1 Philippe Guillot La démocratie est-elle en crise ? Remarques préliminaires No
1 Philippe Guillot La démocratie est-elle en crise ? Remarques préliminaires Nous sommes ici en présence d’une question simple, au moins en apparence. Bien entendu, la réponse le sera beaucoup moins car il faudra peser l'essentiel des éléments qui entrent en ligne de compte – et ils sont nombreux ! – pour évaluer ce qui nous permettrait d'affirmer que la démocratie est en crise ou pas, et ce même si chacun de nous est prêt à donner un avis à l'emporte-pièce. Le propre de la dissertation est justement d'éviter ce type de réponse et de s'assurer, par la réflexion, de tout ce qui peut contribuer à l'argumentation. Il n'en reste pas moins qu'il faut éviter de biaiser. Un défaut fréquent des copies de CAPES tient au fait que, bien souvent, soit parce qu'on trouve la question trop simple, soit parce qu'on n'a pas grand chose à dire à son propos, on répond à côté de la question, voire à une autre qu'on aurait aimé voir posée ! Autrement dit, beaucoup de candidats, bien qu'étant de qualité, sont éliminés du concours – s'éliminent eux-mêmes… – par une (ou deux…) copie(s) hors- sujet. Rappelons ici qu'un tel devoir, même quand le hors-sujet n'est que partiel, aura nécessairement une note inférieure à la moyenne. Au problème posé ici, vous devez donc fournir une réponse aussi claire que possible, même si on s'attend à ce qu'elle soit nuancée. La proposition de corrigé qui suit tente, précisément, de le faire, sans pour autant prétendre être exhaustive. Elle espère simplement correspondre à ce qu'on est en droit d'attendre d'une (très ?) bonne copie le jour du concours. Proposition de corrigé C’est une banalité de dire que, dans les sociétés occidentales, la politique passionne de moins en moins les foules. Nombreux sont les indicateurs de cette désaffection, à commencer par la tendance générale à une augmentation de l’abstention lors des élections, le déclin des partis ou l’audience de plus en plus faible, à la télévision tout particulièrement, des émissions, d’ailleurs de moins en moins nombreuses, que l’on qualifie habituellement de « politiques ». Or ces sociétés sont connues pour être des démocraties, probablement les plus achevées de la planète. De là à se demander si ce type de régime est en crise, il n’y a qu’un pas. Si c’est le cas, cela signifie qu’il pourrait, à plus ou moins brève échéance, disparaître au profit d’un autre, par exemple une forme d’autoritarisme qui, elle-même, pourrait à son tour se muer en régime totalitaire. Cela s’est vu il n’y a pas si longtemps, dans la première moitié du siècle dernier, et même plus récemment. Beaucoup de ceux qui l’ont connu sont encore vivants et peuvent en témoigner. Et il ne faut pas croire que « la bête immonde » du nazisme, du fascisme ou du stalinisme est définitivement terrassée. Si le pire n’est jamais sûr, du moins peut-il renaître. C’est sans nul doute ce que se sont dits les manifestants de l’entre-deux-tours de la dernière présidentielle française, en 2002, lorsqu’ils ont manifesté, avant de retomber dans une certaine apathie, contre l’éventuelle élection d’un candidat susceptible, à leurs yeux, de mettre à ma la démocratie. On le voit, l’enjeu est d’importance. Pour savoir si la démocratie est en crise, il faut d’abord la définir, ce qui n’est pas si facile tant il vrai qu’on peut placer sous ce terme bien des choses. Pour faire simple, on peut affirmer, comme le rappelle la Constitution française de 1958, qu’elle est « le gouvernement du peuples par le peuple, pour le peuple ». Autrement dit, tous les individus, supposés égaux, 2 peuvent, et même doivent, participer à la gestion de la Cité (la polis grecque qui est à l’origine du mot « politique »). La démocratie serait donc le « gouvernement des citoyens », ceux-ci étant non seulement égaux, mais aussi libres. Ce régime garantit donc les libertés fondamentales, celles de penser ce que l’on veut, de l’exprimer, de s’associer, de se réunir, de circuler, etc. Dans sa forme la plus pure, il faudrait que tous s’occupent des affaires du pays. Ce type de démocratie a pu exister dans l’Antiquité eu égard au nombre restreint d’individus à qui la citoyenneté était reconnue, mais aujourd’hui, sauf exceptions très limitées, elle est remplacée par un système où les citoyens-électeurs désignent des représentants. C’est évidemment ce type de démocratie représentative, donc « impure » en quelque sorte, que nous allons examiner ici, puisque celui qui est, de loin, le plus répandu. Nous allons voir que, si les motifs d’inquiétude sont bien réels, il y a néanmoins aussi des raisons d’espérer ou, du moins, de ne pas désespérer. Si nous pourrons évoquer, ici ou là, le cas d’autres pays, il n’en reste pas moins que le cas de la France sera privilégié. I. Une situation critique Plusieurs motifs incitent à penser que la crise de la démocratie est bien réelle, qui tiennent à la fois à la participation des citoyens à la vie de la Cité et au fonctionnement des institutions. A. « La démocratie n’est pas un sport de spectateurs » Cette affirmation d’Antoine Bevort résume la première raison de s’inquiéter de l’avenir du régime démocratique dont on soulignera ici deux aspects essentiels : la montée de l’abstentionnisme et le déclin du militantisme politique et syndical. Le premier aspect, souligné par les médias lors de chaque élection, est bien connu. Il y a de moins en moins d’électeurs qui se déplacent jusqu’aux bureaux électoraux pour placer un bulletin dans l’urne. Si l’inscription sur les listes électorales, dans les pays où elle n’est pas automatique, est, selon Pascal Perrineau, « le degré zéro de la participation politique », le vote, une ou deux fois par an, n’est guère plus haut sur l’échelle de cette participation eu égard aux sacrifices qu’il suppose : s’informer pour pouvoir choisir en toute connaissance de cause et prendre quelques minutes ou dizaines de minutes sur son temps de loisir pour aller voter. Néanmoins, dans des populations pourtant mieux formées et plus informées, les abstentionnistes sont toujours plus nombreux, quelles que soient les élections, même s’il y en a qui intéressent plus que d’autres et drainent encore une majorité d’électeurs (en France, les élections présidentielles ou, à un degré moindre, les municipales) alors que d’autres sont massivement boudées. Ainsi, aux dernières élections au parlement européen, en 2004, ce sont environ 52 % des électeurs français inscrits qui n’ont pas voté, et 74 % de ceux des pays officiellement admis dans l’Union un mois auparavant ! En France, un tiers environ des abstentionnistes ne vont jamais voter. Ces abstentionnistes sont « hors-jeu », selon le mot d’Anne Muxel, dans la mesure où ils se sentent, à tort ou a raison, exclus du jeu politique. Ce sont surtout des jeunes (ou des très vieux) peu instruits, en majorité de sexe féminin et mal intégrés dans la société (pour cause de chômage, par exemple). Une majorité d’abstentionnistes, en revanche, vote de temps en temps, mais de moins en moins souvent. Quand ces électeurs votent, il y a de fortes chances qu’ils alimentent la masse croissante, même si elle est encore marginale, des bulletins blancs ou nuls, ou qu’ils s’expriment en faveur de candidats qui n’ont jamais eu, ou pas eu depuis longtemps, de responsabilités, ce qui a pour effet de gonfler le nombre de voix en faveur des extrémistes, de gauche ou de droite, qui proposent des solutions d’autant plus radicales qu’il y a peu de chances pour qu’ils aient à les appliquer, à moyen terme en tout cas. En France, ce vote protestataire profite surtout à ces derniers, le Front national à l’extrême droite de l’échiquier 3 politique, Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire à l’extrême gauche. Ainsi, à la présidentielle 2002, Jean-Marie Le Pen pour le premier, Arlette Laguiller et Olivier Besancenot pour les seconds, ont capitalisé près de 30 % des suffrages exprimés. Leur vision très critique de la démocratie telle qu’elle est pratiquée en France séduit une bonne partie de ceux qui considèrent que les politiciens forment une caste (« l’établissement » selon M. Le Pen, traduction littérale de l’anglais establishment) supposée coupée des réalités quotidiennes de M. Tout-le-monde, insuffisamment à l’écoute de l’opinion publique, plus soucieuse en fait de ses intérêts particuliers que de ceux du pays. Ils seraient également incompétents, puisqu’incapables de faire face à la fois à la « crise » économique, que manifeste le maintien d’un haut niveau de chômage, et à la mondialisation qui est accusée d’alimenter ce dernier en raison des délocalisations qu’elle engendre et de l’immigration qu’elle facilite. Pour certains électeurs, ils vendraient même notre pays à l’Europe, dont les règlements tatillons rédigés par des « eurocrates » murés dans leur tout d’ivoire ne tiendraient aucun compte des réalités du pays et dont la monnaie, l’euro, alimenterait la hausse du coût de la vie. Last but not least, la corruption y ferait des ravages, ce que semble corroborer la multiplication des « affaires » judiciaires. Ainsi, 83 % des personnes interrogées dans le cadre uploads/Politique/ democratie.pdf
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- Publié le Jan 04, 2022
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