ARMÉE, POLITIQUE ET SOCIETE AU JAPON (1928-1946) Jean-Louis Margolin Compréhens

ARMÉE, POLITIQUE ET SOCIETE AU JAPON (1928-1946) Jean-Louis Margolin Compréhension du sujet Le sujet est centré sur l'armée, non pas dans ses entreprises guerrières (pourtant plus que notables sur la période : il ne faudra pas se laisser aller à la tentation de les narrer, même succinctement, au-delà d'évènements ayant une influence directe sur le sujet), mais dans son influence sur la vie politique et le fonctionnement de la société - puisque la dynamique militariste empêche pratiquement toute induction inverse, du politique ou du sociétal vers l'armée. Celle-ci est déjà en 1928 un Etat dans l'Etat ; elle devient progressivement l'Etat lui-même, ou peu s'en faut. Les enjeux de pouvoir s'accroissant en son sein, ses divisions anciennes se feront plus acerbes : il serait très erroné de la considérer comme un corps unifié. Il ne faudra pas non plus considérer la seule politique au sommet : l'encadrement de la population par des structures et une propagande issues de l'armée fait du Japon des années quarante bien plus qu'une dictature militaire. Il conviendra aussi de ne pas traiter du sociétal comme d'un simple appendice du politique : la société est militarisée, ne serait-ce que par l'explosion des effectifs qui dépendent des états-majors, sous les drapeaux ou dans les usines d'armement, mais aussi dans l'éducation, la culture, la vie quotidienne... La dynamique de la période doit être soulignée : elle va des premières atteintes à la primauté du pouvoir civil à une véritable éradication de l'armée du paysage japonais, d'abord par écrasement de ses ressources (y compris symboliques), puis par le mouvement de réforme piloté par l'occupant américain. Les étapes de la "prise du pouvoir" par les militaires seront soigneusement dessinées, et la période d'apogée de leur influence nettement mise en valeur : c'est à ce moment que les effets sociétaux sont les plus forts. Choix du plan Le plan chronologique s'impose sans contestation, les dates limites correspondant toutes deux à de fortes inflexions, et les dix-huit années qui les séparent ne constituant pas une période homogène. 1928 clôt une quinzaine d'années de tentatives d'instaurer un pouvoir parlementaire - ce qu'on appelle souvent la "démocratie Taishô", du nom de l'empereur régnant entre 1912 et 1926, qui fut marquée en particulier de l'instauration en 1925 du suffrage universel. C'est alors que le Premier ministre Tanaka Giichi, pourtant lui-même un militaire, n'ose sanctionner les officiers nippons stationnés en Mandchourie qui avaient entrepris d'assassiner le "seigneur de la guerre" chinois local, Chang Tso-Lin, dans le but de s'emparer de la riche province. Ce dernier projet ne sera mené à bien qu'en 1931, mais l'autorité de la Diète et des partis va désormais s'effriter rapidement, d'autant plus que la crise économique de 1929 déstabilise la société. Un véritable "double pouvoir" va se faire jour, jusqu'en 1936, l'armée imposant régulièrement ses vues aux ministres civils, et pénétrant de son idéologie le pays entier. Le putsch en apparence manqué de février 1936 correspond en fait à la prise du pouvoir, pour une décennie, par les chefs des forces armées. Les civils et même les partis gardent une certaine place, mais les officiers supérieurs cherchent à mettre en place un "Etat national de défense" largement calqué sur les modèles totalitaires du temps. Leurs efforts quelque peu confus sont cependant frustrés par les effets de la "sale guerre" de Chine, par la résistance du grand capitalisme à la caporalisation, et par leurs propres divisions, en particulier entre Armée et Marine. L'entrée dans la guerre du Pacifique marque une troisième période : pouvoir désormais absolu des militaires, sur la politique autant que sur l'économie et, au travers de l'instauration d'une "guerre totale", tendance à l'encasernement du Japon entier -ainsi que, dans une moindre mesure, des nombreux pays occupés. Le contrôle idéologique est à son comble, comme le prouve l'irruption du "héros-kamikaze". Même si les derniers mois du conflit, avec en particulier la désorganisation causée -et prouvée- par les bombardements marquent une fissuration du système totalitaire, c'est la capitulation d'août 1945 qui prouve d'un coup l'inanité du projet lui-même. Très vite politique et société, débarrassées de l'emprise militaire, se recomposent sur des bases nouvelles. Nous avons donc quatre parties, la dernière étant logiquement très courte, mais difficilement annexable à la précédente : on préférera la cohérence historique à la rhétorique. Dissertation Introduction L'armée est au Japon un élément central du projet de modernisation et de puissance établi au début de l'ère Meiji (1868). L'enrichissement du pays lié au développement économique est précocément consacré de manière prioritaire à la mise en place d'une puissante armée de conscription (1872-73) et aux industries liées à l'armement. Mais, à partir de 1928, les militaires vont parvenir à se placer au coeur de la vie politique, jusqu'à l'absorber presque entière aux alentours de 1941. Quelles furent les étapes de cette mise sous tutelle ? Comment expliquer la faiblesse d'un système parlementaire, qui capitule pratiquement sans combat ? Quelle dynamique joua-t-elle en faveur des militaires, et d'abord pourquoi parvinrent-ils à être considérés comme le sel de la terre japonaise, chargés d'une mission éminente ? La période d'apogée de la militarisation, après 1941, pose d'autres problèmes. Quels furent les mécanismes relayant l'idéologie national- impériale des cadres de l'armée vers les tréfonds de la société ? Quels furent les traits dominants de l'idéologie qui parvint à s'imposer un moment à la quasi-totalité des Japonais, et galvanisa leur résistance à l'adversité, jusqu'à l'absurde ? Il faudra aussi comprendre pourquoi l'armée ne constitua jamais une force réellement unifiée, ce qui entrava son projet de réorganisation totale du système politique et de la société. 1946, enfin, est comme le négatif -il vaudrait mieux dire le positif- de 1928 : l'armée, écrasée, disqualifiée, dissoute, perd en quelques semaines toute emprise sur le pays. Les éléments d'une démocratie apaisée -et démilitarisée- se mettent aussi vite en place, dans un consensus assez étonnant entre l'occupant américain et la masse de la population. Et la société se réinstitue, sans révolution, sur de nouvelles bases. I-1928-1936 : Le double pouvoir et la faillite du parlementarisme A-1928-1931 : La déstabilisation Les demi-échecs des années 1920-22 (retraits de l'essentiel des conquêtes réalisées en Chine et en Russie, limitation des armements navals) avaient permis au ministre des Affaires Etrangères Shidehara Kijuro d'imposer une diplomatie fondée sur l'expansion économique, le respect de l'unité chinoise et l'entente avec le monde anglo-saxon, entre 1924 et 1927. Mais le coup de force déjà cité en Mandchourie, et la tentative du Premier ministre Tanaka d'empêcher militairement l'intégration du nord de la Chine par le pouvoir central de Nankin vont non seulement introduire un processus de dégradation irréversible des relations extérieures du Japon, mais permettre aux militaires de conditionner de plus en plus la politique de leur pays. Leurs méthodes : la pression politique légale (menace de démission des ministres de la Guerre -armée- et de la Marine, traditionnellement des militaires, pour faire tomber le gouvernement), l'insubordination, et de plus en plus souvent l'assassinat (la première victime d'importance est le Premier ministre Hamaguchi, en novembre 1930, qui succombera quelques mois plus tard). La crise de 1929, tôt arrivée au Japon du fait des liens étroits, commerciaux et financiers, avec les Etats-Unis, va par ailleurs provoquer de très graves tensions sociales. Elle frappait en effet avec une extrême brutalité un monde rural déjà en difficultés depuis le début de la décennie. Pour les plus pauvres des Japonais, le rapprochement était facile, même s'il était abusif, entre leur misère et le récent pouvoir des partis et de la Diète. Les libéraux alors au pouvoir aggravèrent leur cas en recourant à des méthodes déflationnistes d'une grande orthodoxie, qui ne firent qu'accélérer la spirale dépressive. Or beaucoup de jeunes officiers des années vingt et trente étaient issus de familles paysannes pauvres, dont ils constituaient la seule espérance d'ascension sociale. Leur indignation prit la forme d'un anticapitalisme de droite, et d'un rejet du "désordre" démocratique au profit de ce qu'ils connaissaient : l'autorité, la hiérarchie, le nationalisme. L'armée vit donc se développer un courant "national- socialiste" au sens premier du terme, particulièrement dans ce bouillon de culture d'extrémistes et d'ambitieux qu'était l'armée "coloniale" du Kwantung. La jonction se fit assez rapidement avec divers autres groupes de mécontents : les extrémistes de droite, souvent par l'intermédiaire de sociétés secrètes expansionnistes, telles que le Dragon Noir, le Fleuve Amour ou la Fleur de Cerisier ; mais aussi de jeunes fonctionnaires "technocrates" et une partie du faible mouvement socialiste. B-Ultimes tentatives de résistance des partis parlementaires Le second coup de force de Moukden (septembre 1931), qui conduit à la mainmise sur une Mandchourie bientôt transformée en Etat fantoche (1932), voit l'armée du Kwantung se substituer à Tokyo dans des décisions engageant l'avenir du Japon. Deux tentatives de coups d'Etat ayant été déjouées de justesse en mars et en octobre 1931, les gouvernements successifs croient judicieux de se plier au fait accompli. Cela n'empêche pas le Premier ministre Inukai d'être assassiné en mai 1932 ; il n'est que la plus importante d'une impressionnante liste de victimes. Les militaires extrémistes exercèrent en effet, de 1931 à 1936, uploads/Politique/ armee-politique-et-societe-au-japon-1928-1946-jean-louis-margolin.pdf

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