André Hayen L'Être et la Personne selon le B. Jean Duns Scot. À propos d'un liv
André Hayen L'Être et la Personne selon le B. Jean Duns Scot. À propos d'un livre récent In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 53, N°40, 1955. pp. 525-541. Citer ce document / Cite this document : Hayen André. L'Être et la Personne selon le B. Jean Duns Scot. À propos d'un livre récent. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 53, N°40, 1955. pp. 525-541. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1955_num_53_40_4576 L'Être et la Personne selon le B. Jean Duns Scot A propos d'un livre récent (*> Duns Scot et saint Thomas d'Aquin « regardent tous deux l'être, le même être, mais ils n'y voient pas exactement la même chose, et le dialogue continue entre leurs disciples, parce que ce que l'un voit et voudrait faire voir à l'autre, il ne peut le lui dé montrer, mais seulement le lui montrer » a). Le livre monumental du thomiste de grande classe qu'est Etienne Gilson constitue une introduction indispensable à la con naissance de Duns Scot. Mais, disciple pénétrant et fidèle de saint Thomas, l'historien français de la philosophie médiévale est i ncapable de faire lui-même ce qu'il attend d'un vrai disciple de Duns Scot: nous montrer ce que Duns Scot voit et voudrait faire voir à saint Thomas d'Aquin. Cette tâche, interdite à tout vrai thomiste, le Docteur Heribert Muhlen vient de l'accomplir de main de maître. Nul auteur scotiste, à notre connaissance, n'a accompli de manière aussi rigoureuse, aussi profonde, aussi suggestive, l'oeuvre ici condensée en quelque 128 pages. Sein und Person nous paraît livrer véritablement la clé d'une intelligence objective de la profundior intentio du Docteur Subtil. Préparés par « l'introduction » d'Etienne Gilson. les tho mistes non moins que les scotistes tireront un incalculable profit de son étude et de sa méditation. Qu'il nous soit permis, pour <*> Heribert MOhlen, Sein und Person nach Johannes Duns Scotus. Beitrag zur Grundlegung einer Metaphysïk. der Person, clans Franzisk. Forschungen, 1.1. Heft. Un vol. 24x17 de XH-132 pp. Werl/Westf., Dietrich-€oelde Verlag, 1954; 12 Mks. M £. Gilson, Jean Duns Scot. Introduction à ses positions fondamentales. Etudes de Philosophie Médiévale, t. 42, Paris, 1952, p. 668. 526 André Hay en notre part, de dire à l'auteur notre vive gratitude. Il a vraiment travaillé et nous aide à travailler à notre tour dans la ligne tracée par Gilson aux toutes dernières lignes de son Jean Duns Scot: « Les théologiens ne travailleront jamais trop à se mieux connaître afin de se mieux comprendre, et c'est en avant qu'ils se rejoindront, dans la lumière, si nulle parole d'homme n'ose diviser ceux que la parole de Dieu a unis » (a). Dans cette union, à la lumière de la Parole divine qui l'opère, nous voudrions présenter brièvement le livre dont l'étude nous a ravi et instruit. L'interprétation du Dr Heribert Mûhlen est-elle rigoureusement fidèle à Duns Scot ? Toutes les vérifications que nous avons faites, dans la mesure très limitée de notre compétence, nous en donnent la persuasion (3). Mais, ici, nous laisserons la parole à de meilleurs juges. Ce qui est sûrement incontestable, c'est la consistance et la profondeur de la théologie présentée dans ces pages et de la méta physique de l'être et de la personne que cette théologie assume et achève. . L'exposé est extrêmement rigoureux, précis, mais sa clarté est « laborieuse ». Il nous paraît aussi intraduisible en français que Scot lui-même, sinon davantage. Le livre de Gilson, d'une clarté limpide, est déjà d'une lecture difficile. Et pourtant, il prétend n'être qu'une introduction. Allant au delà de cette introduction, pénétrant au coeur même de la pensée scotiste et de son organisation systémat ique, le Dr Miihlen se condamnait à un exposé d'accès bien plus difficile encore. D'une valeur philosophique hors pair, ce livre n'a pas une moindre valeur religieuse, malgré la grande sobriété de son ex pression. Il est dominé tout entier — on s'en aperçoit à la fin — par le Livre unique dont saint Thomas lui ausssi voulait se con tenter: la personne vivante de Jésus-Christ. La perspective dans laquelle l'auteur se place est excellente. Seule, elle permet de saisir la vraie pensée de Scot, la vraie struc ture rationnelle de sa métaphysique. Miihlen distingue soigneuse ment celle-ci de la théologie scotiste. Il n'en présente pas moins <a> Ibid., p. 669. <*) L'auteur n'a pas hésité a consulter les manuscrits pour ne faire état que d'un texte aussi correct que possible. Etre et Personne selon Duns Scot 527 cette métaphysique sous son véritable jour: assumée par la foi du Docteur subtil, éclairée et fortifiée, dans sa structure autonome, par la lumière de la théologie qui s'élabore en l'assumant. Dans sa communication au congrès international de Scolastique (Rome 1950), Etienne Gilson osait affirmer que « l'expérience fait voir que plus on les réintègre dans leurs synthèses théologiques, • plus les philosophies du moyen âge apparaissent originales » <4). La monographie du Dr Miihlen apporte une confirmation et une illustra tion éclatantes à cette thèse. Elle invite d'ailleurs à la pousser à fond : ce n'est pas seule ment l'originalité de la philosophie scotiste qu'on découvre en la réintégrant dans la théologie du Docteur subtil. C'est sa consistance même, sa cohérence rationnelle, autonome, l'unité organique d'une métaphysique de l'être s'achevant en une métaphysique de la per sonne. La différence entre deux formules donne un exemple de ce que nous venons d'annoncer: la définition philosophique de la per sonne est celle de Boèce : rationalis naturae individua substantia ; la théologique est celle de Richard de Saint-Victor: intellectualis naturae incommunicabilis existentia. C'est à la lumière de celle-ci que Duns Scot découvre et nous révèle la vraie portée et la struc ture rationnelle de celle-là. Nous allons tâcher de le montrer. * * * Pour présenter le plus sérieusement et le plus clairement pos sible ce magistral, mais difficile exposé, nous procéderons comme suit: rappel de trois coordonnées définissant sommairement la per spective de Duns Scot ; — exposé de la métaphysique scotiste en quatre étapes: l'être — application aux trois Personnes divines — application à l'Incarnation — application à l'homme ; — compar aison avec saint Thomas. I Perspective La pensée de Duns Scot n'est pas « inclusive » comme celle de (*> Antonianum, 1951, p. 44. Traduit en allemand en appendice à notre Thomas V. Aqain gestern und heute, Francfort, 1954, p. 111. 528 André Hay en saint Thomas ; elle est profondément réaliste, d'un « réalisme théo logique » ; on n'en peut comprendre la cohérence et la portée qu'en la considérant dans une perspective dynamique. 1. — On a signalé ailleurs la première de ces deux caracté ristiques (5> : maître incomparable de précision et d'exactitude, Scot est extrêmement soucieux de rigueur et de « pureté » dans les analyses et les démonstrations. Saint Thomas « distingue pour unir » ; lui distinguera plutôt « pour ne pas confondre ». C'est ainsi qu'il paraît séparer de l'intelligence divine qui connaît le possible, la volonté divine, principe dernier de l'existence individuelle (Miihlen, pp. 11 et 39). Et pourtant, pour lui aussi, le vouloir «suit» la connaissance (p. 11). Mais il nous semble que Scot s'est moins appliqué que saint Thomas ou que son récent interprète à penser cette résultance et ses implications (6). Vous objecterez peut-être que, là où saint Thomas admet une distinction réelle, Duns Scot ne voit, lui, qu'une distinction for melle: par exemple entre l'essence et l'existence actuelle. A cette objection, il faut répondre que, dans la perspective scotiste, la distinction formelle semble être « l'équivalent » de la distinction réelle de saint Thomas. 2. — La pensée de Scot est essentiellement réaliste. Ce réalisme apparaît, en première approximation, comme un réalisme des essences <7): le possible est antérieur à l'actuellement existant, comme l'intelligence est antérieure à la volonté, comme la « possi bilité logique » est antérieure à la puissance capable de la réaliser (p. 9). Mais ce réalisme des essences ne se comprend pas coupé de la théologie scotiste: le possible, c'est l'intelligible pensé par l'I ntelligence divine (p. 26) ; l'être est identiquement la relation de création (p. 64). Scot est ici plus radical que saint Thomas (8> à <*> Deux Théologiens: Jean Duns Scot et Thomas d'Aquin, dans Revue philosophique de Louoain, 1953, pp. 269 et 286. <*' Nous soulignerons plus loin la même opposition, en opposant la réflexion thomiste à l'intuition scotiste (n. 16). (T) Deux Théologiens, p. 243. <•> Qui affirme seulement que: esse quod rebus creatis inest, non poteat intelligi nisi deduotum ab esse divino (Pot. 3, 5, 1 et 5, 2, 2. Cf. De Malo, 16, 3, 7e objection). Etre et Personne selon Dans Scot 529 cause de sa conception de la relation transcendantale, étrangère à la métaphysique thomiste <9>. La réalité première et transcendante de Dieu domine le possible aussi bien que l'existant. 3. — On ne comprend pas davantage Duns Scot si l'on ne se place pas dans une perspective dynamique: l'emprise créatrice de Dieu sur le possible (l'essence) aussi bien que sur l'existence ac tuelle se uploads/Philosophie/l-x27-etre-et-la-personne-selon-le-b-jean-duns-scot.pdf
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- Publié le Jan 20, 2022
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