THOMAS D’AQUIN ET L’ANALOGIE THÉOLOGICO-POLITIQUE DU BIEN COMMUN Antoine Barlie

THOMAS D’AQUIN ET L’ANALOGIE THÉOLOGICO-POLITIQUE DU BIEN COMMUN Antoine Barlier Institut Catholique de Paris | « Transversalités » 2016/3 n° 138 | pages 13 à 31 ISSN 1286-9449 ISBN 9791094264089 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-transversalites-2016-3-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Institut Catholique de Paris. © Institut Catholique de Paris. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il faut en effet distinguer ce que nous qualifions de « théologie politique » chez saint thomas et le schème théologico-politique au sens de carl schmitt dans ses deux essais éponymes. dans le premier essai, le théologico-politique se définit comme la sécularisation, au sein de la théorie moderne de l’État, de concepts théologiques, dans leur développement historique comme dans leur structure systématique2. cette transposition politique de concepts théologi- ques ne peut pas convenir à la « théologie politique » de thomas d’Aquin, qui apparaît bien plus comme l’adoption d’un regard théologique ou théologal sur les fondements du bien commun. La difficulté à distinguer le théologico-politique dans ces deux pensées s’accroît néanmoins lorsque nous y introduisons la notion d’analogie pour rendre compte de l’articulation entre les usages divers de la notion de « bien commun » dans l’œuvre de thomas d’Aquin. car, dans son deuxième essai, schmitt définit aussi le théologico-politique à travers la notion plus large 1. cette contribution est la publication partielle d’un mémoire de master 2 soutenu le 30 juin 2014 à la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, par Antoine Barlier, séminariste de la communauté saint-martin, sous la direction de madame Émilie tardivel-schick. 2. cf. carl schmItt, Théologie politique I, Paris, gallimard, 1988, p. 46. 13 Transversalités, Juillet-sept. 2016, n° 138, p. 13-31 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris d’analogie de structure3. mais la définition de ce type d’analogie fait également sentir la distance du théologico-politique schmittien et de la « théologie politique » thomasienne: la perspective thomasienne investit d’abord le champ de la finalité politique et non celui des structures organi- satrices du politique. comment pouvons-nous donc rendre compte de la singularité et de la fécondité de la doctrine thomasienne du bien commun à partir de la notion d’analogie théologico-politique? L’œuvre politique de thomas d’Aquin, que nous étudierons surtout à partir de la Somme de théologie, fait apparaître plusieurs usages distincts de l’expression « bien commun » (bonum commune). si les analyses habituelles du corpus thomasien retiennent surtout l’usage politique désignant le bien de la cité, de la communauté ou de la société politique, nous pouvons pourtant constater que l’Aquinate, s’appuyant sur la tradition patristique, en particulier augustinienne, retient un autre usage. Les Pères de l’Église, et saint Augustin en particulier, utilisaient la notion de bien commun dans un cadre théologique. La thèse qui sera la nôtre est que thomas d’Aquin conserve cette compréhension tout en opérant une re-politisation partielle de l’expression, qui ne prend cependant pas la forme d’une sécularisation. c’est alors que cette transposition peut, d’après notre hypothèse, prendre la forme d’une compréhension analogique du bien commun, permettant d’appliquer le concept à différentes réalités unies par une forme de participation. une enquête historique sur les sources philosophiques et théologiques de la doctrine thomasienne du bien commun nous permettra de mieux discerner la cohérence de l’articulation entre les multiples occurrences de cette notion- clef de la pensée politique thomiste4. 3. cf. carl schmItt, Théologie politique II, Paris, gallimard, 1988, p. 160: « tout ce que j’ai avancé concernant le thème de la Théologie politique relève des affirmations d’un juriste sur une proximité de structure systématique, s’imposant du point de vue de la théorie et de la pratique du droit, entre concepts théologiques et concepts juridiques. » 4. nous nous permettons de renvoyer ici à la synthèse de politique thomasienne publiée récemment: François dAguEt, Du politique chez Thomas d’Aquin, Paris, vrin, 2015. dans son étude très précise, le Père François daguet, o.p., éclaire particulièrement deux points de la doctrine politique de thomas d’Aquin: le caractère fondamental de la notion de « bien commun » et l’importance du rapport à l’œuvre d’Augustin. dOssIEr 14 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris Les usages du bien commun hérités par saint thomas Les premières attestations À notre connaissance, la première attestation de l’expression « bonum commune » se trouve chez sénèque dans son traité De clementia, écrit probablement en 56 pour néron. Que la clémence soit de toutes les vertus celle qui convient le mieux à l’homme, comme étant la plus humaine, c’est une vérité évidente, non seulement parmi nous, qui voulons que l’homme soit considéré comme un être sociable, né pour le bien commun [communi bono], mais encore parmi ceux qui abandonnent l’homme à la volupté, et dont les paroles, comme les actions, n’ont d’autre but que l’intérêt personnel; car si l’homme doit recher- cher le calme et le repos, la vertu la plus appropriée à sa nature est celle qui chérit la paix et qui retient le bras prêt à frapper5. sénèque souligne l’importance de la vertu de prudence dans toutes les doctrines morales, c’est-à-dire à la fois celles qui prônent la recherche de l’intérêt personnel et celles qui orientent la vie humaine vers le bien commun, dans lesquelles se reconnaît l’auteur. L’orientation vers le bien commun est opposée ici à la recherche de l’intérêt personnel puisqu’elle correspond à la nature sociale de l’homme: l’homme est né (genitum) pour le bien commun, puisqu’il est un être sociable. nous voyons donc dans la doctrine morale de sénèque, proche de l’école stoïcienne, l’importance du bien commun dans le domaine moral: la finalité et l’orientation de la vie humaine ne sont pas individuelles, mais elles conduisent à un bien qui dépasse l’individu. dans le domaine strictement juridique, la pensée romaine donne une large place à l’idée de communauté, notamment dans le cadre de la propriété. Le droit romain distingue en effet la propriété commune – res communis – la propriété personnelle – res propria – et la propriété « de personne » – res nullius. Ainsi, si la mer, l’océan ou l’espace aérien constituent des res communes indisponibles à tout titre de propriété, l’air ou l’eau sont considérés comme des res nullius en elles-mêmes, sans propriétaire, mais pouvant faire l’objet d’une appropriation dans un but privé. nous ne trouvons 5. sÉnèQuE, De clementia, I, III, 2: « Nullam ex omnibus uirtutibus homini magis conuenire, cum sit nulla humanior, constet necesse est non solum inter nos, qui hominem sociale animal communi bono genitum uideri uolumus, sed etiam inter illos, qui hominem uoluptati donant, quorum omnia dicta factaque ad utilitates suas spectant; nam si quietem petit et otium, hanc uirtutem naturae suae nanctus est, quae pacem amat et manus retinet. » 15 thOmAs d’AQuIn Et L’AnALOgIE thÉOLOgIcO-POLItIQuE du BIEn cOmmun Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.202.207.6 - 01/06/2020 13:01 - © Institut Catholique de Paris pas chez thomas d’Aquin de trace explicite de cette tradition juridique, mais il apparaît plus que probable que ces concepts juridiques romains participent au climat intellectuel dans lequel se forge la doctrine juridico-politique du bien commun. L’apport postérieur de la tradition juridique romaine, surtout à partir de l’ère chrétienne, consistera à inclure le bien commun dans la définition de la loi. Le droit romain est l’une des sources de la pensée juridique et politique de thomas d’Aquin, qui cite à de nombreuses reprises le livre des Pandectes (533), notamment en son livre premier. Il y trouve les citations de plusieurs juristes et notamment des cinq juristes reconnus comme autorités par la Loi des citations, publiée en 426 par l’empereur: Papinien, Paul, ulpien, modestin et gaius. cependant, thomas d’Aquin ne tient pas en très haute estime uploads/Politique/ thomas-d-x27-aquin-et-l-x27-analogie-theologico-politique-du-bien-commun-pdf 1 .pdf

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