En couverture : Al Pacino dans Scarface, de Brian de Palma (1983) © [UNIVERSAL
En couverture : Al Pacino dans Scarface, de Brian de Palma (1983) © [UNIVERSAL / THE KOBAL COLLECTION] © Armand Colin, 2015 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris ISBN : 978-2-200-61289-4 http://www.armand.colin.com Table des matières Introduction 1 La conception formaliste du cinéma 2 La conception politique du cinéma 3 Critique des conceptions esthétique et politique 4 La théorie des catégories et de leur hiérarchie 5 Quel discours sur les films singuliers ? 6 La question du plaisir 7 Penser l’usage Conclusion Bibliographie Index (films et notions) Introduction Existe-t-il de « bons films » (et des mauvais), un « bon goût » (et un mauvais) ? Cette question est-elle légitime ? D’où viennent les polémiques que nous pouvons avoir avec nos proches sur les films que nous voyons ? Ce livre s’adresse à ceux qui sont intéressés par ces sujets et tentera de leur apporter des éléments de réponses en s’appuyant sur une analyse philosophique du problème étayée de nombreux exemples et de quelques repères d’histoire du cinéma. L’art est une affaire sociale et politique, et tout particulièrement le cinéma, car il est d’abord une industrie ordonnée autour de trois axes (production, distribution, exploitation). Affirmer que l’art et, pour nous, le cinéma, doivent être pensés du point de vue social et politique, voilà qui ne signifie pas qu’il faille tenir pour illégitimes les analyses dites esthétiques. On présentera d’abord la conception formaliste ou esthétique du cinéma, en montrant qu’elle met certes l’accent sur la forme, mais que la valeur de celle-ci tient à la manière dont elle utilise les moyens proprement cinématographiques pour exprimer un certain contenu (chapitre 1). On montrera ensuite comment la conception sociale et politique du cinéma ne s’oppose nullement à la conception esthétique, mais lui reproche seulement d’en rester à une prise en compte du contenu qui gomme toute sa dimension sociale et politique (chapitre 2). La conception esthétique du cinéma, dite formaliste, n’est irrecevable que si elle est posée comme autonome et suffisante. Autrement dit, elle doit être conservée, mais réenveloppée dans une conception plus vaste. En effet, si tous les arts sont des pratiques sociales, le cinéma possède cette spécificité, à la différence par exemple de la musique, art non figuratif et non narratif, de présenter des rapports de classe, de sexe et de race. En ce sens, l’autonomisation de l’esthétique est déjà un acte politique et social (chapitre 3). Dans la mesure où notre travail propose une cartographie des différentes positions possibles relatives à l’appréciation, nous avons également fait droit aux thèses qu’on trouve dans la philosophie anglo-saxonne et particulièrement dans les textes de Noël Carroll, et nous assumons l’aspect polémique de notre présentation (chapitres 4 et 5). Outre que cela donne un ton, nous nous en justifions par deux raisons. Carroll est aujourd’hui le philosophe américain le plus important sur les questions de philosophie de l’art et du cinéma. La critique de ses thèses sur l’appréciation d’un film est plus largement la critique de la manière dont un certain type de discours ou de méthode, à savoir celui de la philosophie analytique à laquelle Carroll se rattache, pense la question de l’appréciation – et la chose est d’autant plus intéressante que, dans cette tradition philosophique, Carroll est un des rares à oser traiter la question rejetée comme non pertinente. En outre, cette analyse de Carroll, qui peut paraître unilatéralement négative, a aussi pour intérêt de faire surgir en creux un certain nombre d’exigences positives : quid de cet intérêt social ou culturel qui, selon lui, constitue la norme ultime de l’appréciation d’un film ? La conception sociale nous conduit à l’examen du plaisir (chapitre 6). Car elle n’équivaut nullement à contester le plaisir, mais au contraire à le revaloriser en le pensant différemment. Le plaisir du film n’est pas un plaisir abstrait, éthéré, un plaisir esthétique désintéressé qui ne contiendrait que lui- même, mais c’est un plaisir du corps, c’est-à-dire de l’individu tout entier. En ce sens, il est gros de ce qui constitue très concrètement le spectateur dont le plaisir est toujours conditionné par un réseau d’attentes liées à son identité sociale. L’analyse de ce plaisir conduit à penser l’appréciation comme usage (chapitre 7) et à insister sur deux points. Le premier consiste à montrer que l’appréciation, pensée comme usage, ne saurait être réduite au discours sur le film – de même qu’on ne saurait résorber le plaisir dans le discours sur le plaisir. C’est pourquoi nous parlons d’« appréciation » plutôt que de « jugement ». Le discours sur l’art et le cinéma présuppose constamment que l’appréciation relève de la sphère du judicatif et du théorique. Qu’on distingue le jugement de goût à titre de jugement de valeur esthétique du jugement logique ou jugement de connaissance, comme le fait Kant dans la Critique de la faculté de juger, ne change rien à l’affaire. Qu’on affirme, comme le fait encore Kant, que le « goût » est irréductible au jugement, puisqu’il est d’abord et avant tout plaisir dans son irréductibilité au jugement, ne change à nouveau rien, puisque le plaisir ou sentiment est ce qui fonde l’irréductibilité du jugement de goût au jugement logique. Le concept de « goût », dans son irréductibilité à tout concept1, concourt donc à la réduction de l’appréciation esthétique à un jugement nommé « jugement de goût ». Contre une telle thèse et contre toutes ses variations, selon lesquelles du « goût » au jugement la conséquence est bonne, nous prétendons que l’appréciation se trouve dans l’usage au sens fort du terme : non pas ce que je dis du film, mais ce que j’en fais dans mon existence pour autant qu’il s’incorpore, c’est-à-dire norme et transforme ma vie. On verra que, sur ce point, le philosophe qui anticipe notre position est Nietzsche, pour qui l’appréciation de la musique est d’abord et avant tout un acte, une certaine utilisation que je fais de la musique en fonction de mes intérêts. Enfin, le second point (cette fois contre la hiérarchie nietzschéenne) consiste à soutenir que, dès qu’on pense l’appréciation comme usage, donc comme acte, on échappe à toute perspective élitiste selon laquelle il y aurait un « bon goût », lequel serait, évidemment, le jugement de goût – donc l’appréciation des « experts » ou « spécialistes », voire au pire celle des « amateurs éclairés ». Comme on le verra, toutes les appréciations sont légitimes dans la mesure où elles sont différents usages d’un film, toute la question étant de savoir s’il faut toutefois concevoir le film comme un texte qui autoriserait et interdirait certains usages. Le « jugement de goût » n’est qu’un usage parmi d’autres et ne possède nulle supériorité. Corrélativement, il n’y a pas de « bons films » ou de « beaux films », c’est-à-dire des films qui posséderaient une valeur alors que d’autres n’en auraient pas, parce que tous les films possèdent une valeur dès qu’on en trouve un usage. 1 On rappellera qu’il en va ici comme de l’espace et du temps dans la Critique de la raison pure, où tout l’effort consiste à construire un concept d’espace qui établit l’irréductibilité de l’espace au concept (voir H. Cohen, La Théorie kantienne de l’expérience, trad. fr. E. Dufour et J. Servois, Paris, Le Cerf, 2001, p. 165). Chapitre 1 La conception formaliste du cinéma Qu’appelle-t-on la théorie « formaliste » ? Curieusement, une théorie qui n’est absolument pas formaliste. Elle trouve son illustration exemplaire dans la « politique des auteurs » des Cahiers du cinéma. Mais cette théorie trouve son origine bien en deçà de la « politique des auteurs », presque à l’origine du cinéma. Noël Burch, d’ailleurs, cite comme origine de la « politique des auteurs » des textes de Louis Delluc ou Jean Epstein, qui ont été à la fois cinéastes et théoriciens du cinéma1. Mais il y a, auparavant et en Allemagne, les textes de Paul Wegener (19162) et de Robert Wiene (19223) et, avant eux, les textes publicitaires pour L’Étudiant de Prague (Stellan Rye et Paul Wegener, 1913)4. Il faut encore renvoyer à des auteurs comme Paul Ernst, Konrad Lange ou Georg Lukacs5. En fait, la question de l’appréciation d’un film est subordonnée à une autre question, celle de savoir ce qu’est le cinéma. Il est intéressant de noter que les premières conceptions de l’appréciation d’un film sont des conceptions qui surgissent implicitement, secondairement, car la question dont traitent ces textes n’est pas d’abord celle-là. Elle est celle de savoir ce qu’est le cinéma. La question soulevée par les textes et les auteurs que nous venons de citer n’est pas du tout de déterminer ce qu’est ou plutôt ce que doit être l’appréciation d’un film, mais de trouver des arguments pour faire valoir le cinéma à titre d’art. De plus, elle est celle, liée à la thématisation de la dimension artistique du cinéma, de déterminer en quoi consiste sa spécificité. Voilà le fait remarquable : la première théorie de l’appréciation d’un film provient d’une théorie sur la nature ou la uploads/Philosophie/ la-valeur-d-x27-un-film-philosophie-du-beau-au-cinema-eric-dufour 1 .pdf
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- Publié le Dec 14, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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