Annales historiques de la Révolution française 325 | juillet-septembre 2001 Var

Annales historiques de la Révolution française 325 | juillet-septembre 2001 Varia Rigomer Bazin et la Restauration : penser la république dans la monarchie Pierre Serna Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ahrf/442 DOI : 10.4000/ahrf.442 ISSN : 1952-403X Éditeur : Armand Colin, Société des études robespierristes Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2001 Pagination : 53-76 ISSN : 0003-4436 Référence électronique Pierre Serna, « Rigomer Bazin et la Restauration : penser la république dans la monarchie », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 325 | juillet-septembre 2001, mis en ligne le 10 avril 2006, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ahrf/442 ; DOI : 10.4000/ ahrf.442 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Tous droits réservés Rigomer Bazin et la Restauration : penser la république dans la monarchie Pierre Serna 1 Les chantiers de recherches ouverts par le bicentenaire ont renouvelé les domaines des pratiques et des idées politiques 1. Ainsi, l’étude de « la dévolution et la répartition de l’autorité et du pouvoir au sein d’un groupe humain donné, et l’étude des tensions, des antagonismes et des conflits en découlant »2, s’est enrichi d’une histoire des gestes de la pratique militante (vote, réunion, manifestations) ainsi que de l’étude des représentations (symbole, lecture, programme artistique, langue)3. De plus, la dimension temporelle, désormais prise en compte de façon à construire une histoire des personnes en Révolution plutôt que l’histoire d’un événement traversé par des biographies, a permis d’interroger le passé de la Révolution4. L’individuation de la sphère de l’opinion publique, par exemple, et la naissance d’une culture de la contestation mise en valeur par Keith Baker, ont souligné les tensions apparues dans le débat public des dernières décennies de la monarchie. En revanche, la prosopographie des Constituants proposée par T.Tackett a donné à comprendre combien la radicalité des débats, dès les premières semaines des États généraux, s’expliquait par l’origine de ces députés dont l’étude précise renversait toutes les idées convenues sur la sociologie des 1200 représentants du royaume. 2 Fort de ces acquis, il s’agit ici de poser l’hypothèse du retournement de la perspective chronologique de la recherche, afin d’aborder le devenir de tous ceux qui s’étaient engagés dans la Révolution à des titres divers et qui avaient, selon le mot de Sieyès, « survécu... » Ce qui était pertinent pour mieux comprendre 1789, l’était-il pour saisir 1799, ou 1815 ? Quelle part la culture et l’expérience politique de la Révolution allaient- elles jouer dans le destin de tous ceux qui, engagés radicalement dans le processus révolutionnaire, ne pouvaient que se définir comme des opposants à certains aspects de la Constitution directoriale et, plus particulièrement encore, au Consulat, à l’Empire et à la Restauration. 1799-1815 : les républicains démocrates ont survécu, eux aussi Rigomer Bazin et la Restauration : penser la république dans la monarchie Annales historiques de la Révolution française, 325 | juillet-septembre 2001 1 3 Partir à la recherche de ce groupe de « Républicains-démocrates », tels qu’Alphonse Aulard les avait baptisés, fortement marqué par l’expérience terroriste assumée et, cependant, loin de représenter la mouvance figée d’un robespierrisme nostalgique, revient à approfondir les réseaux républicains de la gauche directoriale et ses revendications d’un régime de démocratie représentative5. Parmi ces derniers, un homme jeune, RigomerBazin, trente ans en l’anVIII, va développer une pensée originale et la soutenir jusqu’en 1818... lorsqu’il n’est pas en prison pour la radicalité de ses prises de position, ou surveillé, comme il se doit, par toutes les polices de tous les régimes, de 1795 à 1818. Placé du côté de l’aile gauche la plus radicale du mouvement démocratique, il propose, en 1815, contre toute attente, pour la Charte octroyée par Louis XVIII, une lecture se résumant à l’opportunité d’établir un régime constitutionnel fondé sur la représentation ! 4 Du Directoire à la Restauration... Ces deux régimes, parents pauvres del’historiographie, constituent pourtant des moments de profonde réflexion politique qui, paradoxalement, permettent à certains démocrates, oubliés ou réduits au silence, de se manifester et de proposer, loin de les attaquer seulement, des solutions d’aménagements des deux textes de la Constitution de l’AnIII et de la Charte, d’un point de vue démocratique pour le Directoire, sous l’angle républicain pour la Restauration. Il reste encore à étudier l’inventaire des documents qui proposent une façon républicaine de lire la Charte constitutionnelle6. Pierre Rosanvallon a individualisé deux écritures opposées de l’histoire de cette période qui se voit écartelée entre une lecture jacobine et celle d’un « moment anglais de l’Histoire de France », perceptible dans les deux Chartes de 1815 et 18307, développant une extension des libertés et des progrès du gouvernement représentatif. La Charte constitutionnelle offrait, en effet, de nombreuses interprétations. En 1817, Bazin a pu, et il n’est pas le seul, imaginer faute de mieux et étant donné les circonstances, une « République royale », une « Monarchie représentative »8 capable de réunir les antagonismes des Français, de même qu’il a pu croire le moment venu d’inventer un régime, capable d’incarner les deux formules politiques qui jusque-là avaient engendré une lutte fratricide et qui pouvaient désormais être au fondement de la régénération du pays. C’était le rêve d’un élan ni patriotique, ni dynastique, mais d’un « moment américain » pour la France, celui d’une république avec, à sa tête, un chef de l’exécutif doté de prérogatives importantes... expérience finalement ratée9. Bazin, entre transparence et secrets 5 Rigomer Bazin donc ! Il est un journaliste démocrate et un écrivain constitutionnel. Avec d’autres, il offre un parcours biographique illustrant la génération des démocrates, nés entre 1760-1770, et leurs vicissitudes, à travers tous les régimes qui les proscrivent, de la Terreur à la Restauration, cultivant ce qu’ils appellent « leur invariabilité » face à toutes formes de proscription ou d’exclusion, revendiquant le privilège d’une fidélité indéfectible à un idéal, en ces temps de recomposition permanente des alliances et des allégeances politiques10. Né en 1769, Rigomer Bazin, fils et petit-fils d’épiciers manceaux, débute une carrière classique de révolutionnaire dans la Garde nationale. Membre du comité de défense républicaine contre les Vendéens en 1793, il se retrouve devant le tribunal révolutionnaire pour s’être opposé au représentant en mission Garnier de Saintes. Acquitté, il est enfermé, puis libéré au 9 Thermidor11. La période qui suit va le voir développer son talent de journaliste politique, tour à tour au Mans, où il occupe le poste de rédacteur de La Chronique de la Sarthe, et à Paris, où il devient, en l’anVII, un militant, au Club du Manège. Il est surtout l’âme du journal Le Démocrate(12), qui forme Rigomer Bazin et la Restauration : penser la république dans la monarchie Annales historiques de la Révolution française, 325 | juillet-septembre 2001 2 avec le Journal des Hommes libres, une des deux tribunes où la réflexion politique propose une lecture démocratique de la Constitution de l’anIII13. 6 Parmi d’autres idées, Bazin développe la nécessité de constituer en régime d’assemblée, une opposition politique, seul contrepoids aux gouvernants, devenu nécessaire. Il défend l’impératif d’une construction de partis forts et capables de résister constitutionnellement aux gouvernements, par le jeu d’élections devant contribuer à l’alternance des hommes au pouvoir14. La vitalité du corps civique s’édifie sur la capacité de ceux qui gouvernent à accepter, à protéger même, ceux qui contestent leur manière de conduire les affaires15. Seuls les droits de la minorité, parfois confondus avec le « peuple » définissent la valeur du système politique en entier. Les élections fréquentes matérialisent la souveraineté populaire, ainsi capable d’exercer un réel contrôle sur les représentants, sans les brider dans leur fonction législative. Sous le Consulat et l’Empire, il développe cette idée malgré la censure politique de plus en plus contraignante. 7 En 1808, il participe à la conspiration du général Malet. Longuement interrogé par la police, Bazin tente de se protéger en gardant le silence, ou en répondant de façon évasive, lorsqu’il est contraint de reconnaître l’existence de certains liens avec des personnes compromises16. Sa fidélité au secret partagé lui vaut de terminer l’Empire dans les geôles où il demeure six ans et réalise, de son propre aveu, des rencontres fructueuses avec des proscrits royalistes17. Un an auparavant, en 1807, Bazin avait attiré l’attention de la police par une publication : Les Lettres philosophiques, de parution régulière, qui se donne pour but « d’ouvrir entre toutes les personnes éclairées une correspondance publique, où les opinions diverses sont soumises à un libre examen »18. Dans un contexte qui voit les libertés politiques davantage réduites, par la suppression du Tribunat, ou par l’interdit fait aux rédacteurs de La Décade de ne plus faire paraître leur journal, l’initiative de Bazin ne manque pas de faire sens et signifie un acte de résistance politique notoire. Dans la mesure où la police impériale veille de façon efficace et où l’autocensure est également perceptible, le texte livre autant d’indices qu’il le peut. Ainsi, l’auteur s’attache d’abord à préciser qu’» aujourd’hui, le mérite a droit aux emplois... voilà la vraie liberté. Partout où de tels principes sont proclamés par le législateur, il y a des citoyens : uploads/Politique/ ahrf-442.pdf

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