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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Vichy : la réplique aux « falsifications » d’Éric Zemmour PAR FABIEN ESCALONA ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 20 JANVIER 2022 En amont du procès en appel ce jeudi du candidat d’extrême droite pour contestation de crime contre l’humanité, l’historien Laurent Joly a publié un livre dévastateur. Il pointe ses mensonges sur le régime de Vichy, et analyse les raisons politiques de cette banalisation des crimes de l’époque. Jeudi 20 janvier, Éric Zemmour doit être jugé pour contestation de crime contre l’humanité. En cause: ses propos sur le régime de Vichy, et plus particulièrement son affirmation selon laquelle le maréchal Pétain, alors chef de l’État français, aurait sauvé les juives et juifs français. La procédure judiciaire a été lancée après la réitération de cette thèse au cours d’un débat télévisé avec l’essayiste Bernard-Henri Lévy, sur CNews, le 21 octobre 2019. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF), les associations J’accuse, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), SOS Racisme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) s’étaient alors portées parties civiles. Elles ont fait appel après la relaxe prononcée le 4février 2021 par la 17echambre du tribunal de Paris. © Grasset L’historien Laurent Joly, qui avait été entendu comme témoin à cette occasion, s’étonne de cette décision dans son dernier livre, La Falsification de l’Histoire (Grasset), qui porte précisément sur la remise en cause par Éric Zemmour du caractère criminel de la politique antijuive de Vichy. Selon ce spécialiste, auteur de nombreux ouvrages et d’une thèse consacrée au commissariat général aux questions juives entre 1941 et 1944, tous les éléments étaient en possession des juges pour conclure à sa «minoration outrancière» des effets de cette politique. Pour motiver sa décision, le tribunal a invoqué le contexte (le débat télévisé portait sur un autre sujet) et donné du crédit à la défense de Zemmour (qui a prétendu avoir évoqué «des» – plutôt que «les» – juifs français). Deux points réfutés par Laurent Joly: Éric Zemmour propage cette thèse depuis longtemps, à l’écrit comme à l’oral, et se livre bien à une généralisation en contradiction avec l’état du savoir historique. Dans son livre, le chercheur réplique au polémiste d’extrême droite en rappelant que «si près de 75% des juifs de France ont échappé à la mort, ce n’est pas grâce à l’action des dirigeants de Vichy (dont les Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 décisions terribles prises à l’été 1942 ont entraîné la déportation de près de 25000 juifs, pour l’essentiel apatrides, en quelques semaines), mais à une série de facteurs […] patiemment mis en lumière depuis une trentaine d’années», notamment l’hostilité de l’opinion publique à la politique antijuive et sa prise en compte par l’occupant, dont les priorités sur le terrain français étaient au demeurant ailleurs, ou encore les réticences des policiers affectés à cette politique. Laurent Joly met en pièces des arguments zemmouriens censés justifier ou relativiser les choix de Vichy. Vis-à-vis de l’occupant, des marges de manœuvre subsistaient, et le régime aurait pu s’opposer aux exigences exorbitantes d’arrestations en masse à l’été 1942. Et si Vichy a renoncé en 1943 à dénaturaliser les personnes juives devenues françaises depuis 1927, ce n’est pas grâce à la magnanimité du maréchal Pétain et cela n’a pas empêché que «la traque des juifs fut, jusqu’au bout, avant tout le fait de la police française». Quant à l’internement par le régime républicain de ressortissants allemands en mai 1940, certes pas à l’honneur du régime, il n’était en rien comparable à la rafle du Vél d’Hiv, laquelle fut un crime contre l’humanité. Si ces correctifs sont possibles, c’est grâce au travail précis et acharné de plusieurs historiens auxquels Laurent Joly rend hommage. Il raconte comment, dès 1945, Léon Poliakov puis Joseph Billig ont accédé à des sources de première main pour comprendre «la participation de Vichy au génocide». L’historien états- unien Robert Paxton, dont le livre sur La France de Vichy fit sensation en 1973, s’est appuyé sur ces découvertes documentées. Contrairement à ce qu’affirme Zemmour, il n’y a donc pas de doxa Paxton, qui aurait consisté en une entreprise étrangère de culpabilisation de la France. Sauf qu’effectivement, Paxton et ses prédécesseurs démolissent les affirmations selon lesquelles Pétain aurait fait figure de «moindre mal», ou aurait joué le rôle ingrat du bouclier quand de Gaulle maniait l’épée contre les nazis. Dans son livre, Laurent Joly retrace la généalogie de ces thèses. On croise ainsi diverses personnalités – le colonel Rémy, le journaliste Robert Aron, l’universitaire François-Georges Dreyfus – qui partagent le fait d’avoir banalisé et minoré la dimension criminelle de la politique vichyste, selon des modalités que l’on retrouve dans le discours contemporain du candidat d’extrême droite. La rationalité politique du mensonge historique Démonstration est donc faite, en quelques pages, du relativisme insoutenable auquel Zemmour s’adonne lorsqu’il s’agit de Vichy. Une manière bien curieuse de partager son supposé goût pour l’histoire, mais aussi une façon ironique de mettre tous les registres de parole sur le même plan, lui qui regrette la perte des hiérarchies dont la société souffrirait. En plus de cette tâche utile, que d’autres collègues s’apprêtent à compléter à propos de différentes périodes historiques dans un ouvrage à paraître chez Gallimard, Laurent Joly décrypte le dessein politique – et parfaitement contemporain – servi par cette falsification de l’histoire. De manière générale, remarque-t-il, l’importance accordée à l’interprétation du passé est tout à fait cohérente avec la filiation maurassienne de Zemmour. Également journaliste et essayiste, Charles Maurras (1868-1952) est le fondateur de l’Action française, qui a opéré «la jonction entre l’extrême droite contre- révolutionnaire du XIXesiècle (l’ultraroyalisme, le légitimisme catholique et réactionnaire) et [le] nationalisme ethnique» qui s’affirme à l’orée du XXesiècle. Comme son lointain successeur, il a su donner un «cachet intellectuel» aux préjugés les plus ignobles contre les ennemis intérieurs qui menaceraient l’identité française. «D’abord et avant tout un doctrinaire», constate Joly, le candidat Zemmour est persuadé comme Maurras qu’imposer ses idées implique d’imposer sa propre grille de lecture du passé. Et s’il a jeté son dévolu sur Vichy, ce serait pour s’attaquer au verrou ultime qui empêche «l’union des droites», celle qui n’a jamais eu lieu entre «la droite de gouvernement, plus particulièrement gaulliste» et «l’extrême droite (ex- pétainiste ou ex-collaborationniste)». Lorsqu’elle en a Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 été tentée, les protagonistes sont devenus des figures marginalisées et couvertes d’opprobre, à l’instar de Charles Millon (ex-UDF). Beaucoup de commentaires pointent à cet égard le calcul électoral de Zemmour, qui consiste à braconner chez les sympathisant·es du Rassemblement national et des Républicains pour les rassembler autour d’un projet nativiste, autoritaire et néolibéral. Mais pour Joly, il faut se placer dans le scénario hypothétique d’une arrivée au pouvoir pour bien mesurer la rationalité de cette réécriture de l’histoire. L’objectif, en relativisant les crimes du passé et en dissipant la culpabilité à leur égard, est bien de rendre acceptables les politiques d’exception que Zemmour souhaite mettre en œuvre contre un supposé péril musulman. «Cette réhabilitation du régime pétainiste et de sa politique antisémite [par le polémiste] est un élément fondamental de sa construction politique, conclut Joly. Elle vise à libérer la droite de ses complexes supposés; à rendre acceptables des mesures jusqu’alors impensables à cause du souvenir des crimes de la collaboration; à lever l’hypothèque Vichy afin de réunir droite et extrême droite; à préparer les esprits à une réaction nationaliste et antimusulmane.» Au fond, une politique xénophobe et islamophobe vaudrait bien une falsification historique. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. 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