La Consolation de la philosophie Boèce Publication: Source : Livres & Ebooks LI
La Consolation de la philosophie Boèce Publication: Source : Livres & Ebooks LIVRE PREMIER < !– –> 15 abrité clés mon adolescence : la Philosophie. « Quel motif, m’écriai-je, te fait descendre du ciel, ô toi, la mère de toutes les vertus, et t’amène dans la solitude de mon exil ? Veux-tu donc, toi aussi, t’exposer avec moi à la persécution et aux accu- sations calomnieuses ? - Pouvais-je t’abandonner, répondit-elle, toi , rnon élève , et ne pas réclamer ma part du rude fardeau sous lequel on t’accable, en haine de mon nom ? Quelle honte si la Philosophie désertait la cause d’un innocent ! Quoi ! je craindrais la calomnie ! Est-ce un malheur si nouveau que j’en doive frissonner de peur ? Crois-tu donc qu’avant toi la sagesse n’ait jamais été persécutée par le vice ? Dans les temps reculés, avant l’avénement de mon Platon, n’ai-je pas dû, plus d’une fois, tenir tête aux assauts de la sottise Et du vivant même de ce grand homme, est-ce que Son maître, n’a pas, avec mon aide, glorieusement triomphé d’une injuste mort ? Plus tard, la séquelle d’Épicure ; celle du Portique, une foule d’autres encore, se disputèrent à l’envi son héritage’. Je réclamai, je résistai : ils me saisirent moi-même comme un lot du butin ; c’est alors qu’ils déchirèrent la robe que j’avais tissée de mes mains, et que, s’imaginant me posséder tout entière, parce qu’ils m’avaient arraché ces haillons, ils se dispersèrent. Les voyant affublés de quelques lambeaux de mes habits, les ignorants les prirent pour des gens de ma maison. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux furent transformés en sages par la sottise d’une multitude profane. « Je veux bien que l’exil d’Anaxagore’, la ciguë de Socrate, la torture subie par Zénon, ces crimes commis hors de ton pays te soient restés inconnus ; mais les Canïus, mais les Sénèque, mais les Soranius’‘=, ont vécu dans un temps assez rapproché, et leur nom est assez célèbre pour due tu puisses avoir entendu par- . 17 ler d’eux. Eh bien ! sais-tu ce qui les perdit ? C’est que, imbus de ma mo- rale, on les voyait s’écarter en tout des pratiques des méchants. Cesse donc de t’étonner, si dans cet océan de la vie nous sommes de toutes parts assaillis par les tempêtes, nous qui nous proposons avant toute chose de déplaire aux scélé- rats. « Leur armée est nombreuse, il est vrai, mais elle n’est pas redoutable, parce qu’elle n’a pas de chef et qu’elle se laisse égarer par la passion, çà et là, sans règle 1 et sans plan arrêté. Que si, par hasard, elle s’avance en meilleur ordre et se dis- pose au combat, notre chef à nous retire ses troupes dans la citadelle, et l’ennemi ne peut que perdre sa peine à piller quelques bagages inutiles. Du haut de nos remparts, nous le voyons en riant se partager un butin sans valeur, et, à l’abri de toutes ces fureurs désordonnées, nous jouissons de notre sécurité derrière nos re- tranchements inaccessibles aux approches de la sottise. »VII Donne à ta vie une règle certaine ; Mets sous tes pieds les arrêts du Destin ; De la Fortune ose affron- ter la haine ; A ses faveurs oppose ton dédain. Ton âme alors bravera la tempête, Les vents, la foudre éclatant sur le faîte1)es tours de marbre et des palais crou- lants’, Et le Vésuve, alors que son cratère Bouillonne, éclate, et vomit sur la terre Des flots de lave arrachés de ses flancs. 19 Quoi ! des tyrans te font trembler ! Courage Bannis la crainte et l’espoir de ton cœur, Impunément tu riras de leur rage Leur impuissance égale leur fureur. Mais l’orgueilleux que l’ambition tente, 1,efférniné que la mort épouvante, Voilà celui qui vend sa liberté ! De ses deux mains il a forgé sa chaîne ; Sans bouclier, sous le joug il se traîne, Fier ? de sa honte et de sa lâcheté. VIII « Comprends-tu ces vérités, dit-elle, et pénètrent-elles jusqu’à ton cœur ? Ou es-tu comme l”âne dvant la lyre ? Pourquoi ces gémissements ? pourquoi ces pleurs qui baignent ton visage ? Parle et mets à nu toute ton âme. Tu ne peux attendre de soulagement du médecin qu’en .lui découvrant ta blessure. »Je rassemblai tout mon courage et je répondis u Qu’est-il besoin de t’instruire des rigueurs dont la Fortune m’accable ? Ne sont-elles pas assez visibles ? L’aspect seul de ces lieux n’est-il pas assez élo- quent ? Est-ce là cette bibliothèque, ce sanctuaire de ma maison, que toi. même avais choisi comme un sûr asile, et où si souvent nous avons discouru ensemble de la science des choses divines et humaines ? Étais-je aussi défait de corps et de visage, lorsque je sondais avec toi les secrets de la nature, lorsque, le compas à la main, tu m’initiais aux révolutions des astres, lorsque tu donnais pour règle à ores pensées et à rna conduite la haute raison qui gouverne le ciel ? 21 « Est-ce là le prix de ma déférence à tes instructions ? C’est toi pourtant qui as proclamé cette maxime par la bouche de Platon : qu’heureuses seraient les répu- bliques si elles étaient gouvernées par les sages, ou si ceux qui les gouvernent s’appliquaient à l’étude de la sagesse ’c. Tu as ajouté, toujours par la bouche de ce grand homme, que la raison qui devait déterminer les sages à prendre eu main les affaires", c’est que, si la conduite des cités était abandonnée aux méchants et aux pervers, il en résulterait un grand dommage et un grand péril pour les gens de bien. C’est sur cette autorité que je m’appuyais lorsque j’ai tenté d’appliquer à l’administration publique les principes que tu m’avais enseignés dates les loi- sirs de ma retraite. Tu sais, et Dieu, qui te met dans le eeeur des sages, m’est té- 2 moin avec toi que nul autre mobile ne m’a poussé aux charges publiques, que ma sollicitude pour tous les gens de bien. « Voilà la cause de mon divorce irréconci- liable et de mes luttes avec les méchants ; voilà pourquoi, dans l’indépendance de ma conscience, j’ai toujours, pour soutenir le bon droit, méprisé la haine des puissants. Que de fois n’ai-je pas reçu et paré le choc de Conigaste se ruant sur le patrimoine des faibles ! Que de fois n’ai-je pas arrêté Triguilla", l’intendant du do- maine royal, dans quelque déprédation, ou entreprise, ou déjà consommée ? Que de fois, lorsque des malheureux gémissaient sous les avanies sans nombre que leur infligeait impunément l’avidité des Barbares, ne les ai-je pas, à mes risques et périls, protégés de mon autorité ? Jamais personne n’a pu me faire déserter le bon droit au profit de la fraude. Quand les habitants des provinces voyaient leur fortune en proie aussi bien aux rapines des particuliers qu’aux exactions du fisc, je souffrais de leurs maux autant qu’ eux-mêmes. 23 « Dans une année d’affreuse disette, par une cruelle et inexplicable mesure, un édit de coemption avait été rendu qui devait ruiner la Campanie dans l’inté- rêt du bien public, je ne reculai pas devant un conflit avec le Préfet du prétoire ; je plaidai au tribunal du Roi, j’obtins gain de cause, et l’édit ne fut pas exécuté. « Paulin , homme consulaire, allait devenir la proie des chiens du palais ; déjà ils sollicitaient ses biens et les dévoraient en espérance ; je l’arrachai dle leurs gueules béantes. « Albinus, un autre consulaire, avait été décrété d’accusation ; il était condamné d’avance ; pour le soustraire au supplice, le bravai la haine de Cy- prien‘, son délateur. Te semble-t-il que j’aie amassé contre moi assez de colères ? A la vérité, je devais me croire d’autant plus en sûreté auprès des autres, que, du côté des courtisans,ma passion pour la justice ne m’avait ménagé aucune chance de salut. « Or, quels sont ceux qui m’ont dénoncé et abattu sous leurs coups ? Un Ba- sile, chassé jadis de la maison du Roi, et réduit à m’accuser pour payer ses dettes. Quant à Opilion et à Caudentius, leurs brigandages sans nombre et de toute sorte les avaient fait bannir par arrêt du prince ; ils refusèrent d’obéir, et cherchèrent un asile dans un temple ; le Roi, l’ayant appris, ordonna que si, dans le délai d’un jour, ils n’avaient pas quitté Ravenne, ils seraient marqués au front, puis expulsés de la ville. Pouvait-on les traiter plus durement, ? Eh bien ! ces misérables m’ayant dé- noncé, le jour même, leur accusation fut admise. Quoi donc ? ma conduite avait- elle mérité un pareil affront ? ou la condamnation qui avait frappé mes délateurs les avait-elle transformés en honnêtes gens ? Ainsi la Fortune n’a pas eu honte, je ne dis pas de l’innocence de l’accusé, mais de l’infamie des accusateurs 1 25 « Veux-tu savoir en somme de quel crime on m’accuse ? Ou dit que uploads/Philosophie/ boece-la-consolation-de-la-philosophie.pdf
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- Publié le Apv 19, 2022
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