Revue de synthèse : 6e série, 2015, p. 33-74. DOI 10.1007/s11873-014-0265-8 BAC

Revue de synthèse : 6e série, 2015, p. 33-74. DOI 10.1007/s11873-014-0265-8 BACHELARD ET LA PULSATION MATHÉMATIQUE René Guitart * Résumé : Le mathématicien au travail sait faire un geste que l’on appelle la « pulsa- tion mathématique », qui s’exprime en termes de bougé créatif nécessaire dans les diagrammes de pensée et d’interprétation des écrits mathématiques. Dans cette pers- pective le statut d’objet est définitivement en révision, sous condition du jeu des rela- tions. Le but ici est de construire aujourd’hui cette pulsation à partir de ce que Bache- lard proposait hier comme épistémologie, aussi bien de la mathématique que de la science dite physique mathématique. Les liens entre la pensée bachelardienne et les propositions plus récentes de Gilles Châtelet, Charles Alunni, ou René Guitart, sont mis en relief ainsi que ceux d’autres auteurs comme Jacques Lacan, Arthur Koestler, Alfred N. Whitehead, Charles S. Peirce. Nous proposons que le travail mathématique soit pensable comme du mouvement dans l’espace des diagrammes, du bougé pulsatif en icelui, et que cette manière de voir soit éminemment compatible avec la vue bache- lardienne suivant laquelle la forme intellectuelle précède l’objet empirique, lequel provient in fine, comme d’une concrétion de la pulsation de la pensée. Nous terminons donc sur un schème catégoricien de la pulsation. Mots‑clés : pulsation, diagramme, abréviation, bisociation, geste, surobjet, exstance, rectification, obstacle. BACHELARD AND THE MATHEMATICAL PULSATION Abstract: The working mathematician knows a specific gesture named « mathemat‑ ical pulsation », a necessary creative moving in diagrams of thoughts and interpreta‑ tions of mathematical writings. In this perspective the fact of being an object is defi‑ nitely undecided, and related to the game of relations. The purpose of this paper today is to construct this pulsation, starting from the epistemology of Bachelard, concerning mathematics as well as mathematical physics. On the way, we recover links between * René Guitart, né en décembre 1947, est mathématicien, et a enseigné à l’université d’Amiens de 1968 à 1970, puis à l’université Paris Diderot - Paris 7 de 1970 à 2012. Ses recherches en mathématiques portent sur la théorie des catégories ; il a aussi été membre du CIPh, de 1992 à 1998, où il a dirigé un programme visant la portée philosophique de ladite théorie. Il travaille aussi sur la psychanalyse, l’épistémologie, l’histoire des sciences. En sus de ses articles mathématiques, il a publié deux livres : La pulsation mathématique (l’Harmattan, 1999) et Évidence et étrangeté (PUF, 2000). La plupart de ses écrits, mathématiques ou non, sont disponibles sur son site : http://rene.guitart.pagesperso‑orange.fr/. Adresse : IMJ‑PRG université Paris Diderot, bât. Sophie Germain, F‑75013 Paris France (rene.guitart@orange.fr). 34 Revue de synthèse : TOME 136, 6 e SÉRIE, N° 1-2, 2015 ideas of Bachelard and more recent specific propositions by Gilles Châtelet, Charles Alunni, or René Guitart. Also are used authors like Jacques Lacan, Arthur Koestler, Alfred N. Whitehead, Charles S. Peirce. We conclude that the mathematical work consists with pulsative moving in the space of diagrams; we claim that this view is well compatible with the Bachelard’s analysis of scientific knowledge: the intellectual or formal mathematical data preceeds the empirical objects, and in some sense these objects result from the pulsative gestures of the thinkers. So we finish with a categor‑ ical scheme of the pulsation. Keywords: pulsation, diagram, abreviation, bisociation, gesture, surobject, exstance, rectification, obstacle. BACHELARD E LA PULSAZIONE MATEMATICA Riassunto: Il working mathematician sa produrre un gesto che io chiamo “pulsazione matematica”, e che si esprime in termini di mossa creativa necessaria ai diagrammi di pensiero e d’interpretazione degli scritti matematici. In questa prospettiva, lo statuto di oggetto è definitivamente in riesame, sotto condizione di un gioco di relazioni. Oggi l’obiettivo è di costruire questa pulsazione a partire di ciò che ieri Bachelard propo‑ neva come epistemologia, tanto della matematica quanto della scienza detta fisica matematica. I legami tra il pensiero bachelardiano e le proposte più recenti di Gilles Châtelet, Charles Alunni o René Guitart, sono messi in rilievo e utilizzati; fra altri autori, sono ugualmente utilizzati Jacques Lacan, Arthur Koestler, Alfred N. Whitehead e Charles S. Peirce. In conclusione, proponiamo che il lavoro matematico sia pensa‑ bile come movimento nello spazio dei diagrammi, nella sua mossa pulsativa, e che questo modo di vedere sia eminentemente compatibile colla prospettiva bachelardiana secondo la quale la forma intellettuale precede l’oggetto empirico, il quale proviene, in fine, come dalla concrezione di questa pulsazione del pensare. Terminiamo su uno schema categorico della pulsazione. Parole chiave: pulsazione, diagramma, abbreviazione, bisociazione, gesto, sopra‑ oggetto, extanza, rettifica, ostacolo Cet article a été proposé par René Guitart à la Revue de synthèse à l’occasion de la préparation par Charles Alunni (Scuola normale superiore di Pisa / École normale supérieure de Paris) du dossier « Bachelard et les mathématiques », à paraître dans le n°1‑2/2015, « Philosophie et Mathématique », tome 136, 6e série. This article was proposed by René Guitart to the journal on the occasion of the preparation by Charles Alunni (Scuola normale superiore di Pisa / École normale supérieure de Paris) of a folder entitled “Bachelard and the Mathematics”, to be published in the Vol. 136 (1-2) 2015, “Philosophy and Mathematics”. Quest’articolo fu proposto alla rivista da René Guitart in occasione della prepa- razione da Charles Alunni (Scuola normale superiore di Pisa / École normale supé- rieure de Paris) del dossier intitolato “Bachelard e la matematica” da uscire nel Vol. 136 (1-2) 2015, “Filosofia e Matematica”. 35 R. GUITART : BACHELARD ET LA PULSATION MATHÉMATIQUE Comment les conceptions de Gaston Bachelard peuvent‑elles s’intégrer à la construc‑ tion de la « pulsation mathématique » ? René Guitart y répond par la traversée de huit perspectives. Perspective 1. Correction de l’objet. Ici la question essentielle est de différencier celle de la détermination de la mathématique comme science de l’idée bachelardienne de la mathématique conçue comme référent de la rationalité de chaque science. À ce propos l’auteur avance le concept oulipien de « plagiat par anticipation » qu’on pourrait parfai‑ tement appliquer à la conception bachelardienne. Il affronte ici initialement la question d’une « actologie » du travail mathématicien, éminemment représentée par la théorie des catégories qui vient prendre la place d’un questionnement sur les fondements, la vérité et l’être irriguant la théorie ensembliste. Perspective 2. Des gestes aux objets mathématico‑scientifiques. Le mathématicien opère toujours un geste fondamental appellé pulsation mathématique, mais qu’il faut comprendre et dont il faut rendre raison de ce qui le motive. C’est sous condition de la dialectique hégé‑ lienne et de la sémiosis peircienne, de la bisociativité kœstlérienne confrontées au surra- tionalisme bachelardien que se situe ce travail. La créativité mathématique réside dans le geste de production pulsative de diagrammes dont l’auteur propose plus loin un schème, et pose que de cela l’intuition épistémologique principale de Bachelard peut être rapprochée. De fait, ce que la pulsation invente, c’est, suivant cette perspective, une opération ou un espace qui sont l’objet de l’intérêt bachelardien. Perspective 3. Bascules et pulsations, et formes. À partir d’une reprise du motif de Gilles Châtelet sur le mouvement de pensée transversal à son propre développement, l’accent est mis sur l’idée de pulsation. Guitart insiste sur la posture actologique, positionnée contre l’ontologie et le dogmatisme conceptualiste, qui débouche sur la question d’une herméneu‑ tique singulière où il s’agit d’associer le calcul à la pensée. D’où la thèse : nous inventons des diagrammes et leurs sens sont leurs formes, thèse compatible avec Bachelard. Perspective 4. Herméneutique et méthode non‑cartésienne. L’auteur interroge ici le « non‑cartésianisme » bachelardien. Il n’y a pas de dualisme entre le sujet connaissant et l’objet, et l’idée qu’il y aurait d’abord des phénomènes simples est erronée. Le réel n’est jamais donné, il est construit. Au bord de la pulsation, Bachelard oppose, en échangeant les places du « stable » et de l’« instable », ce qu’on pourrait nommer un non‑cogito : « je ne pense à rien, donc je suis prêt à penser toute chose ». Dans cet envers du dispo‑ sitif cartésien, la méthode se précisera (Perspective 5) avec ce que Bachelard nommera la surveillance. Deviennent alors centrales les notions de relation et d’algébrisme que Guitart prolonge en termes de la théorie des catégories comme algèbre des actes mathématiques et comme actologie. L’acte mathématique à penser est désormais celui d’avancer les struc‑ tures par invention de diagrammes dans un lieu idéal d’expériences de pensées nommé Virtualité. Dès lors, une herméneutique du geste de pensée devient possible comme hermé‑ neutique de la pulsation Perspective 5. Pulsation et modèle définitif‑provisoire. L’obstacle bachelardien est occasion de pulsation, et avec Bachelard, on est à l’envers du réalisme : le geste promeut le surobjet. Il est montré que la pulsation a lieu en raison d’intuitions et qu’elle peut être sans issue résolutive, ne rien produire de nouveau : c’est une prise de risques. Elle peut se comprendre comme participant de l’approximation et de la révision ou du repentir au sens bachelardien. Mais elle ne s’y réduit pas : plus qu’une stratégie, elle est l’acte constitutif de la qualité même du geste mathématique. Est alors abordée la uploads/Philosophie/guitart2015-bachelard-e-a-pulsao-matematica.pdf

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