De la pesanteur de l'air. (L'habitus chez Pierre Bourdieu.) Mémoire de D.E.A. 1
De la pesanteur de l'air. (L'habitus chez Pierre Bourdieu.) Mémoire de D.E.A. 1997 présenté par Ana Teresa Martinez. Sous la direction de M. Jacky Ducatez. Paris, juin 1997. 2 A mes parents 3 "¡Válame Dios! dijo Sancho: ¿no le dije yo á vuestra merced que mirase bien lo que hacía, que no eran sino molinos de viento, y no lo podía ignorar sino quien llevase otros tales en la cabeza?" "Así es, respondió D. Quijote, y no hay que hacer caso destas cosas de encantamentos, ni hay para qué tomar cólera ni enojo con ellas, que como son invisibles y fantásticas no hallaremos de quien vengarnos aunque mas lo procuremos" 4 Présentation Essayer d'écrire un mémoire sur la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu en ayant comme seul outil intellectuel une formation philosophique et littéraire, et une toute petite expérience de recherche empirique "d'amateur", c'est être bien mal placée au départ. La hantise de ne pas tomber dans le scholasticisme, et celle de ne pas perdre de temps dans la construction d'une théorie vide, dans la répétition inutile du déjà dit, ou dans la recherche de sources conceptuelles qui n'ajoutent rien à la compréhension de concepts qui -selon son auteur- ne sont pas nés d'autres concepts mais de la pratique scientifique, peuvent conduire à arrêter tout travail et décourager tout effort métadiscursif. Dépouillé de son privilège transcendantal d'omniscience et d'autonomie, le philosophe se retrouve face aux sciences comme l'enfant face à son château de cartes écroulé : au premier abord, il y a tout à refaire. Et surtout il y a la question ouverte -sur laquelle on peut faire un pari, mais dont on ne peut se fournir de réponses à l'avance- du sens de l'entreprise commencée. Ces deux premiers paragraphes écrits pendant le premier mois de rédaction de ce mémoire expriment bien l'état d'âme avec lequel nous avons commencé notre travail. Une année auparavant, donc récemment arrivée en France avec la préocupation de trouver une manière epistémologiquement valable d'articuler la philosophie et les sciences sociales -dont la philosophie ne peut pas se passer- j'avais lu Raisons pratiques, et j'avais rapidement sym-pathisé avec une sociologie d'une telle "autoconcience épistémologique", dans laquelle je retrouvais aussi les vieilles questions sur la "sagesse populaire", que j'avais traitées et sur lesquelles j'avais réflèchis à la fin de ma formation philosophique à l'aide de l'habitus de Thomas d'Aquin. Néanmoins j'ai pris encore un semestre 5 d'exploration des sciences sociales en général, avant de préciser le sujet du mémoire. À la fin de mon parcours, j'ai l'impression de m'être seulement rapprochée de la complexité des questions que je m'étais posées au début. D'abord, parce que le travail de Pierre Bourdieu, en étant une pensée "en pratique" exige des analyses beaucoup plus poussées du point de vue épistémologique, une maîtrise théorique et surtout une pratique beaucoup plus accomplie des techniques de recherche sociologique. Ensuite, parce que même à l'intérieur des limites de formation et d'expérience dans lesquelles j'étais contrainte de travailler, le fait de devoir terminer le texte dans le laps de temps d'une année m'a obligée à laisser des chapitres à demi-réfléchis, des problématiques inconclues, restées parfois à l'état d'ébauche. Enfin, parce que, même si finalement nous ne le croyons pas inutile, le travail que nous avons accompli reste incomplet tant qu'on ne fait pas un véritable travail d'objectivation de l'entreprise bourdieusienne, en applicant sur cette dernière sa propre méthode d'analyse pour voir surgir sa pratique comme une possibilité nouvelle (ou non) dans le champ des sociologies existantes et possibles en France pendant les années '60. Si, comme Bourdieu le pense, le sujet de la science est le champ, alors pour pouvoir saisir la signification de son travail il faudrait le replacer à l'intérieur du champ. Il reste que, néanmoins, cette approche un peu panoramique (et teinté toujours de "théoricisme") axé sur le concept d'habitus, permet de voir quelques lignes centrales de sa démarche scientifique et surtout de suggérer une ligne de lecture qui ne sépare pas, mais qui distingue des niveaux épistémologiques différents. Aux lecteurs de juger de sa pertinence et de son utilité. 6 Qu'il me soit permis de remercier ici le Père Louis de Vaucelles, sans l'intérêt et l'intervention duquel, ces deux années d'études et de réflexion à Paris n'auraient pas été possibles. Et très sincèrement aussi M. Jacky Ducatez, pour la générosité avec laquelle il a partagé son temps et sa connaissance. Je remerci M. Pierre Bourdieu, qui m'a accepté en qualité d'auditeur libre dans son séminaire à l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. Merci aussi à Geneviéve Galindo, qui a corrigé mon Français avec une patience infinie. Je voudrais aussi remercier mes soeurs de Congrégation, qui ont su inscrire ce projet à l'intérieur du projet qui nous rejoint, et aussi l'accueil fraternel à Paris des Soeurs Romaines de Saint Dominique. Je remercie les amis et amies qui m'ont soutenue en France: Ana Fernandez et Jean Pierre Soumah, Benedicte Nolet, Veronique et Marc Titgat, Beatriz Rioseco, Alix de Ponsins, Michelle Pourtaud, Elena Lasida. Finalement, merci aussi à celles et ceux qui m'ont tant encouragée pour entreprendre cette aventure, particulièrement ma communauté à Cusco, et Guido Delran. 7 Introduction "Souvent les philosophes croient se donner l'objet en se donnant le nom, sans bien se rendre compte qu'un nom apporte une signification qui n'a de sens que dans un corps d'habitudes" (G. Bachelard) La trajectoire de Pierre Bourdieu dans le champ des sciences sociales trouve ses débuts en Algérie, en pleine guerre d'indépendance, dans une société colonisée, déracinée, en train de souffrir de graves bouleversements sociaux et culturels. Là, il essaie de comprendre en ethnologue structuraliste non seulement la société paysanne kabyle, mais aussi les difficultés des sous-prolétaires algériens, paysans dépaysanés installés aux marges d'Alger à la recherche de travail. Dans ces deux champs d'étude, il éprouve les limites de ses instruments d'analyse : les systèmes culturels n'étaient pas aussi cohérents que prévus, les mariages indiqués selon la règle étaient exceptionnels dans les pratiques effectives (le mariage proclamé avec la cousine parallèle, qui ouvrait des débats entre anthropologues, ne représentait en réalité que 1 à 4% des mariages effectivement pratiqués), les statistiques sur le monde du travail étaient aveugles pour expliquer les "bizarreries" et les "contradictions" des conduites des Algériens face à un a-venir qu'ils n'arrivaient pas à concevoir comme tel : par exemple, on continuait à vendre "à la sauvete" même si cette activité ne rapportait aucun revenu, et le taux de travail des femmes n'avait pas de cohérence par rapport à l'augmentation ou la diminution des revenus. L'expérimentation épistémologique menée au Béarn ("contre-épreuve" de son expérience ethnologique de la familiarisation avec un monde étranger"1, sorte de "Tristes Tropiques" renversé), a aussi été développée dans une société 1Le Sens Pratique, p. 32-33. 8 paysanne où le processus de déstructuration était déjà évident -certes, avec une violence moins manifeste- et dont le symptôme le plus notoire était l'impossibilité de la reproduction démographique pour l'ancienne couche dominante, l'impossibilité pour les héritiers de trouver des femmes dans les hameaux dans la mesure où le mariage au village même devenait de plus en plus difficile. Encore une fois, le terrain posait des questions auxquelles ne répondaient point les théories des échanges matrimoniaux apprises. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de sociétés en état d'anomie: pour les béarnais, le déréglement de la vie sociale était exprimé par l'impossibilité de mariage, qui entraînait l'impossibilité de transmettre et le nom et la terre; pour les algériens, par l'impossibilité de reproduire le mode de vie paysan, en même temps que s'insérer dans le monde du travail urbain. Les uns comme les autres, se retrouvaient "jetés dans l'incohérence". Néanmoins, ce n'est pas la complexité d'un terrain qui peut expliquer la force d'une recherche sociologique, mais la perspicacité du sociologue pour poser des questions, la pertinence de la problématique construite. Si le terrain posait des questions auxquelles les théories apprises ne pouvaient pas répondre, c'était parce que le regard savait les déceler et parce que les réponses déjà apprises étaient toujours secondes par rapport aux questions. C'est l'attitude scientifique qui compte. Si la connaissance est un mouvement, c'est parce qu'il faut être toujours prêt à une nouvelle rupture : une "tête bien faite" est une tête "à refaire", et à refaire à partir des questions que pose l'objet construit comme objet falsifiable. La science sociale ne se construit pas à partir d'une philosophie toute faite qui s'applique au terrain. Elle ne produit pas non plus une philosophie qui puisse être tirée par induction directement du terrain. C'est la relation dialectique terrain- théorie qui produit ces concepts scientifiques propres à la science sociale, concepts "sténographiques" qui orientent la recherche et qui sont reformulés chaque fois par rapport au terrain, à peine dissociables pour pouvoir nommer une 9 relation, mais inséparables à l'état pur. La disposition qui permet de construire ces concepts et de travailler avec eux, dans "l'entre deux" de l'histoire et d'une certaine procédure de type "expérimental" c'est la vigilance épistémologique. C'est une des raisons pour laquelle l'entreprise intellectuelle uploads/Philosophie/ de-la-pesanteur-de-l-x27-air-l-x27-habitus-chez-pierre-bourdieu.pdf
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- Publié le Mai 06, 2021
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