Simon Deploige Le Conflit de la Morale et de la Sociologie (suite) In: Revue né
Simon Deploige Le Conflit de la Morale et de la Sociologie (suite) In: Revue néo-scolastique. 14° année, N°55, 1907. pp. 329-392. Citer ce document / Cite this document : Deploige Simon. Le Conflit de la Morale et de la Sociologie (suite). In: Revue néo-scolastique. 14° année, N°55, 1907. pp. 329- 392. doi : 10.3406/phlou.1907.2112 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-5541_1907_num_14_55_2112 XI. Le Conflit de la Morale et de la Sociologie. {Suite *). IV. LA GENÈSE DU SYSTÈME DE M. DURKHEIM 1). « La Sociologie, écrivait M. Durkheim en 1900, a pris naissance en France au cours du dix-neuvième siècle ; elle est restée, ajoutait-il, une science essentiellement française.» Et dans une revue rapide de l'histoire de la Sociologie, trois noms étaient par lui mis en vedette : Comte, le fon dateur ; Espinas, le restaurateur ; Durkheim, le représen tant actuel 2). *) Voir les numéros de novembre 1905, février, mai et août 1906. *) Bibliographie : A. Comte, Cours de philosophie positive, 6 volumes. Pans, 1830-1842. — A. Espinas, Des sociétés animales, 2me édition. Paris. 1878. — Les études sociologiques en France (Revue philosophique, t. X11I et t. XIV). Paris, 1882. — Être ou ne pas être ou du postulat de la sociologie (Revue philosophique, t. LI). Paris, 1901. — A. Fouillée, La science sociale contemporaine, 2me édition. Paris, 1885. — E. Renan, La réforme intellectuelle et morale. Paris, 1871. — A. Schâffle, Bau und Leben des sozialen Kôrpers, 2me édition, 4 volumes. Tubingen, 1B81. — G. Schmoller, Ueber einige Grund- fragen des Rechts und der Volkswtrtschaft, 1875. Réimprimé dans Ueber einige Grundfragen der Sozialpolihk und der Volkswirtschaftslehre, 2me édition. Leipzig, 1904. — G . S i m m e 1 , Einleitung in die Moral- wissenschaft, 2 vol. Stuttgart und Berlin, 1904 (Anastatischer Neudruck der Ausgabe von 1892). — A. Wagner, Grundlegung der politischen Oekonomie, 3me édition. Leipzig, 1892. — W. Wundt, Ethik, 3me éd., 2 volumes. Stuttgart, 1903. La première édition est de 1886. s) La Sociologie en France au XIXe siècle.. 330 S. DEPLOIGE Cette affirmation de M. Durkheim concernant l'origine et le caractère « français » de la Sociologie est partiell ement exacte. Et qui recherche, comme nous allons le faire, la genèse des idées de M. Durkheim, ne peut se passer de mentionner Comte et M. Espinas. S'il est excessif de dire que M. Durkheim est « le véri table successeur d'Auguste Comte » *), on ne peut méconn aître qu'Auguste Comte est, à son égard, non seulement un précurseur mais un inspirateur. M. Durkheim tient de lui plus que sa mentalité positi viste, avec son dédain de la métaphysique et sa prétention de « rechercher les seules lois des phénomènes » à l'exclusion de l'étude des « causes premières et finales ». Il lui doit, en particulier : l'idée même d'une « physique sociale » — la notion de l'interdépendance des phénomènes sociaux — la conception d'un nouvel art politique basé sur la science. « Les phénomènes sociaux, disait Comte 2), ne sont pas indéfiniment et arbitrairement modifiables parle législateur ; ils sont assujettis à de véritables lois naturelles 3), par conséquent aussi susceptibles de prévision scientifique que tous les autres phénomènes quelconques. » C'était affirmer la possibilité d'une science, — Comte disait d'une « phy sique sociale ». Les phénomènes, objet de la physique sociale, forment un système uni et cohérent, — Comte disait un « con sensus » . « Les diverses parties du système social exercent continuellement les unes sur les autres des actions et des réactions mutuelles » (Cours, t. IV, p. 324) ; ainsi, par exemple, « chacun des modes fondamentaux de l'existence l) B a y e t , La morale scientifique^ p. 106. ■) A . Comte, Cours de philosophie positive, 48e leçon ; tome IV, pp. 306 et suiv. *) « II y a, écrivait Comte en 1824, des lois aussi déterminées pour le développement de l'espèce humaine que pour la chute d'une pierre. » Lettres d'Auguste Comte à M. Valat, p. 138. Paris, 1870. LE CONFLIT DE LA MORALE ET DE LA SOCIOLOGIE 331 sociale détermine un certain système de mœurs co-relatives, dont la physionomie commune se retrouve chez tous les individus » (p. 398). Cela étant, « chacun des nombreux éléments sociaux, cessant d'être envisagé d'une manière absolue et indépendante, doit être toujours conçu comme relatif à tous les autres « (p. 325). Le sociologue dans ses recherches scientifiques, le moraliste dans ses juge ments de valeur, l'homme d'État dans ses projets de réforme sociale, tous doivent tenir compte du consensus. « Puisque lps phénomènes sociaux sont ainsi profondément connexes, leur étude ne saurait être séparée ; d'où résulte pour le savant l'obligation de considérer toujours simul tanément les divers aspects sociaux « (p. 352). Le moraliste de son côté « considérera toujours l'état social comme ayant été aussi parfait à chaque époque que le comportait l'âge correspondant de l'humanité, combiné avec l'ensemble de la situation» (pp. 387 et 389). Enfin le réformateur se persuadera de « la vanité de la recherche du meilleur gouvernement, abstraction faite de tout état social déter miné » (p. 309) ; il comprendra qu'il y a « solidarité entre le système des pouvoirs et des institutions politiques et l'état général de la civilisation correspondante » (p. 335). A quoi doit servir la physique sociale ? A fonder un art rationnel. « La physique sociale ne nous réduit pas à la simple observation passive des événements humains, sans aucune puissante intervention continue * (p. 405). « Les phénomènes sociaux sont modifiables. Toutefois les modifica tions demeurent toujours radicalement subordonnées aux lois fondamentales, soit statiques soit dynamiques, qui règlent l'harmonie constante des divers éléments sociaux et la fili ation continue de leurs variations successives » (p. 394) l). *) Comte ne précise pas davantage quand il répond à la question : « En quoi donc peuvent consister les modifications dont l'organisme et la vie politiques sont susceptibles?» (p. 395). « Sous le rapport dynamique, répond-il, l'évolution de l'humanité devra être conçue comme seulement modifiable, à certains degrés déterminés, quant à sa simple vitesse, mais sans aucun renversement dans l'ordre fondamental du développement 332 S. DEPLOIGB Mais grâce aux progrès de la Sociologie, « l'art politique prendra un caractère judicieusement systématique, en cessant d'être dirigé d'après des principes arbitraires tem pérés par des notions empiriques » (p. 405), En résumé, d'après Comte, « sans admirer ni maudire les faits politiques, et en y voyant de simples sujets d'ob servation, la physique sociale considère chaque phénomène sous le double point de vue de son harmonie avec les phé nomènes co-existants et de son enchaînement avec l'état antérieur et l'état postérieur du développement humain ; elle s'efforce de découvrir les relations qui lient entre eux tous les faits sociaux ; chacun lui paraît expliqué quand il a pu être rattaché soit à l'ensemble de la situation corres pondante, soit à l'ensemble du mouvement précédent, en écartant toujours toute vaine et inaccessible recherche de la nature intime des phénomènes. Conduisant, avec la préci sion que- comporte la complication des phénomènes, à la prévision des événements, la science politique fournit à l'art politique non seulement la détermination des tendances spontanées qu'il doit seconder, mais aussi l'indication des moyens qu'il peut y appliquer, de manière à éviter toute action nulle, éphémère ou dangereuse » (p. 408). — Le livre de M. Lévy-Brùhl l) — interprète autorisé de M. Durkheim — est-il autre chose qu'une amplification de ces quelques idées de Comte ? L'influence de M. Espinas a été moindre que celle de Comte. M. Durkheim ne lui a repris qu'une vue particulière; à savoir que la réalité sociale est d'ordre psychique et que continu et sans qu'aucun intermédiaire un peu important puisse être entièrement franchi» (p. 396). «C'est évidemment, ajoute-t-il, au dévelop pement direct de la science sociale à déterminer, en chaque cas, l'i nfluence propre et la portée actuelle de ce principe général, qui ne saurait aucunement dispenser d'une appréciation immédiate et particu lière de la situation correspondante » (p. 404). Cfr. A. Comte, Sys tème de politique positive, t. II, p. 427. Paris, 1852. x) La morale et la science des mœurs. LE CONFLIT DE LA MORALE ET DE LA SOCIOLOGIE 333 l'objet de la sociologie est de rechercher comment se forment et se combinent les représentations collectives. Quand M. Durkheim énonce comme une vérité acquise que « la vie sociale est tout entière faite de représentations » , on se demande de quelles observations personnelles ce propos est l'expression. Ce n'est en réalité que la conclu sion, empruntée telle quelle par M. Durkheim, de l'étude de M. Espinas sur les sociétés animales. « Une société est, d'après M. Espinas, une conscience vivante ou un organisme d'idées. Partout où naît une société, il y a un commerce de représentations... Les pensées des hommes sont capables d'acGord, de manière à former un consensus nouveau, un organisme d'idées et de volitions qui est la conscience sociale » 1). . Jusqu'ici, et réserve faite de sa dérivation plus éloignée, la sociologie uploads/Politique/ deploge-vs-durkheim.pdf
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- Publié le Dec 14, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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