L'HOMME, UN PONT ENTRE DEUX MONDES : NATURE ET CULTURE Georges Chapouthier Asso
L'HOMME, UN PONT ENTRE DEUX MONDES : NATURE ET CULTURE Georges Chapouthier Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire » 2004/2 n° 23 | pages 99 à 114 ISSN 1283-7091 DOI 10.3917/phoir.023.0099 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2004-2-page-99.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Le Lisible et l'illisible. © Association Le Lisible et l'illisible. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Quelle est la place de cet être humain i nous-mêmes i fier de ses civilisations et de ses cultures, par rapport à une nature qui l®englobe et le nourrit, et dont l®animal est un élément marquant ? Pour certaines civilisations, il n®existe pas de limite nette entre les animaux et les hommes, voire les dieux (Chapouthier 1990 ; Chapouthier 2004). On y trouve donc souvent la représentation d®un animal humanisé, parfois divinisé ou, ce qui revient au même, d®un homme animalisé. Ces conceptions sont extrêmement répandues. Que l®on se rappelle les dieux de ®Egypte ou de l®Inde, pour ne citer que ces seuls exemples. On doit aussi leur rattacher la métempsycose, selon laquelle l®âme humaine peut se réincarner dans des corps animaux, croyance elle aussi très répandue, par exemple dans la Grèce antique ou dans les civilisations indiennes. Cette absence de frontières entre l®homme et l®animal a laissé de nombreuses traces dans la pensée occidentale, notamment dans la littérature ou dans l®art, lorsque les animaux parlent ou occupent des fonctions humaines. Dans la philosophie occidentale moderne, en revanche, la conception qui s®est dégagée se situe exactement à l®opposé : il existe une coupure radicale, une frontière insurmontable entre animalité et humanité. La philosophie de Descartes, poussée à l®extrême ou à la caricature par ses successeurs comme Malebranche, est à ce propos exemplaire. Pour Descartes, on le sait, le corps des animaux comme celui de l®homme est une machine. Mais l®homme, parce qu®il possède, en outre, une âme à l®image de Dieu (dualisme cartésien), échappe à son statut de pure machine et entre dans une autre dimension. Alors que l®animal, dépourvu d®âme, reste une simple machine comparable à un automate, un objet, à la discrétion de l®homme. A ®homme, le monde de l®esprit, de l®intelligence, de la culture. A la bête, le monde concret de l®instinct aveugle, de la bêtise, de la nature. Q © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.72.162.178) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.72.162.178) L’Humain 100 Deux conséquences majeures dérivent de ces positions cartésiennes (Chapouthier 2000) : un triomphe épistémologique et un désastre moral. En faisant du corps un système matériel, la pensée cartésienne rendait possible le développement de la biologie expérimentale, c®est-à-dire l®analyse des systèmes vivants conçus comme des systèmes strictement matériels. Mais à côté de ce triomphe épistémologique, on observe une autre conséquence (morale) très fâcheuse. Puisque les animaux n®ont pas d®âme, puisqu®ils ne peuvent donc entrer dans la dimension de l®humain, une coupure radicale existe entre les deux catégories, animalité et humanité, permettant à la seconde d®user et même d®abuser de la première. Un usage et des abus que ®être humain pouvait d®ailleurs étendre, à partir des animaux, à toute la nature. Petit roi du monde, l®homme pouvait en faire ce qu®il voulait. Or cette coupure absolue entre animalité et humanité a été progressivement ruinée par les développements même de la science biologique. Pour situer l®homme par rapport à l®animal il importe donc, à la lumière de la biologie d®aujourd®hui, de retracer l®histoire qui enracine ®homme dans l®animal et l®animal dans le cosmos (Chapouthier 2001). Alors peut-être pourrons-nous émettre quelques hypothèses sur la nature de ®homme, sans tomber, ni dans des présupposés métaphysiques qui postuleraient des dieux ou des métempsycoses, ni dans des présupposés anthropocentrés, qui verraient, par construction, l®homme comme le centre du monde. ®homme est (également, bien sûr) un animal La biologie actuelle repose sur la théorie de l®évolution, théorie selon laquelle les êtres vivants sont issus les uns des autres. L®accumulation de preuves, comme les fossiles, à l®appui de cette théorie i évidemment non directement reproductible en laboratoire, du fait des échelles de temps qu®elle implique i a convaincu presque tous les penseurs d®aujourd®hui (Dennet 2000). Il ne reste plus guère que quelques intégristes religieux pour se payer encore le ridicule de refuser l®origine animale des êtres humains. Mais si la théorie de l®évolution rend compte de cette origine, comment expliquer ®apparition, au fil des temps, d®êtres plus complexes que ceux qui existaient avant ? Qu®est-ce que qui permet l®émergence de cette complexité dont l®être humain participe ? Dans un récent ouvrage (Chapouthier 2001), j®ai proposé une réponse à ces questions. J®en redonnerai ici les grandes lignes. Définir ce que ®évolution a permis, dans le domaine de l®émergence de la complexité, et également dans celui de l®émergence du phénomène humain, amène à ´®interroger sur les origines les plus lointaines de l®évolution biologique et de ®être humain. Issu de l®évolution biologique et fils de l®animal, l®homme est © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.72.162.178) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.72.162.178) L’homme, un pont entre deux mondes 101 en effet aussi, comme toute l®évolution biologique, issu d®une longue évolution cosmique et minérale qui l®a précédé. Avant d®être fils de l®animal, il est donc petit-fils des pierres et arrière-petit-fils des étoiles ! Ce que Luminet (Luminet 2003) résume superbement en affirmant : « Nous sommes donc faits de poussières d®étoiles, puisque tous les éléments qui nous composent (à ®exception de l®hydrogène) ont été formés dans des étoiles disparues depuis plus de 5 milliards d®années. » Quels caractères l®homme a-t-il pu conserver de cette longue hérédité minéralo-cosmique, puis biologique ? En tant que système matériel, petit-fils des pierres, il a dû apprendre à obéir rigoureusement aux lois du monde physique, à celle de la pesanteur qui peut provoquer des chutes et briser les corps des animaux, aux contraintes thermiques qui brûlent les molécules carbonées qui constituent le corps, à la dégradation de l®énergie vers une forme dont on ne peut revenir sans effort et qu®on appelle techniquement l® « entropie maximale ». Bref, parce que l®être humain est, comme ses grands-parents minéraux, soumis aux lois du monde, il a dû ´®adapter au fonctionnement de celui-ci et à sa logique matérielle rigoureuse. ®homme, comme l®animal son ancêtre, a dû s®incliner devant le cours matériel des choses. Mais les systèmes vivants ont, par rapport aux systèmes physiques, des propriétés très particulières. En effet, tout en respectant les lois du monde, tout en s®inclinant devant le cours matériel des choses, ils donnent en même temps l®étrange impression de leur désobéir ! Cette opposition apparente des êtres vivants aux lois de la physique a toujours frappé les savants comme les philosophes, qui lui ont trouvé des explications variées. Ainsi les vitalistes du XVIIème siècle croyaient que les êtres vivants obéissaient à des lois différentes de celle du monde minéral. On sait aujourd®hui qu®il ®en est rien, que les êtres vivants obéissent bien aux lois du monde physique, que l®indépendance du vivant par rapport à l®inerte, credo des penseurs vitalistes n®est qu®illusoire. Ainsi Prigogine et son Ecole (Prigogine 1967) ont pu montrer que, si les êtres vivants offraient cette apparence, cette illusion de comportement rebelle aux lois de la physique, c®est parce qu®ils recevaient de leur environnement de la matière et de l®énergie. Ce double apport de matière et d®énergie leur permettait ainsi, tant qu®ils restaient vivants, d®échapper à la loi d®évolution vers l® « entropie maximale » qui veut que tout système isolé aille vers une forme pauvre de l®énergie, vers cette « entropie maximale » qui est une sorte de mort thermodynamique. Ces travaux du thermodynamicien Jacques Tonnelat (Tonnelat 1977-78 ; Tonnelat 1995) illustrent brillamment ces thèses et en étendent la portée. D®ailleurs, à leur mort (biologique), lorsqu®ils abandonnent leur statut particulier d®être vivant pour uploads/Philosophie/l-x27-home-pont-entre-deux-monde-nature-et-culture.pdf
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- Publié le Jui 28, 2022
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