Aout 2013 Numéro 23 Langues et cité Le berbère Le berbère / Tamazight en France

Aout 2013 Numéro 23 Langues et cité Le berbère Le berbère / Tamazight en France p.2 Politiques linguistiques et pratiques langagières p. 3 Le berbère au baccalauréat p. 5 Médias audiovisuels p.7 Transmission de la littérature orale p.8 Écritures berbères p.10 Parutions p.12 Les études berbères concentrent les questions et quelques faux problèmes qu’on se pose toujours avec les langues bousculées par l’Histoire : y a-t-il une langue ou plusieurs ? Quel nom lui donner, leur donner ? Combien de locuteurs ? Est-ce que ça s’écrit ? Par quel moyen ? Etc. Il est donc à propos de faire le point sur une des langues les plus couramment parlées en France, et souvent mal connue. Ces quelques pages présentent de manière claire et succincte la réalité du berbère dans les différents contextes où il se manifeste. En Afrique, en Europe, à l’école, dans les médias : dans tout le champ social. D’emblée le cas berbère confirme que le maintien et la vitalité d’une langue ne se conçoivent que dans une dynamique culturelle vigoureuse, où la littérature a la première place. La recherche en matière berbère a, depuis longtemps, partie liée avec la France. Et aussi la création artistique et la pensée politique. Ce numéro de Langues et Cité veut rendre compte de cette tradition et s’y inscrire. Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques 2 À l’échelle de l’histoire connue, le berbère (ou tamazight en berbère) peut être considéré comme la langue autochtone de l’Afrique du Nord. Il couvrait à l’origine l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Sahara. Le berbère est devenu minoritaire – voire pour partie menacé – à la suite d’un lent processus d’arabisation linguistique de l’Afrique du Nord consécutif à la conquête arabe et à l’islamisation (8e siècle), puis à l’arrivée de populations arabes nomades venues du Moyen-Orient (11e siècle). Tamazight est dispersée en ilots d’importance très variable – de quelques milliers à plusieurs millions d’individus – sur un territoire immense. Les principaux pays concernés sont le Maroc (40 % de la population) et l’Algérie (25 %) qui, à eux seuls, doivent compter 80 % des 23 à 25 millions de berbérophones. En dehors des Touaregs, dispersés sur cinq pays de la zone saharo-sahélienne (Niger, Mali, Algérie, Libye, Burkina-Faso), il existe des groupes berbères en Libye (10 %), en Tunisie (1 %), en Égypte (Siwa) et en Mauritanie. Longtemps occulté, voire ouvertement com­ battu en Algérie, le berbère ne bénéficiait, jusqu’aux années 1990, d’aucune forme de reconnaissance ou de prise en charge dans les États concernés. Récemment, le statut institutionnel et juridique de la langue s’est progressivement amélioré : en Algérie d’abord, où le berbère est depuis 2002 « seconde langue nationale », l’arabe demeurant « langue officielle et nationale » ; puis au Maroc depuis juillet 2011 où il a acquis le statut de « seconde langue officielle ». Les effets de ces évolutions statutaires ne sont pas encore très significatifs – dans l’enseignement comme dans la vie publique – et il faudra sans doute encore de longues années de luttes et de progrès pour que le berbère ne soit plus une « langue dominée et marginalisée ». Autrefois confinées dans la ruralité et l’ora­ lité, profondément dévalorisées, la langue et la culture berbères font désormais l’objet d’une forte demande sociale. Dans une région comme la Kabylie où l’éveil identi­ taire et culturel est ancien et très marqué, la revendication prend même des formes ouvertement politiques. La défense de la langue, l’affirmation des droits culturels des Berbères se traduisent dans toutes les grandes régions berbérophones par une dynamique culturelle vigoureuse, notamment en matière de production littéraire et de passage à l’écrit. Les Berbérophones écrivent de plus en plus leur langue ; des formes littéraires nouvelles s’acclimatent et se consolident (nouvelle, roman, théâtre). Et, après la radio, le disque, la cassette audio et vidéo et autres supports numériques, le berbère et la culture berbère ont fait leur apparition dans la presse écrite, la télévision et même sur internet où les sites sont extrêmement nombreux et actifs. En France Depuis le début du 20e siècle et surtout depuis la décolonisation, l’émigration de travail et l’exode rural très importants ont disséminé les berbérophones dans toutes les grandes villes et dans le vaste monde : Alger, Casablanca et… Paris sont les trois principales villes berbérophones. Le berbère en France est donc une vieille affaire, sécu­ laire même. Car l’immigration maghrébine vers la France (et l’Europe) a d’abord été berbérophone, aussi bien à partir de l’Algérie que du Maroc. Les foyers d’émigration les plus anciens sont la Kabylie (dès le début du 20e siècle) et, au Maroc, le Sous (après 1945). Ces régions ont été rejointes à date plus récente (dans les années 1960) par d’autres : les Aurès pour l’Algérie, le Rif pour le Maroc. La pauvreté des sols de leurs régions mon­ tagneuses d’origine, les densités démogra­ phiques importantes et les bouleversements de toutes natures induits par la colonisation puis la décolonisation expliquent le poids des berbérophones dans les mouvements migratoires vers la France. On estimera le nombre de berbérophones en France à près de 2 millions de personnes, composées pour 2/3 de berbérophones d’origine algérienne et pour 1/3 de berbé­ rophones d’origine marocaine, la grande majorité étant de nationalité française. La diversité des origines géographiques et de la chronologie a d’ailleurs un impact direct sur l’implantation territoriale : les Kabyles sont plutôt à Paris et dans l’Est de la France, les Rifains dans le Nord et à Amiens, les Chleuhs en banlieue parisienne… Un enracinement culturel ancien Depuis les années 1930 au moins, la France est un pôle important de la vie culturelle berbère, tout particulièrement kabyle ; Paris a été un des hauts lieux de la chanson kabyle puis berbère. La France a vu naitre tous les supports et vecteurs modernes de la culture berbère : disque, cassette, CD, vidéo, radio, TV, livre et écrit littéraire. Elle demeure un passage obligé pour les créateurs et artistes berbères : les chanteurs kabyles ou chleuhs obtiennent leur consécration sur les scènes de l’Olympia ou du Zénith de Paris. Au-delà des données démographiques, l’enra­ cinement berbère en France résulte aussi de la présence précoce d’élites diversifiées parmi les berbérophones : artistes, relais intel­ lectuels divers (étudiants, cadres politiques, fonctionnaires divers, hommes de lettres). La situation d’exclusion du berbère qui a LE BERBÈRE / TAMAZIGHT EN FRANCE Salem Chaker, professeur de berbère à l’université d’Aix-Marseille Carte de la berbérophonie 3 Références Chaker S., « Le berbère », Les langues de France (sous la direction de Bernard Cer­ quiglini), Paris, Puf, 2003, p. 215-227. Filhon A., Langues d’ici et d’ailleurs : trans­ mettre l’arabe et le berbère en France, Paris, INED, 2009, 285 p. Slimani-Direche K., Histoire de l’émigration kabyle en France au XXe siècle. Réalités culturelles et politiques et réappropriations identitaires, Paris, L’Harmattan, 1997. Tribalat M., Faire France. Une enquête sur les immigrés et leurs enfants, Paris, La Découverte, 1995. D epuis l’Antiquité, l’Afrique du Nord est un lieu de ren­ contres entre des langues et cultures variées. Jusqu’aux Indépendances nationales, les Berbères (Imazighen) – peuple autochtone de l’Afrique du Nord comptant environ 40 millions de locuteurs, dont environ 2 millions vivent en France – n’ont pas perçu que les langues et cultures berbères (amazighes) étaient en danger de disparition au profit d’autres langues et cultures. En effet, c’est avec la formation des nouveaux États-nations que la lutte pour les droits culturels, linguistiques et identitaires berbères a pris une forme « col­ lective ». La cause principale de ce mouvement multiple a été la mise à l’écart des Berbères de tout pouvoir décisionnel et institutionnel des nouveaux États nord-africains, malgré leur rôle dans l’obtention des Indépendan­ ces. Cette négation absolue des droits du peuple berbère s’est concrétisée, entre autres, par l’omission totale de la langue et culture berbères de la toute fraiche constitution au profit de la langue arabe classique, seule langue officielle dans les pays en question.1 La politique d’arabisation institutionnelle qui a suivi occupe toujours une posi­ tion centrale dans la politique linguistique des États-nations de l’Afrique du Nord et, de ce fait, aussi dans la diaspora, où des accords bilatéraux avec les pays d’accueil contribuent à la situa­ tion sociopolitique défavorisée des langues et cultures berbères. Ainsi, par exemple, l’ELCO (Ensei­ gnement des langues et cultures d’origine) qui a été mis en place en France à partir de 1973 par le biais de ces accords n’a jamais permis d’enseigner les langues berbères, pas même après le premier juillet 2011, date à partir de laquelle elles ont acquis un statut « officiel » au Maroc. Le rôle de la diaspora dans le mouvement berbère Il a fallu attendre les années qua­ tre-vingt-dix pour que s’amorcent des changements au niveau de la position sociopolitique des lan­ gues et cultures berbères, grâce aux mouvements revendicateurs 1  À l’exception du Niger, Mali et Burkina Faso où le touareg est reconnu comme langue nationale depuis les Indépendances. dont la manifestation la plus sym­ bolique était Tafsut n Imazighen (le uploads/Politique/ berbere 1 .pdf

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