique et surtout sans effusion, est l'un des etres les plus passionnes qui soient. Passion pour l'ecriture, d'abord, mais aussi sensibilite passionnee dans la perception et dans l'analyse, temoin son dernier ouvrage, Fragments d'un discours amoureux, publie aux editions du Seuil en 1977. Roland Barthes, a l'age de soixante-deux ans, a atteint l'apogee de sa carriere. Il est, depuis 1962, Directeur d'Etudes a l'Ecole des Hautes Etudes pour la "sociologie des signes, symboles et representations', et il occupe, pour la seconde annee consecutive, la chaire de semiologie litteraire creee tout specialement pour lui au College de France. Ce cours attire chaque semaine des centaines d'auditeurs, qui enregistrent soigneusement ses paroles sur des dizaines de cassettes et d'innombrables bloc-notes en provenance de tous les coins du monde. Assister a son cours, c'est vivre un moment privilegie qui se situe litteralement hors du temps, dans un espace ou tout est remis en question et ou pourtant tout trouve sa place dans ce vaste panorama qu'il dessine patiemment a petites touches successives, et ou il nous invite a reconnaitre nos propres fantasmes, c'est-a-dire notre langage. "La litterature moderne digne de ce nom ne peut etre qu'interrogation", avait-il ecrit dans ses Essais critiquesl. Sa demarche} aujourd'hui encore, continue a etre un exercice methodique et individuel de deflation de tous les mythes de notre societe. Les ideologies de droite ou de gauche qui secretent chacune son langage propre, tout en s'attribuant le monopole de l'objectivite, sont renvoyees dos a dos par Barthes, qui leur a donne un nom: les ideospheres. Parmi elles regne l'ideologie dominante, ou doxa, qui reve d'ordre et d'unite, qui confond la nature avec l'usage, et qui reduit le monde en essence pour l'immobiliser. C'est par la linguistique, la critique structuraliste et la psychanalyse que Barthes a demontre, tout au long de son cPuvre, le parallele qui existe entre la position de l'ecrivain vis-a-vis du langage et celle de l'etre humain en face du monde. "Il y a une impasse de l'ecriture, et c'est l'impasse de la societe meme"2. La linguistique, pour Barthes, est donc deja une philosophie, mais elle ne fait que commencer: "La linguistique entre dans l'aurore de son histoire: nous avons a decouvrir le langage comme nous sommes en train de ' Paris: Editions du Seuil, 1964. ' Le Degte zf r(l de l'ef ritlxre IParis;: Editions du Seuil, 1953). 432 433 RENCONTRE AVEC ROLAND BARTHES / )KN:)as : ROLAND BARTHES (Photo Daniel Boudinet) 434 FRENCH RENZlEW decouvrir l'espace. Notre siecle sera peut-etre mrarque de ces deux explora- tions":3. Nous avons demande a l'illustre auteur des Mythologies4, dont la rigueur intellectuelle n'a d'egale que l'absolue simplicite, de bien vouloir faire le point, entre deux cours, sur ses preoccupations actuelles. Q. Vous avez declare, dans un de vos cours au College de France, que le probleme du langage, ce n'est pas de se faire entendre ou de communiquer, mais de se faire reconnaltre par l'autrwe. R. Ce n'est pas une position tres personnelle, a vrai dire. C'est une position qui resume tout un debat, tout un mouvement de type epistemologique. En general, les linguistes se considerent comme des savants qui etudient la communication. Certains linguistes ont affirme cette finalite de la linguis- tique avec une certaine arrogance. I1 etait interdit a la linguistique de s'interesser a tout ce qui n'etait pas communication. C'est-la position, par exemple, d'un linguiste comme Mounin. C'est une vue epistemologique qui reduit le langage a une pure activite de communication, a quoi s'opposent effectivement tous les developpements actuels de la logique, de la philosophie et de la psychanalyse. L'etre humain est absolument consubstantiel au langage. Le langage n'est pas une sorte d'instrument, d'appendice que l'homme aurait "en plus" pour lui permettre de communiquer avec son voisin, pour lui demander de lui passer le sel ou d'ouvrir la porte. Ce n'est pas ,ca du tout. En realite, c'est le langage qui fait le sujet humain, l'homme n'existe pas en dehors du langage qui le constitue; le langage est un perpetuel echange, aucun langage n'est monologique. I1 n'y a pas de monologue, car meme quand nous croyons parler seul dans notre tete, en realite nous nous adressons toujours d'une fa,con plus ou moins hallucinee a un autre, ou a l'Autre qui est la et qui nous entoure. I1 faut ajouter a ce point de vue-qui n'est pas un point de vue subjectif de ma part, qui represente vraiment un mouvement de pensee actuel-que c'est tout le symbolisme, avec toute la richesse du mot, qui est dans le langage. Le symbolique, ce n'est pas simplement une activite de communication, c'est la realisation de l'humain qui est dans l'homme. Quant a se faire reconnaltre, cela veut dire que quand je parle, je ne peux pas parler sans avoir une certaine idee, une certaine image de l'autre a qui je parle, une image de ce qu'il attend de moi, de ce qu'il est lui-meme. J'essaye de prevoir comment il va accueillir ce que je dis, comment il me juge, etc. Moi-meme, pendant que je fais cela, je le juge, et quand il m'ecoute, il essaye aussi de concevoir l'image que j'ai de lui, de ce que son silence va signifier, etc. Disons que dans le langage, il y a un echange d'images. La linguistique structurale a ete pendant trente ans, et c'etait necessaire, une analyse stricte des donnees de structure du langage, en tant que structure combinatoire d'unites. Maintenant, les linguistes et les :$ "Situation du linguiste", La Quinzaine Litteraire, 15 mai 1966. 4 Paris: Editions du Seuil, 1957. ) Le dernier ouvrage de Georges Mounin est intitule La Litterature et sex technocrates (Paris: Castermann, 1978 ). RENCONTRE AVEC ROLAND BARTHES 435 gens qui s'interessent a la linguistique ont tres bien compris que Jca ne suffisait pas, et que dans le langage il y avait autre chose qu'on devait commencer a etudier. Qu'est-ce qui se passe reellement, et pas seulement dans l'abstrait, qu'est-ce qui se passe quand deux etres parlent entre eux? Le mouvement est parti certainement de la philosophie oxfordienne, des philo- sophes anglais qui ont reflechi sur le langage'i. Cela a ete relaye par certaines formes de logique, et aussi, beaucoup, par la psychanalyse: le langage comme echange d'images, comme echange, effectivement, de reconnaissances. Quand je parle, je demande a etre reconnu par l'autre, quoi que je dise. La linguistique doit s'occuper un peu de cet echange de places, des places evidemment implicites, souvent inconscientes et naturellement tres difficiles a demeler. Mais il est certain que le langage ne sert pas seulement a communiquer; il sert a exister, tout simplement. Q. Le sujet de votre cours, cette annee, est 'Le Neutre". Or, vous avez ecrit dans Essais critiques: "Nul ne peut ecrire sans prendre parti passionnement sur tout ce qui va et ne va pas dans le monde". S'agit-il maintenant d'une tentative de retrait ou de desengagement de votre part par rapport a vos demarches precedentes? R. Le Neutre n'est pas un desengagement systematique, un retrait. I1 essaye de chercher des modes nouveaux et un peu inouis d'engagement: un engage- ment morcele, un engagement discontinu, un engagement inattendu, un engagement par oscillation. J'ai un peu aborde tout cela dans le cours. Au fond, le Neutre, c'est ce qui n'est pas systematique, donc un retrait qui serait systematique ne serait pas du Neutre. Q. Vous avez decrit le Neutre, entre autres choses, comme le temps du "pas encore", comme une traversee, comme un temps suspendu, comme un masque, un ecran contre une certaine angoisse. I1 me semble que beaucoup de gens se reconnaltraient dans cet etat d'esprit. Pourtant vous continuez, meme dans le Neutre, a prendre parti, dans la mesure ou vous utilisez l'ecriture? R. Personne ne se debarrasse de cette contradiction, personne ne peut vraiment la resoudre. Je le vois dans les theses de Doctorat du Troisieme Cycle que je dirige. Bon nombre de ces travaux consistent a denoncer le caractere ideologique de certains discours, de certaines tuvres. C'est souvent tres juste, tres justement conduit, analyse, mais on est oblige de denoncer l'ideologie des autres avec un discours qui est finalement lui aussi ideolo- gique. Cela produit une espece d'impasse, qui est la notre a tous. Nous avons une conscience tres vive de l'ideologie des autres, mais nous n'arrivons pas a trouver un langage libre de toute ideologie, parce que cela n'existe pas. Je dis que parmi tous les langages, l'ecriture, c'est-a-dire le travail de l'enonciation a partir du modele litteraire, si vous voulez, c'est encore le discours ou il y a le moins d'ideologie, parce que c'est le discours ou il y a le moins d'arrogance et aussi le moins d'imposture. L'ecriture ne se met pas sous l'instance de la fi Les philosophes dont il est question ici xont uploads/Philosophie/file-000124.pdf
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- Publié le Apv 08, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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