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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2008 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 30 juin 2020 17:23 Laval théologique et philosophique L’intuition agissante Nishida Kitarō Volume 64, numéro 2, 2008 URI : https://id.erudit.org/iderudit/019499ar DOI : https://doi.org/10.7202/019499ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Kitarō, N. (2008). L’intuition agissante. Laval théologique et philosophique, 64 (2), 277–293. https://doi.org/10.7202/019499ar Résumé de l'article La notion d’intuition agissante désigne le mode d’être fondamental de l’humain dans le monde dont celui-ci est élément constitutif. Elle ouvre la dimension où s’éprouve l’immédiateté de notre expérience du monde, et cette immédiateté est la source de toute connaissance réelle. Dans cette couche primordiale de notre expérience du monde, les moments actif et intuitif sont les deux aspects constitutifs de la seule et même réalité fondamentale qui n’est autre que la vie. Notre action constitue une réception du monde en son intérieur propre par son élément à la fois passif et actif, élément que nous sommes. Laval théologique et philosophique, 64, 2 (juin 2008) : 277-293 277 L’INTUITION AGISSANTE* Nishida Kitarō Traduit du japonais par Kuroda Akinobu UFR langues, Université Cergy-Pontoise RÉSUMÉ : La notion d’intuition agissante désigne le mode d’être fondamental de l’humain dans le monde dont celui-ci est élément constitutif. Elle ouvre la dimension où s’éprouve l’immédiateté de notre expérience du monde, et cette immédiateté est la source de toute connaissance réelle. Dans cette couche primordiale de notre expérience du monde, les moments actif et intuitif sont les deux aspects constitutifs de la seule et même réalité fondamentale qui n’est autre que la vie. Notre action constitue une réception du monde en son intérieur propre par son élément à la fois passif et actif, élément que nous sommes. ABSTRACT : The concept of intuition-action means the fundamental mode of the human being in the world of which it is a constituent element. It opens the dimension where is felt the immedi- acy of our experience of the world, and this immediacy is the source of any real knowledge. Within this basic level of our experience of the world, active and intuitive moments are the two constituent aspects of the only fundamental reality, that is to say, of life. Like us, our action is both passive and active. It is a reception of the world in ourselves. ______________________ [541]1 I. orsqu’on parle de l’intuition, on la considère spontanément comme simplement passive, ou comme un état extatique. On la considère comme un état diamétrale- ment opposé à l’action. S’agissant de la distinction conceptuelle, l’action et l’intuition sont ainsi considérées comme distinctes, en aucun cas elles ne sont susceptibles d’être liées l’une à l’autre. L’intuition agissante ne peut alors être comprise que comme un * Nishida Kitarō zenshū (『西田幾多郎全集』, Œuvres complètes de Nishida Kitarō), 19 vol., Tōkyō, Iwa- nami Shoten (1re éd., 1947-1953 ; 2e éd., 1965-1966 ; 3e éd., 1978-1980 ; 4e éd., 1987-1989) ; NKZ 8, 541- 571. Dans cette traduction, toutes les notes sont de nous. — La notion d’intuition agissante désigne le mode d’être fondamental de l’humain dans le monde dont celui-ci est élément constitutif. Elle ouvre la dimension où s’éprouve l’immédiateté de notre expérience du monde, et cette immédiateté est la source de toute connaissance réelle. Il s’agit de ce qui est toujours à l’œuvre au fond de toutes nos connaissances du monde. Nishida tâche de démontrer que dans cette couche primordiale de notre expérience du monde, les moments actif et intuitif sont les deux aspects constitutifs de la seule et même réalité fondamentale qui n’est autre que la vie. Ce mode se dissimule devant l’attitude dualiste consistant à opposer le sujet et l’ob- jet. Notre action s’accomplit dans le monde des objets, en se donnant et en lui donnant une forme objec- tive. Cette donation de formes n’est autre que la saisie immédiate du monde. Elle constitue donc nécessai- rement une vision immédiate du monde, c’est-à-dire une réception du monde en son intérieur propre par son élément à la fois passif et actif, élément que nous sommes. 1. Le chiffre entre crochets indique la pagination de NKZ. L NISHIDA KITARŌ 278 concept vide ou une chose mystique. Or, dès l’époque où Plotin conçut l’intuition, il ne s’agissait pas de la concevoir uniquement comme une chose passive ou extatique. Plotin l’a identifiée, aux frontières de la raison, à un mouvement infini. L’intuition bergsonienne, elle aussi, est un mouvement infini. Ce que j’appelle « intuition agis- sante » n’est cependant pas comparable à l’intuition plotinienne ni à la durée pure bergsonienne ; bien au contraire. L’intuition agissante consiste dans la position d’une connaissance réelle à l’extrême, qui forme la base de toutes les connaissances empiri- ques. Il s’agit d’une position de la connaissance empirique, trop empirique. Jusqu’à présent, ceux qui se réfèrent à l’intuition comme ceux qui la rejettent s’appuient également sur une position consistant à opposer sujet et objet. [542] Ainsi, l’union même du sujet et de l’objet est comprise soit comme l’extrême de l’unifica- tion des deux directions à partir de cette position, soit comme étant transcendante par rapport à cette position (Bergson pense autrement). Quant à l’intuition, elle est consi- dérée uniquement comme une absorption du soi dans les choses, de sorte que toute action disparaît. C’est un tel point de départ qui doit être remis en question. L’acte de connaissance, comme toute chose, doit se produire dans le monde historique. La di- vision ou l’opposition du sujet et de l’objet, elle aussi, doit être fondée par le mouve- ment dialectique du monde historique. Nous effectuons la connaissance en tant qu’in- dividuels2 dans le monde historique. Le lieu et la manière de l’opposition sujet/objet doivent être déterminés historiquement. On peut concevoir au moyen de l’abstraction le sujet de la connaissance comme étant séparé de l’arrière-plan historique. Mais la connaissance concrète doit être une constitution de la réalité historique. Cela ne veut pas dire qu’une saisie purement et simplement immédiate constitue directement un savoir. L’établissement de la connaissance objective exige pourtant que cette néga- tion même soit réalisée par l’entremise de la réalité de l’intuition agissante. Une po- sition telle que l’épistémologie kantienne doit s’établir sur l’arrière-plan historique. On croit qu’on effectue l’intuition en agissant et que l’action ne vient donc pas de l’intuition ; mais c’est parce qu’on ne tient pas compte du fait que notre action est historique dans tous les cas et que nous accomplissons toute action en tant qu’indi- viduels dans le monde historique, si bien qu’on pense le soi de manière abstraite. [543] Historiquement parlant, notre action doit pourtant être développée à partir d’un geste instinctif, et celui-ci est un acte de formation, propre à une espèce. Cependant, la vie ne consiste pas simplement dans un acte de cet ordre. Elle doit consister dans l’identité dialectique du sujet et du milieu, identité se définissant par le fait que le sujet détermine le milieu et que le milieu détermine le sujet. C’est en tant qu’autodé- termination du monde de l’universel dialectique que la vie se conçoit. Or l’auto- identité absolument contradictoire consiste à former et à créer ; elle consiste dans le processus allant de ce qui est créé à ce qui crée. Dans cette mesure, créer n’est autre que voir. C’est parce que nous sommes dans le monde des choses que l’action se 2. « Individuel » correspond à 個 (ko) ou 個物 (kobutsu) dans le texte. Ces termes désignent l’unité élémen- taire irréductible qui s’oppose radicalement à l’universel en même temps qu’il constitue avec celui-ci une auto-identité contradictoire. L’« individuel » se définit aussi comme étant opposé foncièrement à l’autre in- dividuel. Nous employons « individu » pour traduire 個人 (kojin, être humain au sens classique d’être vi- vant de l’espèce humaine) ou 個体 (kotai, corps biologique autonome). L’INTUITION AGISSANTE 279 réalise. Pour qu’elle se réalise, il faut qu’il y ait des choses, qui ne doivent pas être conçues, mais être vues — c’est-à-dire qu’elles doivent apparaître comme formées historiquement, et cela dans leurs rapports dialectiques avec le soi. L’action se réalise là où le monde, étant totalement déterminé en tant que présent historique, comprend néanmoins l’autonégation en son intérieur propre, et là où il va du présent au présent en se transcendant lui-même. Elle est donc la praxis et la poïêsis3. D’un point de vue psychologique, on peut considérer qu’une chose est connue grâce à une résistance, de sorte que l’action précède l’intuition. Néanmoins, une chose véritablement objective est vue par une action spécifique4, elle est vue histori- quement. uploads/Philosophie/l-x27-intuition-agissante-nishi.pdf
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- Publié le Sep 26, 2021
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