L'Homme et la société Les paradoxes d'Althusser Henri Lefebvre Citer ce documen
L'Homme et la société Les paradoxes d'Althusser Henri Lefebvre Citer ce document / Cite this document : Lefebvre Henri. Les paradoxes d'Althusser. In: L'Homme et la société, N. 13, 1969. Sociologie et philosophie. pp. 3-37. doi : 10.3406/homso.1969.1227 http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1969_num_13_1_1227 Document généré le 16/10/2015 études, débats, synthèses 1 les paradoxes d'althusser HENRI LEFEBVRE Que fut le stalinisme ? Un système. Rigoureux ? Certes. Ce précédent aurait dû alerter, armer les esprits contre toute systématisation. Il n'en est rien. Le système, plus que jamais populaire chez les intellectuels, bénéficie d'un préjugé favorable.. Plus que jamais l'intellect et l'intelligentsia spécialisée découvrent avec satisfaction leur image dans le miroir d'un système- Le contraste entre la conscience et l'image, entre savoir parcellaire et allure globale du système, est une source de joie. Pas de pensée sans système, et pas d'action. Qui n'a pas, qui ne tient pas, qui n'apporte pas un système, ne compte pas. On ne se demande même pas si l'effort de systématisation théorique poursuivi consciemment ou non dans le cadre du système social et politique déjà là ne risque pas de renforcer ce système ou de le légitimer en lui apportant un « certificat philosophique de bonne conduite » (Marx). Chaque tendance systématique promet l'unité du réel et du rationnel, l'intelligible et le transparent, c'est-à-dire le principe de la satisfaction ! Le stalinisme n'aurait-il été que le premier en date des systèmes philosophico-politiques, infléchissant vers la dureté rigoureuse une pensée marxiste encore libérale et humaniste ? Devrait-il se comprendre comme le premier-né d'une lignée, comme un système-pilote ? Ainsi s'expliquerait ce fait étrange, surprenant et aveuglant : le peu d'efforts pour analyser le stalinisme et pour s'en deliver. Ce phénomène d'époque ne saurait être compris par une époque qui en procède, qui vit dans la « mimesis » et dans l'obsession de la foi perdue, qui cherche à reconstituer le miroir avec ses débris. Les staliniens et néo-staliniens ont eu raison de voiler le délire sanglant et la rationalité de ce délire, en ne parlant que « d'erreurs » et de « fautes ». Le stalinisme est un système philosophico-politique. Il rend présent, dans une dure actualité, un absolu politique. Il se place au delà de la philosophie, car 4 HENRI LEFEBVRE il la réalise. Ainsi pour Hegel, la philosophie s'accomplit dans et par l'Etat : sa philosophie légitime cet Etat dont elle est la théorie. Le stalinisme, ce fut et c'est encore Phégélianisme en acte ; les staliniens furent et restent des hégéliens de droite. Pour ses partisans, le système philosophico-politique n'achève pas seulement la philosophie en la menant jusqu'à la perfection et en la faisant entrer dans la praxis ; il accomplit l'histoire. Vers lui convergent l'éthique et l'esthétique, la morale du travail quotidien et celle des héros, le réalisme et la bonne conscience dans l'art. Il unit et cimente le droit avec les murs, les groupes dans l'Etat. Ici commencent les ennuis du système. S'il se passe de légitimation historique, s'il ne prend pas position, s'il cherche à s'imposer par la seule contrainte, personne ne discutera son « fondement ». Il aura un « fondement » fictif : la rationalité et un « fondement » réel : l'autorité, dissociés à l'instant exact où il affirmera l'unité (en lui et par lui) du réel etvxlu rationnel. Par contre, s'il prend position, s'il veut se légitimer, il devra à la fois se présenter au nom d'une histoire, ou de l'Histoire, et désavouer cette histoires. Le passé compromet, et le recours au passé engage ; se reconnaître une' descendance, c'est se situer dans le relatif. Les philosophes ont toujours procédé ainsi ; ils ont extrapolé à partir du relatif pour légitimer leurs ambitions dogmatiques, leurs prétentions à l'absolu. Le dernier maître et le dernier modèle, Hegel, a dévoilé le procédé en le perfectionnant, en le publiant (en le rendant public ! ) Si la philosophie veut se reconstituer sur un « fondement » immuable, elle doit écarter simultanément les accusations d'idéologie, de philosophisme, de relativisme. Elle ne peut restaurer un dogmatisme qu'en apparaissant non dogmatique. Elle doit multiplier les précautions, pour jouer à nouveau le double rôle du système philosophico-politique : opposer aux assauts un boucher, aux assaillants un barrage, et permettre les manuvres tactiques, les contre-attaques brutales ou perfides. Mais ne serait-ce pas une bonne définition de l'idéologie, système de représentation élaboré pour servir ? pour inventer et justifier les tactiques ? Il faudrait dès maintenant développer le concept d'idéologie, concevoir l'idéologie non- idéologique, c'est-à-dire l'idéologie qui sait se présenter, qui se présente au nom du pur savoir dégagé des scories historiques ; au nom de la non-idéologie. Déjà menaçant, le paradoxe est là, qui attend l'allégresse dogmatique restaurée pour l'abattre. En effet, ce caractère, « l'idéologie non-idéologique », ne serait-ce pas le trait commun aux idéologies d'une époque qui traverse la critique et la crise des idéologies ? Mais il suffit de le formuler pour que la construction s'effondre. Le dogmatisme stalinien a toujours condamné les uvres de jeunesse de Marx. Il y a toujours vu le prélude, le préalable encore idéologique à la pensée marxiste qui transcendait ses antécédents II autorisait seulement une discussion scolastique sur la date à laquelle la pensée marxiste se sépare, dans la vie et l'uvre de Marx, de l'hégélianisme. Où se situe la coupure ? Qu'est-ce qui est transition et qu'est-ce qui est rupture ? a) Pour le vieux stalinisme, la coupure radicale, décisive, qui a tranché le temps en un avant et un après cette coupure est philosophique. Elle marque la fin de l'idéalisme et de la prédominance idéaliste dans l'histoire de la LES PARADOXES D'ALTHUSSER 5 philosophie, c'est-à-dire la fin d'une domination dans la pensée des classes puissantes économiquement et politiquement. Marx rompt avec Hegel lorsqu'il définit le matérialisme historique et dialectique. Ce dogmatisme stalinien n'évite pas certaines difficultés qui l'ont ruiné. Qu'advient-il, si l'on marque ainsi la césure, de l'idéalisme objectif, celui des grands philosophes rationalistes,celui de Hegel lui-même ? Comment Marx a-t-il pu sauver la dialectique, dépasser sans le détruire le concept hégélien de l'histoire, après une telle rupture ? Comment éviter la rechute vers un matérialisme primitif, vers une philosophie simplifiée de l'objet et de la chose ? La suite a montré qu'effectivement, malgré Lénine et ses «Cahiers», la menace n'était pas vaine d'une trivialité qui irait en s'accentuant ; l'auto-satisfaction de la philosophie bureaucratisée l'a rendue objet de mépris et de dégoût universels. b) Pour .le dogmatisme renouvelé par la pensée dite structuraliste, c'est-à-dire pour L. Althusser, la coupure n'est pas moins absolue. Mais elle est épistémologique. On ne passe, pas d'une philosophie de classe à une autre philosophie de classe (encore que ce caractère puisse par la suite se récupérer), ni de l'ignorance au savoir, ni d'un moindre savoir à un plus grand, mais de la non-science à la science. Entre le « vécu » incertain et informe et la pensée structurale, il y a rupture. La décision tombe, voilà le temps coupé en deux. Il y a en effet un point et un instant de la fondation. La « fondation » de la théorie marxiste, date décisive, implique et enveloppe une révolution théorique. Marx a inauguré la révolution théorique, la nouvelle science et la nouvelle philosophie, mais il ne les a pas « fondées ». La nouvelle science commence avec le Capital mais se confond encore avec la nouvelle philosophie, jusqu'à ce que l'auteur (Althusser) les discerne en en montrant le fondement (cf. Pour Marx p. 25 & sq.) Les mots « coupure épistémologique » désignent la démarche par laquelle un « objet » scientifique posé comme tel se dégage du contexte dans lequel il n'était ni problématisé, ni thématisé, ni conçu selon des catégories élaborées. Marx aurait appliqué cette démarche à un « objet » très important (la plus-value et le mode de production capitaUste. Cf. également Lire le Capital, t. II, « l'Objet du Capital », pp. 9-185). Peut-on attribuer à Marx une révolution théorique s'il est exact que toute pensée scientifique suit cette procédure ? S'il a vraiment accompli une « révolution théorique », la coupure ne devrait-elle pas se révéler plus radicale, plus totale qu'une coupure « épistémologique » ? Quoi qu'il en soit, cette mise en persective évite quelques inconvénients des premières propositions. Elle met en avant la scientificité alors que l'historicité, qui a beaucoup déçu, perd son prestige ; elle annonce la reconstruction de la philosophie de la « théorie » au heu de la tenir pour accomplie. Elle ne va pas sans difficultés : les mêmes. Que devient la dialectique, méthode et réflexion théoriques, si l'on affirme que Marx n'a jamais été hégélien, que l'hégélianisme du jeune Marx (y compris la théorie de l'aliénation) n'est qu'une idéologie, le mythe d'un incertain « vécu » ? Comment s'accomplit le passage d'une structure (de pensée ou de réalité historique) à une autre, si l'on met l'accent sur la cohérence et la suffisance des structures ? si l'on rejette la notion de passage ? La substitution d'un discontinuisme au continuisme de la uploads/Philosophie/henri-lefebvre-les-paradoxes-d-x27-althesser.pdf
Documents similaires










-
33
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 01, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 3.3622MB