1 Per Aage Brandt LES PETITES MACHINES DU SENS. ESSAIS DE SÉMIOTIQUE COGNITIVE

1 Per Aage Brandt LES PETITES MACHINES DU SENS. ESSAIS DE SÉMIOTIQUE COGNITIVE 0. INTRODUCTION 1. SÉMIOTIQUE, COGNITION ET SÉMIOTIQUE COGNITIVE 2. SENS ET MODALITÉ — DANS LA PERSPECTIVE D’UNE SÉMIOTIQUE COGNITIVE 3. LA PENSÉE GRAPHIQUE — POUR UNE SÉMIOTIQUE DES DIAGRAMMES 4. FORCES ET ESPACES— MAUPASSANT, BORGES, HEMINGWAY. ÉLÉMENTS DE NARRATOLOGIE SÉMIO-COGNITIVE 5. SENS ET PENSÉE — REMARQUES SUR UN PROJET PROTO-SÉMANTIQUE 6. ANALYTIQUE, SÉMIOTIQUE ET ONTOLOGIE DANS LE PROJET GLOSSÉMATIQUE 7. CONSIDÉRATION SUR L’ÊTRE ET LE FAIRE DE LA SÉMIOTIQUE ACTUELLE. — UNE CRITIQUE DE L’IMMANENTISME ÉPISTÉMOLOGIQUE 8. D’OÙ VIENT LE SENS ? — REMARQUES SUR LA SÉMIO-PHÉNOMÉNOLOGIE DE GREIMAS 9. IDENTITÉ ET VIOLENCE —POUR UNE SÉMIOTIQUE PERFORMATIVE 10. LA DEIXIS LANGAGIÈRE 11. SENS ET MACHINE — VERS UNE TECHNO-SÉMIOTIQUE 12. LA CONSTRUCTION SÉMIO-COGNITIVE DE LA VALEUR ÉCONOMIQUE 13. GREIMAS : SÉMIOTIQUE, LINGUISTIQUE, ESTHÉTIQUE. Interview avec K. Nastopka 14. UNE SÉMIOTIQUE À LA DANOISE. Interview avec A. Biglari 2 0. Les petites machines du sens. Introduction à ces essais critiques de sémiotique cognitive Penser – au sens de participer à la grande entreprise de l’esprit humain et à sa plus modeste variante quotidienne, à savoir de permettre, tout simplement, par une certaine préparation mentale, au langage et aux autres moyens naturels d’expression qui existent dans notre espèce de fonctionner – penser, donc, c’est surtout structurer le vécu en en inscrivant certaines composantes dans des catégories liées par des schémas mentaux : schématiser. Nous catégorisons ce qui capte notre attention, et nous schématisons les rapports entre les entités catégorisées. Les schémas en question, ce sont nos petites machines du sens. Car le résultat de ces processus de schématisation est ce que nous appelons du sens. Making sense, en anglais, c’est fabriquer du sens par ces processus que la sémiotique veut étudier par ses résultats, les textes, les manifestations sémiotiques de tous ordres, alors que la science cognitive préfère l’étudier par ses commencements, les apperceptions. Une sémiotique cognitive voudrait combiner les deux approches et analyser la fabrication du sens par les deux bouts. Ce sont les mêmes petites machines que nous trouvons à l’œuvre dans la perception sensorielle et sous nos expressions langagières, gestuelles, graphiques.1 Il nous semble par conséquent que le fait de trouver des schématismes constitue l’intérêt essentiel de l’étude du sens en général, quelle que soit la méthodologie prônée, postulée ou pratiquée. Ce n’est pas en développant des théories globales, mais bien plutôt en modélisant les phénomènes, sans exiger des analyses spécifiques une cohérence théorique stricte avec l’ensemble de ce qui a pu être déjà analysé, que l’on fait progresser cette étude. On peut même dire que c’est moins la méthodologie que l’ontologie qui définit ou détermine ce qu’est l’étude du sens : ontologie du fait de trouver du sens dans les choses ou les signes, making sens; c’est-à-dire du fait pour quelque chose de devenir comprehensible, et de cette activité mentale qui caractérise la 1 Le linguiste américain Leonard Talmy (2000) a émis l’hypothèse selon laquelle certains schémas ne sont pas communs mais liés spécifiquement à la vision, d’autres aux gestes, encore d’autres au langage. Comme il ne semble pas qu’il existe un système holistique organisant les schémas, cette éventualité n’est pas à exclure. Il y aurait du sense-making local et non (seulement) global et indépendant des sources ou modalités de leur contenu. 3 partie du système nerveux soutenant la conscience. Être conscient, au lieu de dormir ou d’être dans le coma,, consiste à participer, avec tout ce qui nous connecte au monde – la communication intersubjective, la perception sensorielle, la mémoire – à la fabrication du sens et à sa transformation. Le sens est la substance fibreuse mais immatérielle, la res cogitans, dans sa version délatinisée, mais non moins cartésienne, qui est nécessaire à l’existence intentionnelle de l’être individuel et social, à sa vie affective comme à ses actes. Par ces énoncés ontologiques sur la conscience, le sens et l’être humain, nous ouvrons les portes d’un champ d’étude qui accueille une multiplicité d’approches. Celles déployées dans les essais qui suivent prétendent donc moins à une intégration théorique ou doxique qu’au statut d’un compte rendu provisoire de l’exploration de ce champ dont on peut supposer qu’il offre, dans sa richesse biologique de structuration, beaucoup de voies d’accès. Car comme disait Aristote dans sa Métaphysique, l’être se dit de manière multiple, il est pollakos legomenon. * 4 1. Sémiotique, cognition et sémiotique cognitive Résumé : Cet essai introduit à une sémiotique en contact avec les sciences cognitives, notamment la linguistique, la sémantique et la poétique cognitives. Il propose une nouvelle interprétation du concept de signe, du fonctionnement de la métaphore et de la métonymie, et du blending conceptuel en théorie des espaces mentaux. 1. Le sens. Le sens, comment le définir ? Il y a deux réponses évidentes mais irréductibles l’une à l’autre : c’est le contenu de nos expressions; ou c’est la structure de nos pensées. Quel est le rapport entre le contenu de nos expressions et la structure de nos pensées ? Si nous disons ce que nous pensons, ce rapport devrait être direct. Or nous pouvons toujours dire ce que nous pensons de plus d’une seule manière. Le contenu exprimé changera donc, alors que la pensée en question restera ce qu’elle est; elle sera différemment confectionnée pour un rapport intersubjectif qui varie. Dans une relation intersubjective de communication, le sens de ce vous me dites, c’est ce que je crois que vous pensez en me disant ce que vous me dites à la manière dont vous me le dites parce que c’est à moi que vous le dites. Voilà une solution possible de l’antinomie, du paradoxe définitionnel. Vous pensez devant quelqu’un, moi, par exemple, et vous variez l’expression et par conséquent le contenu de ce que vous trouvez à dire, selon mes caractéristiques (selon vous) et la granularité supposée de mon attente, surtout si vous répondez à une question que je viens de vous poser. La parole se compose de phrases, et la pensée se compose de... “pensées”, chacune à peu près à la mesure d’une phrase, ou plutôt d’un énoncé. Une “portion” de langage peut ainsi correspondre à une “portion” de pensée.2 Mais rien n’indique que la pensée serait structurée comme le langage, c’est-à-dire comme l’est une langue. La pensée n’a ni phonétique, ni grammaire normative, sauf quand c’est à des entités langagières que l’on pense. Néanmoins on peut dire que la sémantique d’un objet 2 Cette expression, et l’usage du terme de “portion”, vient d’Umberto Eco (communication personnelle). 5 langagier – le sens d’un texte issu d’une langue – et constructible à partir de sa grammaire, est la représentation d’une pensée. Si un certain rhétoriqueur peut dire, par exemple : praeterea censeo Carthaginem esse delendam, (d’ailleurs je pense que Carthage doit être détruite), c’est que la formule “je pense que X” peut prétendre, et cela à juste titre, que l’on peut en effet dire ce que l’on pense – que la pensée relève vraiment du dicible. La pensée peut être signifiée, par le langage et par nos autres pratiques sémiotiques, comme les écritures mathématiques, logiques, musicales, chacune dédiée à son domaine de pensée. Les signes sociaux, tels les “symboles” et les “icônes” de toutes sortes dont nous nous servons dans la vie sociale, peuvent également signifier des pensées, et peuvent pour autant se traduire dans du langage, et c’est à ce titre que nous pouvons parler de sens. Autrement dit : le sens, c’est la pensée signifiée.3 Quel que soit par ailleurs le mode de signification. 2. La cognition entre en jeu. L’étude de la manière dont les êtres humains pensent – l’étude de leur “cognition” – avait été le propre de la philosophie, jusqu’à ce que la psychologie, nouvelle discipline académique, s’en empare au 19ème siècle (Fechner, Wundt, Binet, W. James, et du côté neurologique, Helmholtz, Cajal, Broca). Au 20ème siècle, c’est la psychologie de la forme (Gestalt), notamment l’oeuvre immense de Jean Piaget, et ensuite l’éclosion d’une psychologie cognitive penchée sur la mémoire, le langage, l’intelligence, le raisonnement, la perception, l’attention, l’empathie, etc., qui ont contribué à préparer le terrain aux recherches neurocognitives actuelles de Baars (2007), de Changeux (2000), de Dehaene (2014), recherches essayant de comprendre le fonctionnement de la partie du cerveau par laquelle la conscience, l’esprit (angl. mind), se produit. Les linguistes ont reçu cette inspiration en parallèle avec celle qui fut offerte par la nouvelle cybernétique computationnelle, l’informatique. Une linguistique cognitive prend forme dans la lignée Chomsky – McCawley – Jackendoff – Lakoff – Langacker – Talmy – Sweetser – Goldberg – Croft – Evans. L’idée constante, à travers les multiples controverses et variations théoriques, est que le langage ne se réduit pas à un simple système mécanique, mais 3 Les états affectifs sont des cas-limites de ce que nous pouvons appeler “pensée”. Les valeurs émotionnelles élémentaires communiquées par des expressions faciales, comme la colère, la surprise, la peur, constituent des marqueurs qui à leur tour signifient des schémas narratifs, tels l’offense, l’événement inattendu, le danger imminent. 6 constitue une “fenêtre sur l’esprit” et une manifestation uploads/Philosophie/les-petites-machines-du-sens.pdf

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