Du fact checking au fake checking | 1 La revue européenne des médias et du numé
Du fact checking au fake checking | 1 La revue européenne des médias et du numérique - http://la-rem.eu Naissance du fact checking Crise de confiance dans l’information et fake media De la banalisation des fausses nouvelles et du renouvellement du fact checking Des dispositifs anti-fake news La campagne qui a conduit au vote britannique en faveur du Brexit, le 23 juin 2016, ainsi que la campagne présidentielle américaine qui a consacré Donald Trump le 8 novembre 2016 ont, à elles deux, donné une importance sans pareille à la question des fausses nouvelles, des mensonges, ou encore de la « post-vérité », si l’on entend par cette notion toute affirmation fausse mais qui n’a pas encore été soumise au test de réalité. Deux exemples suffisent pour saisir ce qu’est la post-vérité. Dans l’affaire du Pizzagate aux États-Unis, Michael Flynn Jr, le fils du conseiller à la sécurité de Donald Trump, écrit sur Twitter : « Tant qu’il n’a pas été démontré que le #Pizzagate est un bobard, cela reste une histoire » (voir La rem n°41, p.73). Durant la campagne présidentielle française, Marine Le Pen invoquera dans le débat de l’entre-deux-tours des comptes cachés d’Emmanuel Macron aux Bahamas, un faux ayant été mis en circulation deux heures avant le débat sur un site de la droite dure américaine, 4chan. Le lendemain, il ne s’agissait déjà plus que d’une « question » et non d’une affirmation, mais comme l’internet en parle, n’importe qui peut le relayer comme une presque réalité. C’est cette approche surprenante qui a donné toute leur force aux fake news, en créditant d’emblée comme possible vérité la première histoire imaginée par un politique, un militant, ou encore un internaute intéressé par de futures recettes publicitaires. Alors que le journalisme a toujours pris soin de ne parler que de faits vérifiés, d’autres considèrent désormais que tout est dicible dans l’espace public, que tout est potentiellement vrai tant qu’une enquête n’a pas prouvé le contraire : au journalisme de faire un travail ex-post de vérification. LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE A MONTRÉ DEPUIS LONGTEMPS QUE LES DISCOURS CONFORMES À NOS OPINIONS SONT CEUX AUXQUELS ON S’EXPOSE PRIORITAIREMENT À cet égard, aucune médiation de la parole n’est imposée sur internet, aucune responsabilité non plus dans les actes de communication, sauf celle que l’on veut bien se donner soi-même. Et ces histoires ou rumeurs, aussi baroques soient-elles, ont un succès fou, tant en termes d’audience que de capacité à renforcer les convictions, car la psychologie cognitive a montré depuis longtemps que les discours conformes à nos opinions sont ceux auxquels on s’expose prioritairement. Pourtant, cette désintermédiation du discours n’est pas nouvelle, qui offre aux politiques (les tweets de Donald Trump) comme aux internautes les plus doués un pouvoir de prescription très puissant (il suffit de Du fact checking au fake checking | 2 La revue européenne des médias et du numérique - http://la-rem.eu penser aux youtubeurs qui poussent des marques vers leurs communautés de fans). Aujourd’hui, les canaux de la désintermédiation sont l’internet et les réseaux sociaux, mais la désintermédiation du discours, à savoir la non-prise en charge de sa circulation par les journalistes, est un phénomène plus ancien qui remonte en réalité aux années 2000. Il s’agissait alors de télévision. Naissance du fact checking La banalisation de l’infotainment, le mélange entre blagues potaches et informations sérieuses au sein d’un même programme ont fait émerger une première fois dans l’espace public le terme fake news dans les années 2000. Les chercheurs se demandaient alors si Jon Stewart du Daily Show était un pitre ou un journaliste, son émission relevant de l’infotainment, pendant que les spin doctors poussaient les politiques sur les plateaux des magazines de télévision pour y toucher autrement le public. UN DISCOURS, DÈS LORS QU’IL EST PUBLIC, NE SAURAIT ÊTRE ACCEPTÉ EN TANT QUE TEL, IL FAUT EN IDENTIFIER LES INTENTIONS ET COMPRENDRE SON RAPPORT AVEC LA RÉALITÉ Ils doutaient alors de la capacité de la presse et des journaux télévisés à intéresser le public au débat politique. Sauf que cette « peopolisation » du politique a eu une conséquence inattendue parce qu’elle a permis aux politiques d’être interviewés par des présentateurs qui, dépendant de leurs invités, n’avaient pas pour ambition de les mettre en difficulté. Il était donc possible de s’arranger avec les faits sans être immédiatement repris. Les mêmes doutes ont plané d’ailleurs également sur les journalistes politiques eux-mêmes qui, pour ne pas se couper de leurs sources, se sont vus souvent reprocher de ne pas être assez critiques, choisissant de relayer les propos des politiques en les citant, plutôt que de les dénoncer systématiquement dès lors que ces derniers semblaient s’éloigner de la réalité. C’est dans ce contexte qu’est né le fact checking aux États-Unis, à savoir des équipes dédiées à la vérification des faits, notamment ceux avancés dans les discours des responsables politiques. En 2003, Factcheck.org sera lancé avec la volonté de passer au crible les discours politiques pour en révéler les arrangements avec la réalité, suivi en 2007 du Fact Checker du Washington Post. En 2007 également, Politifact sera créé et élargira le champ d’investigation aux discours des partis, des associations, des soutiens, etc. Le fact checking va alors se diversifier, avec des sites consacrés à l’analyse des discours scientifiques, des pratiques journalistiques, du climat, etc. Toutes ces initiatives rappellent qu’un discours, dès lors qu’il est public, ne saurait être accepté en tant que tel, qu’il faut en identifier les intentions et comprendre son rapport avec la réalité. Cette mise en perspective des discours publics a été historiquement prise en charge par le journalisme, notamment depuis le XIX esiècle. Le discours public était ainsi inclus dans un processus de démocratisation Du fact checking au fake checking | 3 La revue européenne des médias et du numérique - http://la-rem.eu de la sphère politique, qui se retrouve soumise à discussion. Si l’on ne discute plus véritablement les assertions des politiques, si un fait énoncé vaut une réalité parce qu’en plateau la bonne humeur l’emporte, ou parce que l’internet ne montre à chacun que ce qui flatte ses préjugés, alors un lieu de ré- intermédiation des discours, d’évaluation de leur pertinence doit émerger qui sera occupé par le fact checking. La spécificité de ce dernier consistera finalement à isoler au sein des rédactions le travail de vérification des faits, à en faire une activité à part entière plus qu’à véritablement renouveler les pratiques journalistiques. La différence entre le fact checking et le travail journalistique au sens large repose ainsi sur une spécialisation dans l’investigation, et sur la publicisation de ce travail de vérification à travers des médias ou des espaces dédiés. Crise de confiance dans l’information et fake media Le fact checking a pour tâche de déceler, derrière l’apparence de vérité, les arrangements des acteurs politiques avec la réalité, rappelant ainsi en permanence la différence entre d’une part la communication d’influence, et d’autre part le journalisme dans sa prétention épistémologique à l’établissement de la vérité des faits. Dans un monde où la communication est omniprésente, le fact checking devient un média, il se met à communiquer les résultats de ses enquêtes, alors que la vérification des faits, le croisement des sources faisaient auparavant partie des tâches invisibles que le journaliste se devait d’effectuer. CETTE PUBLICISATION DES ATTEINTES AUX FAITS SERT AUSSI CEUX QUI REPROCHENT AUX MÉDIAS DE MAL TRAITER (MALTRAITER) L’INFORMATION Ils sont désormais mis en scène quand le fact checking dénonce les dispositifs de dénaturation du réel, inscrivant ainsi dans le débat public une exigence nouvelle d’objectivité, qui s’impose certes aux journalistes, mais aussi aux politiques et à tous ceux qui communiquent en public. Le journaliste ne semble plus pouvoir se contenter de citer des points de vue différents. Afin d’être « objectif », il doit désormais recentrer le débat sur une analyse froide des faits, et non mâtinée d’idéologisme, afin de dénoncer le plus vite possible toutes les formes de perversion du réel constatées dans l’espace public. Mais le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pour renforcer le journalisme dans sa dimension la plus classique d’enregistrement de la réalité, le fact checking donne une visibilité nouvelle à tous ceux qui trahissent la réalité, certes pour les dénoncer. Paradoxalement, cette publicisation des atteintes aux faits sert aussi ceux qui reprochent aux médias de mal traiter (maltraiter) l’information. Si tout discours partisan est une déformation du réel, alors certains diront que le discours journalistique en est aussi une, car les médias revendiquent tous une ligne éditoriale. Là encore, deux exemples suffisent à montrer la complexité des enjeux sociaux et politiques associés au développement du fact checking, et la relation complexe qu’il entretient avec les médias mainstream. Du fact checking au fake checking | 4 La revue européenne des médias et du numérique - http://la-rem.eu Le site Buzzfeed a ainsi révélé que le Top 20 des fausses nouvelles sur Facebook a suscité plus d’engagement que le Top 20 des articles issus des grands médias dans les trois mois précédant l’élection américaine, alors que les proportions étaient nettement à l’avantage des uploads/Politique/ du-fact-checking-au-fake-checking.pdf
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- Publié le Fev 11, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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