D. Clerget-Gurnaud ECS2-2020/21- L’ANIMAL 2) PLATON (2/2) : L’ ANIMAL EN L’HOMM
D. Clerget-Gurnaud ECS2-2020/21- L’ANIMAL 2) PLATON (2/2) : L’ ANIMAL EN L’HOMME Si Platon conteste donc qu'on puisse fonder l'opposition de l'Homme et de l'Animal dans une perspective naturaliste, il ne prétend par conséquent aucunement que cette opposition serait sans pertinence. Elle est sans pertinence biologique, mais elle se justifie parfaitement au niveau ontologique. Car si rien de significatif ne semble distinguer l'Homme de l'Animal du point de vue biologique (l’homme serait un « bipède sans plume »), un gouffre les sépare en revanche du point de vue ontologique (l’homme est une âme immortelle)... le même gouffre qui sépare le monde sensible et le monde intelligible. Mais ce gouffre, et c’est là le point important, ne passe pas uniquement entre l'Homme et l'Animal. Il passe à l'intérieur même de l'Homme en tant que ce dernier est un être hybride, composé d'une âme immortelle et d'un corps mortel. Cette composition mixte a pour effet de brouiller les contours de l'humanité, puisque l'Homme est une figure composite logée entre les animaux et les dieux. Sa nature intermédiaire, « démonique », fait de son identité quelque chose de flottant, également susceptible de pencher du côté du divin que de verser du côté de la bête. Aussi, deux dynamiques se croisent en lui, toutes les deux possibles : ou bien un devenir homme de l'animal, ou bien un devenir animal de l'homme. Ou bien un progrès, par une mise à distance de l'animalité ; ou bien un déclin, par un oubli du divin. I) De l’Animal à l’Homme : le récit de l’hominisation dans le mythe de Prométhée De la première dynamique témoigne le texte célèbre du « mythe de Prométhée » raconté par Protagoras dans le dialogue éponyme de Platon. Premier grand récit de l'hominisation de l'animal humain, ce récit raconte sous forme de mythe l'apparition du fossé anthropologique entre l'homme et l'animal : « Il fût jadis un temps où les dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les façonnèrent dans les entrailles de la terre d'un mélange de terre et de feu et des éléments qui s'allient au feu et à la terre. Quand le moment de les amener à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Epiméthée de les pourvoir et d'attribuer à chacun des qualités appropriées. Mais Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser faire seul le partage. Quand je l'aurai fini, dit-il, tu viendras l'examiner. Sa demande accordée, il fit le partage, et, en le faisant, il attribua aux uns la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes à ceux-ci, les refusa à ceux-là, mais il imagina pour eux d'autres moyens de conservation ; car à ceux d'entre eux qu'il logeait dans un corps de petite taille, il donna des ailes pour fuir ou un refuge souterrain ; pour ceux qui avaient l'avantage d'une grande taille, leur grandeur suffit à les conserver, et il appliqua ce procédé de compensation à tous les animaux. Ces mesures de précaution étaient destinée à prévenir la disparition des races. Mais quand il leur eut fourni les moyens d'échapper à une destruction mutuelle, il voulut les aider à supporter les saisons de Zeus ; il imagina pour cela de les revêtir de poils épais et de peaux serrées, suffisantes pour les garantir du froid, capables aussi de les protéger contre la chaleur et destinées enfin à servir, pour le temps du sommeil, de couvertures naturelles, propres à chacun d'eux ; il leur donna en outre comme chaussures, soit des sabots de corne, soit des peaux calleuses et dépourvues de sang ; ensuite il leur fournit des aliments variés suivant les espèces, aux uns l'herbe du sol, aux autres les fruits des arbres, aux autres des racines ; à quelques-uns même il donna d'autres animaux à manger ; mais il limita leur fécondité et multiplia celle de leurs victimes, pour assurer le salut de la race. Cependant, Epiméthée, qui n'était pas très réfléchi avait, sans y prendre garde, dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait et il lui restait la race humaine à pourvoir, et il ne savait que fait. Dans cet embarras, Prométhée vient pour examiner le partage ; il voit les animaux bien pourvus, mais l'homme nu, sans chaussures, ni couverture, ni armes, et le jour fixé approchait où il fallait l'amener du sein de la terre à la lumière » Cette première partie du célèbre mythe de Prométhée s'efforce de penser l'Homme à partir de l'Animal. De façon significative, dans ce mythe l'animal vient en premier et l'homme, tard venu, en dernier. Le mythe de Prométhée ne se contente pas de décrire l'apparition des animaux mais aussi l'apparition d'un équilibre écologique qui lui est contemporain : les avantages et les outillages respectifs dont disposent les animaux sont pensés sur un modèle d'équilibre général qui assure la perpétuité de chaque espèce : ainsi, l'équilibre entre les proies et les prédateurs est-il préservé par la fécondité limitée de ces derniers. Dans cette « histoire naturelle des espèces », l'homme apparaît comme une espèce tardive, animal qui ne se laisse reconnaître par aucun privilège ontologique particulier. Au contraire, il se caractérise par une situation de complet dénuement qui fait de lui un animal fragile ne disposant d'aucun des atouts sélectifs dont disposent les autres espèces. Vient alors, avec la compensation offerte par Prométhée, le saut ontologique qui distingue l'homme des autres animaux : « Alors Prométhée, ne sachant qu'imaginer pour donner à l'homme le moyen de se conserver, vole à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu ; car, sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile ; et il en fait présent à l'homme. L'homme eut ainsi la science propre à conserver sa vie (…) Quand l'homme fut en possession de son lot divin, d'abord à cause de son affinité avec les dieux, il crut à leur existence, privilège qu'il a seul de tous les animaux, et il se mit à leur dresser des autels et des statues ; ensuite il eut bientôt fait, grâce à la science qu'il avait, d'articuler sa voix et de former les noms des choses, d'inventer les maisons, les habits, les chaussures, les lits, et de tirer les aliments du sol. » Il n'est pas indifférent, dans cet avènement du proprement humain, que son arrivée coïncide avec le vol d'un privilège divin. L'hominisation de l'animal humain est une entrée abrupte dans la sphère du divin, par la maîtrise de la nature. Devenu homo faber, fabricateur d'outils, l'animal humain agit désormais par connaissance plutôt que par instinct. Et cette entrée triomphale dans la sphère noétique (la sphère de l'esprit) l'introduit non seulement au domaine de la technique, mais également au langage et à la religion... bref, à tout ce que nous appellerions aujourd'hui l'ordre de la « culture ». Le fossé ontologique qui sépare l'Homme de l'Animal semble donc passer sur la limite exacte entre l’inné et l’acquis. Mais le mythe ne s'arrête pas encore là. Et pour cause : tout disruptif qu'il soit par rapport à l'ordre de la Nature, l'ordre de l’acquis est toujours susceptible de se muer pour l'Homme en une seconde nature, une habitude ou une coutume qu'il suivra alors docilement et quasi-instinctivement. Si par la culture il est en mesure de maîtriser la nature, qu'est-ce donc qui lui donnera l'aptitude de maîtriser cette culture sinon l'art politique, l'art de fonder et d'organiser des cités ? « Avec ces ressources, les hommes à l'origine vivaient isolés, et les villes n'existaient pas ; aussi périssaient-ils sous les coups des bêtes fauves, toujours plus fortes qu'eux ; les arts mécaniques suffisaient à les faire vivre ; mais ils étaient d'un secours insuffisant dans la guerre contre les bêtes ; car ils ne possédaient pas encore la science politique dont l'art militaire fait partie. En conséquence ils cherchaient à se rassembler et à se mettre en sûreté en fondant des villes ; mais quand ils s'étaient rassemblés, ils se faisaient du mal les uns aux autres, parce que la science politique leur manquait, en sorte qu'ils se séparaient de nouveau et périssaient. Alors Zeus, craignant que notre race ne fût anéantie, envoya Hermès porter aux hommes la pudeur et la justice, pour servir de règles aux cités et unir les hommes par les liens de l'amitié. Hermès alors demanda à Zeus de quelle manière devait donner aux hommes la justice et la pudeur. Dois-je les partager comme on a partagé les arts ? Or les arts ont été partagés de manière qu'un seul homme, expert en l'art médical, suffit pour un grand nombre de profanes, et les autres artisans de même. Dois-je répartir ainsi la justice et la pudeur parmi les hommes, ou les partager entre tous ? -Entre tous, répondit Zeus ; que tous y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif uploads/Politique/ cours-4-platon-2 1 .pdf
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- Publié le Aoû 11, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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