Astérion Philosophie, histoire des idées, pensée politique 13 | 2015 La démocra

Astérion Philosophie, histoire des idées, pensée politique 13 | 2015 La démocratie à l'épreuve du conflit La guerre civile (mondiale ?) et le dialogue Schmitt-Benjamin The civil (world ?) war and the dialogue between Schmitt and Benjamin Ninon Grangé Édition électronique URL : http://asterion.revues.org/2628 ISSN : 1762-6110 Éditeur ENS Éditions Ce document vous est offert par Université Rennes 2 Référence électronique Ninon Grangé, « La guerre civile (mondiale ?) et le dialogue Schmitt-Benjamin », Astérion [En ligne], 13 | 2015, mis en ligne le 02 juin 2015, consulté le 03 janvier 2017. URL : http:// asterion.revues.org/2628 ; DOI : 10.4000/asterion.2628 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Astérion est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. http://asterion.revues.org Astérion, La démocratie à l’épreuve du conflit, no 13, mai 2015 La guerre civile (mondiale ?) et le dialogue Schmitt-Benjamin Ninon Grangé Ninon Grangé est maître de conférences habilitée à diriger les recherches en philosophie politique. Elle enseigne à l’Université Paris 8. Ses travaux portent sur la guerre civile, la tem- poralité politique, l’état d’exception, les fictions politiques et le droit, les dilemmes moraux, l’identité groupale, la mémoire collective et l’action. Elle a publié De la guerre civile (Paris, Armand Colin, L’Inspiration philosophique, 2009) ; son ouvrage Oublier la guerre civile, essai de stasiologie, paraîtra fin 2014 chez Vrin-EHESS (Contextes). Elle a dirigé Carl Schmitt : nomos, droit et conflit dans les relations internationales (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013) et Penser la guerre au XVIIe siècle (Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, 2013). Résumé Dans sa critique de la démocratie libérale de Weimar, Carl Schmitt s’oppose avant tout au pluralisme. La souveraineté de l’État qu’il veut maintenir prend la forme d’un présidentialisme renforcé ; il entend ainsi sauver la substance de la Constitution allemande contre la Constitution de Weimar. Walter Benjamin, sans se placer sur le même plan, critiquant le monde de l’après-guerre avant d’envisager une essence démocratique, rencontre Schmitt sur la notion de souveraineté. Alors que tout les éloigne, et malgré l’hommage explicite de Benjamin à la Théologie politique, l’hommage plus discret de Schmitt à Benjamin, l’impression qu’ils ne raisonnent pas avec la même définition de la souveraineté doit au moins être une hypothèse appelée à être démentie. Sur quoi véritablement se rencontrent-ils ? Le diagnostic du conflit et le constat sur une époque ne sont qu’une réponse partielle et à bien des égards insatisfaisante. En s’appuyant sur les analyses de Giorgio Agamben, on partira de la rencontre fugace entre Schmitt et Benjamin pour étudier un concept qui a le rôle de pivot chez l’un et chez l’autre : l’état d’exception, concrétisé par la guerre civile mondiale chez Schmitt, par la guerre civile muée en terreur chez Benjamin. Dans le jeu des concepts, le point de rencontre focalisant deux pensées très différentes est aussi un point de divergence. Cela nous amènera dans un premier temps à déterminer la guerre civile mondiale comme une signature, semi-concept ou illustration de concept, et dans un deuxième temps à redéfinir ce qui sous-tend ces deux conceptions : la temporalité politique en temps de crise de la démocratie. Mots clés guerre civile mondiale, signature, temps et histoire, Giorgio Agamben, Carl Schmitt, Walter Benjamin Abstract In his criticism of Weimar liberal democracy, Carl Schmitt mainly shows his opposition to pluralism. The State sovereignty that he wants to maintain takes on the form of intensified presidentialism and he thus intends to save the substance of the German Constitution against Weimar Constitution. Walter Benjamin, although he does not stand on the same level and criticizes the after-war world even before contemplating a democratic essence, agrees with Schmitt on the notion of sovereignty. While everything leads them apart from each other and in spite of the explicit tribute paid by Benjamin to Political Theology, Schmitt’s more discreet homage to Benjamin, the feeling that they do not argue according to the same definition of Ninon Grangé Astérion, La démocratie à l’épreuve du conflit, no 13, mai 2015 sovereignty must at least be considered as a hypothesis likely to become contradicted. What are they really agreed on ? Diagnosing the conflict and acknowledging an epoch are but a partial and unsatisfactory answer in many respects. Using Giorgio Agamben’s analyses, we will take the fleeting meeting between Schmitt and Benjamin as a starting point to study a concept that plays a pivotal role for both of them : the state of emergency being given concrete expression by civil world war with Schmitt, and by civil war turned into terror with Benjamin. In the interplay of the concepts the meeting point focusing two very different lines of thought is also a divergent point. This will lead us at first to define civil world war as a signature, a semi concept or the illustration of a concept and, subsequently, to redefine what underlies these two conceptions, i.e. political temporality in a time of crisis for democracy. Keywords civil world war, signature, time and history, Giorgio Agamben, Carl Schmitt, Walter Benjamin 1 La question du conflit en démocratie pourrait se satisfaire de l’examen des fondements – contractualistes, délibératifs – de celle-ci, de ses procédures, de ses institutions. Ce ne sera pas le cas ici. Il s’agira, pour penser le statut du conflit en démocratie, de se placer dans la situation du plus grand danger, dans une démarche par l’extérieur politique, dans une réflexion à la limite, aux bords, presque a fortiori. Je fais l’hypothèse qu’une telle démarche en dit autant, ou dit autre chose, de la démocratie, qu’une étude depuis son intérieur. Ainsi l’examen ne sera pas organique mais critique, de sorte que pourront être mis au jour des éléments de la démocratie qui ne sont pas apparents. 2 En ce sens, l’idée d’une évolution de la démocratie ne sera pas retenue, mais bien plutôt son caractère actuel. Aux antipodes d’une étude génétique, elle sera appréhendée en son moment le plus risqué, quand les sous-jacences font surface. On pourrait dater ce moment, celui des troubles, des heurts, du nazisme montant, de la social-démocratie avortée, de la révolution éteinte, celui de la période de Weimar. Cependant je préfère m’en remettre à la constante contemporanéité des penseurs, ici renforcée par leur vie et le pays commun où ils vivent, et en dépit – ou à cause – de leur positionnement politique complètement divergent qui n’est pas contradictoire avec des réflexions sur le politique qui peuvent se rejoindre. 3 Avec le dialogue, faux dialogue, rare, silencieux mais bien critique, entre Benjamin et Schmitt, nous sommes immédiatement dans la sphère de la critique du libéralisme politique. Schmitt, tout en assimilant, dans sa critique, le libéralisme politique et la démocratie parlementaire, mais en maintenant l’idée d’un État de droit, s’en remet ultimement à un esprit de la démocratie qui ne nous est pas nécessairement étranger1. Quant à Benjamin, l’idée démocratique semble encore moins apparente que chez Schmitt. Mais si l’on pense trouver un ennemi de la démocratie en la personne de Schmitt, on est rapidement détrompé ; si l’on croit trouver un démocrate en Benjamin, on l’est pareillement. Il n’est pas dans mon propos de considérer Schmitt et Benjamin comme en une « coincidentia oppositorum »2, mais bien de les reconnaître et les confirmer en « accord divergent »3. La rencontre se fait, au prix des « relations dangereuses » que Benjamin se reconnaissait, que certains de ses amis lui reprochaient, mais qui lui ont aussi à l’évidence permis de penser, même si l’admiration se contraint 1 Beaucoup d’encre a été dépensée pour analyser la pensée de la démocratie de Schmitt au-delà de sa critique de la démocratie libérale, bourgeoise, parlementaire. Il me semble cependant que la remarque de Jean-François Kervégan est non seulement frappée au coin du bon sens, mais également particulièrement éclairante sur la pensée de Schmitt : voir J.-F. Kervégan, Que faire de Carl Schmitt ?, Paris, Gallimard (TEL), 2011. 2 E. Traverso, À feu et à sang : la guerre civile européenne 1914-1945, Paris, Stock, 2007, p. 292. 3 J. Taubes, En divergent accord, à propos de Carl Schmitt, trad. P. Ivernel, Paris, Payot et Rivages, 2003. le dialogue Schmitt-Benjamin Astérion, La démocratie à l’épreuve du conflit, no 13, mai 2015 en éloignement, au premier chef en raison de l’antisémitisme de Schmitt ; puis les chemins se séparent, où la subtilité est aussi radicalité. Car c’est bien de radicalité qu’il s’agit, chez l’un et chez l’autre, pour définir ce qu’est finalement, au bout et au-delà de la démocratie, le politique conflictuel. Politique à la racine et radicale critique de la démocratie, donc. 4 À cet égard, je voudrais m’arrêter à un « concept » – il faudra vérifier si c’en est bien un – commun à Schmitt et Benjamin, qui condense le danger extrême du conflit pour la démocratie : la guerre civile mondiale. Elle est explicite chez Schmitt qui, disons-le sans plus ample démonstration, ne saurait être assimilé à un penseur du totalitarisme4 ; elle revêt la forme de la guerre uploads/Politique/la-guerre-civile-mondiale.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager