46 African Humanities, 4, pp.46-67, December 2018 Revues des Sciences Sociales/
46 African Humanities, 4, pp.46-67, December 2018 Revues des Sciences Sociales/Journal of Social Sciences ISSN 2071-1212 Copyright © Coredec 2018 African Humanities Vol.4 ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE LA CARICATURE ZOOMORPHIQUE AU CAMEROUN EN CONTEXTE DES « QUESTIONS DEMOCRATIQUES » (1990-1996) Amina Djouldé Christelle Université de Ngaoundéré-Cameroun Département d’Histoire et Community Research and Development Center (COREDEC-Ngaoundéré) a.kristy007@gmail.com Résumé : Cette étude met en exergue les manières visuelles de restitution et de fabrication des imaginaires zoonymiques caustiques mises en circulation dans le champ politique au Cameroun. Inscrite dans la perspective de la politologie picturale, elle traite des paradigmes des rapports du politique à l’animal dans la production endogène de la pictographie chargée. Il s’agit précisément de dégager l’opérationnalisation des usages politiques de la grammaire caricaturale zoomorphique dans une logique duale qui combine péjoration et dithyrambe. Autrement dit, l’analyse montre d’une part que la production de l’imagerie animalière caricaturale constitue une modalité de déconstruction symbolique du politique et de remise en cause de la légitimité de l’ordre gouvernant. D’autre part, il en ressort que le politique transforme en sa faveur, ces usages contestataires des codes picturaux animaliers tout en opérant une capitalisation de la métaphore zoonymique chargée qui en découle. Introduction Cette étude examine les mobilisations imagologiques de l’animal dans la caricature camerounaise comme modalité artistique d’imagination politique. Elle vise à mettre en exergue les manières visuelles de restitution et de fabrication des imaginaires zoonymiques caustiques mises en circulation dans le champ politique. L’analyse qui se veut une réflexion de politologie picturale traite des paradigmes des rapports du politique à l’animal dans la production endogène de la pictographie chargée. Il s’agit précisément de dégager l’opérationnalisation des usages politiques de la grammaire caricaturale zoomorphique dans une logique duale qui combine 47 African Humanities vol.4 C. Amina Djouldé péjoration et dithyrambe. Dans cette veine, l’ossature de ce travail se forge autour de l’idée selon laquelle, la créativité caricaturale zoomorphique est un moyen artistique de dire et de penser le fait politique au Cameroun. Autrement dit, la référence animalière dans le dessin chargé n’est pas que discursive. Elle est également une entrée pour saisir la trajectoire de la dynamique des rapports de forces entre les différents acteurs du jeu politique. Cette manière de décrypter le fait politique par la rhétorique figurative animalière a été largement abordée dans les champs de la fiction littéraire (Mabanckou 2006, Nganang, 2001, Kourouma, 1998), de la philosophie (Lassi, 2007, Agamben, 2006, Dérrida, 2006, 2009, Chopard, 2000), et de la politologie (Bacot & Baratay (eds), 2003, Potocky & Schober, 2003). Cependant, à contrario de ces littératures qui négligent la dimension d’analyse iconographique, ce travail réflexif s’appuie sur la grammaire caricaturale zoomorphique comme entrée pour saisir la réalité politique (Doizy & Houdré, 2010, Bacot & Mayaud, 2003, Mbembe, 1996, Duprat 1993). En général, les productions littéraires qui prennent le graphisme de la charge pour objet d’étude politique font l’économie de la valorisation du zoomorphisme caricatural sous le prisme de la satire des entrepreneurs politiques (Gardes, 2003, Perthuis, 2002 Sandras-Fraysse, 2002) des nations et Etats (Koch, 2015, Doizy & Houdré, 2010) et de l’indiscipline picturale (Mbembe, 1996). Quel que soit l’orientation des analyses, il ressort que, l’ancrage des réflexions sur la zoomorphie caricaturale du politique se fait selon « le double processus de l’animalisation de l’homme et l’humanisation des animaux » (Lassi, 2007 :87). En des termes plus explicites, les images bestiales sont pensées comme le double des personnalités politiques illustrées. Cette manière symétrique de présenter le politique à partir de l’image chargée prend ses racines dans la théorie de la Physiognomonie. Telle qu’énoncée par J.K Lavater, la théorie de la Physiognomonie renvoie à l’idée selon laquelle chaque espèce animale représente un trait de caractère qui, lorsqu’il se retrouve chez l’homme est indissociable de son apparence (Lavater, 1820). Pour ainsi dire, d’après J.K Lavater, le caractère animalier est cet autre l’alter égo de l’homme. La théorie de Lavater succède à la philosophie d’Aristote pour qui, « L’homme est un animal politique » (Aristote, 1990). Néanmoins, il faut noter, de la formule d’Aristote, que le logos qui signifie à la fois parole et raison est le marqueur identitaire qui différencie l’homme de l’animal. La parole permet à l’homme de communiquer ses affects et ses pensées. Elle lui permet de débattre sur les affaires de la cité et de ce fait de participer à l’activité politique. Ainsi, l’homme qui est un animal a la particularité de devenir un politique à partir du moment où il parle. Contrairement à Aristote, la théorie derridienne proclame une indifférenciation entre 48 African Humanities vol.4 Anthropologie politique de la caricature….. l’homme et l’animal sous le prétexte de la parole. Jacques Derrida selon une démarche déconstructive considère que l’animal communique et c’est faute de prêter attention que les humains ne les entendent pas (Derrida, 2006 : 93). De ce fait, en reconnaissant le logos chez l’animal, Jacques Derrida l’établit comme sujet1. De cette sorte, la reconnaissance de l’animal comme sujet donne lieu à une possibilité d’inversion des rôles (Lassi, 2007 :89). L’animal peut être mué en homme, tout comme il est possible de muer l’homme en animal. Si pour Aristote, la parole est la caractéristique de l’homme comme animal politique, Jacques Derrida établit l’animal comme alter égo de l’homme puisqu’il est aussi doté de parole. Tandis que J.K Lavater, insiste sur les traits de caractères animaliers pour situer la bestialité chez l’homme. Ceci étant, entrevoir l’animalisation du politique sur la base de la parole et du comportement bestial a favorisé l’orientation des réflexions sur la zoomorphie picturale du politique sous le prisme de la théorie du miroir (Koch, 2015, Marin, 1993 : 25-39). Dans le champ de l’image, la théorie du miroir est un dispositif analytique qui permet d’appréhender la production iconographique de l’homme comme étant son propre reflet. Pour ce qui est du domaine spécifique de la caricature, il convient de préciser que cet art est généralement valorisé comme le miroir déformant de l’homme et de sa société (Heller & Anderson, 1992). Conséquemment, produire une caricature du politique revient à lui renvoyer son image sous l’angle de la charge. L’approche réflexive de l’image dans le dessin satirique est au cœur des cogitations d’Achille Mbembe sur la caricature politique camerounaise. Analysant le graphisme chargé de Paul Biya, le penseur de la postcolonie met la caricature en exergue comme le double négatif du président de la République (Mbembe, 1996). La 1 Il faut noter que Derrida dans sa posture de subjectivation de l’animal procède à la déconstruction de l’anthropocentrisme. Pour cet auteur, la disqualification de l’animal par l’humain rentre dans les logiques de carnophallogocentrisme qui est une forme de discrimination à l’origine de toute autre forme de discrimination sociale. Ainsi, le fait de reconnaitre et d’attribuer le langage à l’animal est pour Derrida une manière de nier l’exclusivité de la puissance humaine. La théorie derridienne intervient au moment de l’émancipation du postmodernisme caractérisé par la remise en cause des schèmes classiques de pensée. Dans ce contexte, Derrida s’est permis de refuser à l’homme la toute-puissance de sa raison en lui reconnaissant un alter égo bestial. Ce dernier fait partie de lui et influence sa capacité d’action sociale qu’elle soit positive ou négative. En s’appuyant sur les considérations culturelles observables dans nombres de sociétés au Cameroun, cette théorie de Derrida a tout un autre sens. La personnification des animaux ne signifie en aucun cas leur subjectivation. En général, les personnages animaux sont dotés d’un comportement social humain mais ils ne perdent en aucun cas leur référent caractériel type à leur nature animal. De même que l’attribution d’un caractère bestial à l’homme renvoie à la désignation d’un comportement culturel significatif. Les animaux sont des référents symboliques pour penser, réguler et codifier la société. Ce n’est pas pour autant que l’animal est un sujet pensant au même titre que l’Homme. 49 African Humanities vol.4 C. Amina Djouldé conception mbembeiste du double négatif dans la caricature a cet avantage qu’elle permet de réfléchir les disfonctionnements étatiques par le biais de l’indiscipline picturale du corps du président. Toutefois, elle a cette faiblesse que le filtre de l’imaginaire du rapport à l’objet caricaturé reste calqué selon le modèle de la symétrie. Autrement dit, le signe pictographique satirique du politique est une sorte de copie de celui-ci. Du coup, cette approche aussi intéressante qu’elle soit ne permet pas d’entrevoir la « dimension cachée » (Hall, 1966) du discours visuel satirique lorsqu’il s’agit de décrypter le zoomorphisme caricatural. D’où la nécessité de dépasser l’acception du double négatif et d’articuler l’ancrage théorique de cette analyse autour de la théorie du miroir inversé. Pris dans le cadre de cette étude, le miroir inversé est cette opération réflexive qui pense la caricature zoomorphique comme étant une image qui transforme l’objet représenté par mutation de sa propre représentation. C’est dire simplement que, la zoomorphie caricaturale du politique, au lieu d’être une image réfléchie, est une transformation conjuguée de la corporéité humaine en celle de l’animal qui est contraire à ce qu’il représente dans la réalité. Par caricature zoomorphique politique, il est entendu l’attribution chargée de la uploads/Politique/ anthropologie-politique-de-la-caricature.pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 14, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 1.2412MB