PISTES POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUELLE DU DISCOURS POLITIQUE POPULISTE Alexandre Do
PISTES POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUELLE DU DISCOURS POLITIQUE POPULISTE Alexandre Dorna Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie » 2007/6 Numéro 492 | pages 593 à 600 ISSN 0007-4403 DOI 10.3917/bupsy.492.0593 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2007-6-page-593.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Groupe d'études de psychologie. © Groupe d'études de psychologie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Sans nier l’intérêt d’une approche psychocognitive du discours, au sens large du terme, c’est la nature même du discours politique qui (nous) oblige à reconnaître et à mettre en avant d’autres paramètres tout aussi importants : la société et ses dysfonctionnements, les situations historiques, les enjeux de pouvoir, la culture et ses normes, le tempo des processus sociaux, les projets collectifs, les sentiments partagés ou les sujets à polémique. Et, surtout, les idéologies. Le discours politique est une parole qui se « fabrique » plutôt par et dans le « dehors » que par et dans le « dedans » des acteurs politiques, au sein d’une dynamique complexe d’interactions, intelli- gible et cernable, à condition de se tenir à l’idée suivante : l’analyse du discours politique in situ se trouve doublement surdéterminée, en amont, par le poids des antécédents psycho-socio-culturels, qui agencent l’histoire et le vécu de la communauté humaine, en aval, par les perceptions d’avenir, les craintes et les projets collectifs, à l’aune d’un cadre concret d’existence. Voilà donc un regard plus perçant, fait d’une certaine distanciation, d’une compréhension de l’état de la cohésion sociale, du régime politique en place et surtout des idéologies (visions d’ensemble) qui constituent, forment et déforment les continuités et les ruptures dans le processus de transformation d’une même civilisa- tion. C’est de là que prend son élan et toute son importance, la perspective que nous attribuons à la psychologie politique (Dorna 1998, 2004) au cœur des sciences humaines et sociales ; celle-ci adopte une position heuristique transversale et intégrative, descriptive et critique, afin d’embrasser les éléments psychosociologiques de l’interaction communicative dans son contexte immédiat et loin- tain, pour mieux cerner et évaluer les éléments intellectuels et émotionnels qui font de la parole politique une praxis à visée persuasive. La tâche est donc difficile. Pour y parvenir, une stratégie méthodologique consiste à se pencher sur l’étude des cas extrêmes, afin de rendre la réflexion plus féconde. La « cuisine » empirique nous démontre, curieusement, que ce sont les comparai- sons et les caricatures qui facilitent la puissance évocatrice des composants fondamentaux d’un phénomène. Certes, il ne s’agit pas de trouver la quintessence des discours, mais de saisir, simple- ment, les traits qui caractérisent le mieux le fond du discours politique. En conséquence, suivant cette logique empirique, on peut se poser diverses questions. Quel est le type d’homme-discours qui utilise le plus (ou le mieux) les diverses gammes d’expression oratoire et les mécanismes de persua- sion ? Quelles sont ses caractéristiques idéologi- ques, par rapport à quelle situation ? La réponse est, à titre d’hypothèse de travail, qu’il s’agit, fort probablement, du discours d’un leader charismatique, au cœur d’une situation de crise sociétale qui s’inscrit dans une mouvance « populiste ». Le discours populiste, à coup sûr, est celui qui s’approche le plus des racines politiques, sociales et culturelles d’une société. C’est là que l’émotion marque un tempo soutenu, pour mieux saisir la subjectivité et ouvrir la brèche par où doit passer le contenu de l’acte communicatif. C’est une parole qui résonne (et raisonne) avec le sentiment de masses. Discours, enfin et par conséquent, éminemment persuasif. C’est là notre choix et le point d’arrivée de ces réflexions, conduites à la lumière de la littérature spécialisée, des données empiriques et d’une obser- vation participante significative sur le terrain de l’action politique. Bien entendu, il s’agit d’une esquisse et des propositions qui demandent une quête de vérité, évidement relative, en termes de confrontation d’opinions, plutôt que le passage à la moulinette expérimentale centré sur l’individu – toujours laborieux, méticuleux, et qui bute, fina- lement, sur l’incommensurable –, ou la sente des analyses psycho-logico-linguistiques, trop ancrées dans le « dedans » d’un sujet vidé de ses * UFR de psychologie, Université de Caen, esplanade de la Paix, 14032 Caen Cedex. 593 bulletin de psychologie / tome 60 (6) / 492 / novembre-décembre 2007 © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.155.80.30) © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.155.80.30) composantes sociales et politiques, soit de ses liens de consonance avec autrui et du « dehors » culturel. La description de certaines conditions contex- tuelles est indispensable pour aboutir à une problé- matisation du discours « hors de la linguistique du discours » et à l’esquisse d’une explication de la parole-politique-en-situation, ici le discours populiste. La première condition notable est le besoin de réexaminer le décor et l’enjeu épistémologique qui alimente ces réflexions, certes sans prétendre l’épuiser ; la seconde est de caractériser le phéno- mène charismatico-populiste, les conditions histo- riques et culturelles de son émergence ; la troi- sième, de relever les fonctions attribués au discours politique et le rôle de l’émotion ; enfin, la quatrième, de noter les observations pertinentes pour esquisser une grille d’indices qui se dégagent de la pratique communicative et de l’interaction de cet ensemble de variables. QUE DIRE DU SOCLE ÉPISTÉMOLOGIQUE DE L’ANALYSE DU DISCOURS POLITIQUE ? En premier lieu, la réflexion épistémologique s’est prodigieusement rétrécie au sein de sciences humaines et sociales, jusqu’au point de perdre de vue la perspective d’ensemble (il n’y a plus de grandes théories générales), elle s’est trop engagée sur une voie langagière, à travers les méandres d’un fleuve d’analyses, dont la portée à négligé les limites. La conséquence est, métaphoriquement parlant, que les arbres empêchent de voir la forêt. Cette image m’est venue à l’esprit après avoir travaillé, il y a quelques années, de manière expé- rimentale, diverses variantes langagières du discours politique et ses effets. Une série d’expé- riences (Dorna, 1991) qui ont apporté des résultats – toujours encourageants – montrait une voie inté- ressante de recherche, mais nullement une vision générale satisfaisante. Certes, le support sociolinguistique et psychoso- ciologique qu’offre la notion de contrat de commu- nication (Ghiglione, 1986), à quoi j’ai été associé, a permis de combler certains doutes sur la valeur explicative de l’hypothèse langagière, dans une perspective interactionniste et cognitive. Or, l’explication du dehors par le dedans (intrapsy- chique) et même l’utilisation astucieuse du modèle cognitif de la communication sociale, ne me semblaient pas tout à fait suffisantes pour fournir un cadre théorique au discours politique, ni utiles pour envisager une compréhension maîtrisée de ses effets. Avec le temps, les raisons me semblent aujourd’hui presque évidentes, et pourtant fort difficiles à combler dans une vision cohérente. À savoir : l’importance non seulement du contexte, mais des modèles culturels et idéologiques, dont la linguistique structuraliste, me semble-t-il, ne rend pas véritablement compte. Certes, plusieurs courants de pensée ont contribué à éclairer ce domaine, notamment le retour de la rhétorique philosophique (Salavastru, 2005), la logique argu- mentative (Perelman, Olbrechts-Tyteca, 1958, Vignaux, 1976), la pragmatique (Reboul, Moes- chler, 1998) et la psychologie sociale du langage sous l’influence de la pragmatique (Ghiglione, Trognon, 1993) autant que d’autres démarches plus récentes telles que l’analyse conversationnelle, les théories de facultés, et la théorie de la pertinence dans le cadre des sciences cognitives. Une chose est sûre, les problèmes persistent, car la mise en place d’une méthodologie ouverte et pluridisciplinaire, toujours souhaitée, est devenue presque illusoire à moins d’être libérée des forma- lismes – « fascistes », dirait R. Barthes (1977) – internes à l’approche cognitivo-langagiere, et de rigorismes méthodologico-statistiques qui rendent forcement incompatible l’intégration pleine des questions cognitives, et les variables contextuelles du (pré)construit social, dont la démarche exige la prise en compte de l’historique et de la transversa- lité du regard. Autrement dit, il y a là un problème de démar- cation entre ce qui est considéré comme scienti- fique et ce qui ne l’est pas, et de volonté d’accepter ou non, en sciences humaines et sociales, que l’approche canonique des sciences « dures » reste un vœux que la pratique se charge de remettre à sa uploads/Politique/ discours-politique.pdf
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- Publié le Jui 07, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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