Raymond Aron Introduction à la philosophie politique Démocratie et révolution R

Raymond Aron Introduction à la philosophie politique Démocratie et révolution Références inédit 1 INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE POLITIQUE Paru dans Le Livre de Poche : LEÇONS SUR L'HISTOIRE LE MARXISME DE MARX LE SPECTATEUR ENGAGÉ RAYMOND ARON INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE POLITIQUE Démocratie et révolution LE LlVRE DE POCHE ©Éditions de Fallois, 1997. ISBN: 978-2-253-90536-3 -tre publication- LGF AVERTISSEMENT Entre l'année 1938 où il fut chargé d'une maîtrise de conférences à la Faculté des lettres de Bordeaux et l'année 1955 où il a rejoint la Sorbonne, Raymond Aron n'a pas enseigné dans l'université. La guerre puis le journalisme l'avaient éloigné de l'alma mater. Mais il ne renonça pas à l'enseignement et donna quelques cours à 1 'Ecole nationale d'administration et à l'Institut d'études politiques de Paris de 194 7 à 1955. On a conservé l'un d'eux, celui qui fut pro- fessé à l'ENA en treize leçons, du 21 avril au 17 octobre 1952. Ce texte, tel qu'il a été prononcé et à peine retouché par lui, avait été dactylographié pour être mis à la disposition des élèves, comme il en était alors d'usage rue des Saints-Pères. Le voici enfin publié en livre. Celui qui le lira y découvrira l'un des plus grands professeurs des années d'après-guerre. La maîtrise de Raymond Aron, sa clarté que mettait en valeur une voix de bronze, son visage animé, ses gestes mesurés, son regard d'un bleu profond tourné vers ses auditeurs pour saisir leurs interrogations, ce frémissement contenu qui lui était propre, sa pensée parfois ironique, toujours précise, dévoilant l'une après l'autre les facettes du sujet pour faire apparaître l'essentiel, en faisaient, dans le genre universitaire, un orateur exceptionnel. La transcription de ses conférences ne peut certes donner qu'une idée approchée d'un art oratoire caracté- risé par la limpidité de l'expression, par le mouvement 8 Introduction à la philosophie politique de l'argumentation, par la force de synthèse, mais elle offre au lecteur d'aujourd'hui une précieuse introduction à la philosophie politique tout en conservant les princi- pales vertus de l'exposé oral. Le cours, dont ce livre est issu, était destiné aux élèves de la promotion Paul Cambon devenus depuis ambassadeurs de France, hommes politiques, dirigeants de grandes banques ou, comme 1 'on dit sans modestie excessive, hauts fonctionnaires. À l'ENA Raymond Aron se livrait à un exercice difficile. S'adressant aux élèves de cette déjà prestigieuse école, dans sa première leçon, il constatait que leur formation comme le souci de leur future carrière les éloignaient de la philosophie politique. Il admettait que par elle on ne pouvait sans doute rien apprendre sur les sujets décisifs de la fisca- lité ou de 1 'histoire diplomatique. Néanmoins il consta- tait « que ce cours particulièrement inutile, de ce point de vue, pouvait etre considéré comme particulièrement utile, en raison de sa gratuité meme». En effet, bien que la phi- losophie politique soit peu enseignée en France, bien qu'elle ne soit pas la discipline favorite des fonction- naires, seule cette forme de réflexion prépare véritable- ment au discernement et à l'action politiques, car renoncer à la philosophie politique revient à adopter une philosophie politique implicite, incertaine et peut-etre déraisonnable. C'est pourquoi ce que Raymond Aron va tenter d'expli- quer aux élèves de l'ENA en 1952 à propos de la démo- cratie et de la révolution - ou, comme il le disait lui-même en sous-titre de ses cours, du machiavélisme et du messia- nisme - reste utile au lecteur d'aujourd'hui quel que soit son métier ou sa vocation. Peu importe qu'il ait conduit à 1 'époque sa réflexion à partir de la Constitution de la Ive République et des régimes socialistes de l'est de l'Eu- rope qui ont les uns et les autres disparu. Comme il partait de la réalité historique contingente pour dévoiler les ques- tions permanentes que pose la vie démocratique et qui animent l'espérance révolutionnaire, on découvrira dans ces pages un guide stlr et stimulant pour penser soi-même sur les raisons et les passions de la politique. On y trouvera aussi une introduction à deux des œuvres maîtresses de Raymond Aron, car il développera à nouveau Avertissement 9 ces thèmes dans L'Opium des intellectuels, qui parut en 1955, et dans Démocratie et Totalitarisme, son cours de la Sorbonne en 1957-1958, publié en 1965 1• On voit ainsi que cet ouvrage que nous présentons au public se situe au cœur d'une œuvre dans laquelle l'enseignement le plus général et la réflexion la plus haute ne furent jamais séparés. Jean-Claude CASANOVA l. L'Opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, «Liberté de l'esprit», 1955 ; réédition Paris, Hachette, «Pluriel », 1991. Démocratie et Totalitarisme, Paris, Gallimard, «Idées», 1965 ; réédition Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1992. INTRODUCTION LES PHILOSOPHIES D'ALAIN ET DE MAURRAS Les philosophies politiques, autrement dit les efforts pour organiser systématiquement une interprétation des sociétés aboutissant à des conclusions pratiques, sont de structures très différentes. Dans certains cas, la philosophie se définit avant tout par une vision d'ensemble métaphy- sique ou religieuse. La philosophie explique la vie humaine ou en donne une certaine interprétation dans ses rapports soit avec le cosmos, soit avec l'histoire, et l'aboutissement politique est la conséquence de cette interprétation générale. Dans un deuxième type de philosophie politique, 1 'ac- cent est mis sur les problèmes propres à la vie en commun des hommes, tels qu'ils se révèlent dans l'expérience histo- rique. Les philosophies de ce dernier type comportent éga- lement un aspect métaphysique ou religieux, mais cet aspect est secondaire. Prenons tout de suite des exemples pour être plus clair. Et d'abord l'exemple de celui qui, dans la tradition occi- dentale, est peut-être le plus grand penseur politique ou, tout au moins, un des plus grands, Machiavel. Que Machia- vel ait eu une conception du cosmos et une conception re li- gieuse, c'est certain, mais ni l'une ni l'autre ne présentent d'originalité par rapport aux conceptions de son temps. Tout l'effort de sa pensée a été d'observer et d'analyser le train de la politique tel qu'il était, non pas tel qu'il devrait être, et d'en tirer un certain nombre de conséquences fondées sur 1 'expérience. Du même type que la philosophie de Machiavel serait la philosophie de Montesquieu ou la philosophie de Tocque- 14 Introduction à la philosophie politique ville. L'un et l'autre ont une certaine idée de l'homme, mais cette conception est assez banale. Leur apport original porte sur l'interprétation de la vie en commun et des condi- tions de la vie en commun. À 1 'autre extrémité de ces types de philosophie politique, on trouverait une philosophie comme celle de Kant, où l'objet propre de la politique, c'est-à-dire l'organisation de la vie en commun selon des relations d'autorité, figure à peine. Mais, en fonction d'une certaine conception de 1 'homme, Kant pose ce que doit être la politique. Cette opposition simplifiée reviendrait à dire que les uns cherchent surtout à voir comment fonctionne la politique, alors que les autres cherchent surtout à dire comment elle devrait fonctionner. Comme toujours quand on fait une opposition à deux tennes, il ne manque pas de cas qui n'entrent dans aucune des catégories. Platon a eu pour point de départ, et peut-être pour conclusion, de sa médita- tion les problèmes de la cité grecque. Il serait donc absurde de le mettre dans la catégorie des métaphysiciens ou des moralistes par opposition aux politiques. Mais, d'un autre côté, ce qui, pour nous, est le plus intéressant dans sa phi- losophie, ce n'est pas ce qu'il dit de la cité, mais ce qu'il dit de 1 'homme et des idées. On a parfois vu dans la philo- sophie de Platon celle d'un réactionnaire et il est parfaite- ment vrai que, si l'on regarde la place de Platon dans la cité grecque, Platon, Athénien admirateur de Sparte, est un homme de droite, pour employer le langage odieux du xxe siècle. C'est un homme typiquement conservateur, traditio- naliste, qui critique la démocratie et qui cherche, dans le modèle des sociétés autoritaires et stables, des leçons pour corriger la société athénienne. On peut donc interpréter Platon à la lumière de ses opinions politiques et des conseils proprement politiques qu'il donne, mais il va de soi que, au jou rd 'hui, nous intéresse en lui bien davantage sa philosophie de 1 'homme : le rôle du citoyen, la sagesse, le cosmos, les idées. Aujourd'hui, en France, il n'est pas question de faire une philosophie politique du type métaphysique, tout simple- ment parce qu'il n'y a pas de métaphysique, de conception du cosmos ou de conception religieuse qui soit acceptée par 1 'ensemble des citoyens. De plus, les philosophies qui sont Les philosophies d'Alain et de Maurras 15 aujourd'hui les plus à la mode ne sont pas spécialement riches du point de vue politique. Je crois que l'on peut dire, sans être accusé de mauvaises intentions, que la partie forte de l'existentialisme n'est pas sa politique. Jean-Paul Sartre ou Maurice Merleau-Ponty ont des opinions politiques, mais le rapport entre ces opinions et la philosophie existen- tialiste n'est pas immédiatement évident. Ils pourraient être existentialistes et uploads/Politique/ aron-raymond-introduction-a-la-philosophie-politique.pdf

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