Sciences de la société 102 | 2017 L'événement politique en ligne Être ou ne pas
Sciences de la société 102 | 2017 L'événement politique en ligne Être ou ne pas être « Charlie » Débattre des attentats sur la page Facebook d’unmédiamusulman To be or not to be “Charlie”. Discuss the attacks on the Facebook page of a Muslim media Ser o no ser « Charlie »Discutir los ataques a la pagina de Facebook de un medio de comunicacion musulman ROMAIN BADOUARD p. 111-133 https://doi.org/10.4000/sds.7150 Abstracts Français English Español Débattre des attentats sur la page Facebook d’un média musulman Cet article propose une analyse des débats qui ont eu lieu sur la page Facebook du média en ligne Oumma, le « média musulman » le plus populaire en France, en janvier 2015, afin de décrire et de cartographier les débats internes à la « communauté musulmane » autour des évé- nements qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo. En ayant recours à des méthodes de codage des messages et d’observation ethnographique en ligne, l’étude souligne les points qui font débat au sein de la « communauté », les conflits de valeur qui s’expriment, les arguments plébiscités par les uns et les autres, les registres d’expression et les répertoires d’action collec tive mobilisés par les « musulmans ordinaires » à propos des sujets de société qui les concer nent. L’article montre ainsi comment les réseaux sociaux peuvent être appréhendés comme des arènes de débat alternatives, en interaction avec d’autres arènes médiatiques, dont l’étude constitue aujourd’hui une nécessité pour appréhender les réactions des publics minoritaires ou marginaux aux événements d’actualité. Following the terror attacks in Paris in January 2015, the wave of national emotion that was expressed through the slogan « Je suis Charlie » was challenged by « subaltern » publics who took the floor on the Web and social networks to say that, if they blamed the attack, they did not felt like « being Charlie ». In this paper, I focus on the discussions that took place on the Facebook page of Oumma, the most popular Muslim media in France, in January 2015, in order to analyse the way islam-related issues were discussed inside the French Muslim com- munity. Using deliberation coding methodologies, I map the key elements of debate, the arguments exchanged and the value-based conflicts. Finally, I show how minority media, combined with social networks, allow the intervention of French Muslims in the public debate by enabling them to put forwards alternative views on islam-related controversies. Este articulo analiza los debates que tuvieron lugar en la pagina de Facebook del medio en linea Oumma, el "medio musulman" mas popular en Francia, en enero de 2015, con el fin de describir y trazar un mapa de los debates internos en el seno de la "comunidad musulmana" en torno a los acontecimientos que siguieron a los atentados de Charlie Hebdo. Utilizando méto- dos de codification de mensajes en linea y de observation etnografica, el estudio pone de relieve los temas que se debaten en el seno de la "comunidad", los conflictos de valores que se expresan, los argumentos que son populares entre si, los registros de expresion y los directorios de accion colectiva movilizados por los "musulmanes ordinarios" sobre los temas sociales que les conciernen. El articulo muestra asi como las redes sociales pueden ser vistas como espacios alternativos de debate, en interaccion con otros espacios mediaticos, cuyo estudio es ahora una necesidad para comprender las reacciones de publicos minoritarios o marginales a los acontecimientos actuales. Full text Les réseaux sociaux prennent une place de plus en plus importante dans le débat public. Accusés de « brutaliser » les conversa tions quotidiennes sur les sujets de société, en permettant notamment l’ex pression de discours de haine sous couvert d’anonymat, ils sont également désignés comme le terreau d’une « crédulité collective » (Bronner, 2013) en favorisant la circulation de rumeurs et de théories du complot. L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats- Unis a plus récemment soulevé un débat sur l’« enfermement idéologique » qu’ils provoqueraient, en confinant les internautes dans des « bulles de filtrage » (Pariser, 2011) où ne seraient portées à leur connaissance que des informations qui les confortent dans leurs opinions. 1 Pour autant, les réseaux sociaux jouent également un rôle démocratique important, en accompagnant un mouvement d’ouverture du débat public vers des populations en marge de l’espace médiatique (Cardon, 2010 ; Jouet, Le Caroff, 2013). Ils leur permettent ainsi de commenter les sujets d’actu alité, de construire des mobilisations en vue de mettre à l’agenda médiatique un certain nombre de problématiques et de promouvoir des points de vue alternatifs sur les grands débats de société. Cette fonction démocratique est particulièrement importante dans le cas qui nous intéresse ici : les prises de parole publiques des « musulmans ordinaires »1 sur les questions liées à l’Islam. En effet, alors que la place de l’islam dans la société française est un sujet récurrent de polémiques et de controverses dans les médias, la parole des « musulmans ordinaires » y reste peu audible (Gole, 2015), alors même que l’« impartialité » du traitement médiatique de ces thématiques par les journalistes est sujet à débat (Deltombe, 2007). La polémique autour du burkini à l’été 2016 constitue un bon exemple de ces formes de confiscation de la parole (Paveau, 2016), même si celles-ci sont récurrentes dans les controverses autour de l’islam en Europe (Gole, 2014). 2 Cet article propose une analyse des débats qui ont eu lieu sur la page Facebook du média en ligne Oumma, le « média musulman » le plus populaire en France2, en janvier 2015, à la suite des attentats de Charlie Hebdo. L’enjeu de cette étude n’est pas de livrer un aperçu de l’« opinion » de la « communauté musulmane » sur les attentats et ses conséquences. D’une part parce que les individus qui participent sur les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs des groupes sociaux auxquels ils appartiennent et que les réseaux sociaux, en tant qu’outils de connaissance de l’opinion, présentent un certain nombre de biais3. D’autre part parce que la « communauté musulmane » est elle-même très diverse, à la fois dans son rapport à la religion et dans ses modes de participation politique (Streiff- Fénart, 2006 ; Fregosi, 2009 ; Hamidi, 2010), et que cette diversité s’exprime notamment en ligne, que ce soit sur la blogosphère musulmane (Siapera, 2008) ou dans les médias communautaires (Lamine, 2015). 3 L’objectif de cette étude est davantage d’observer comment un public qui dispose d’un accès limité aux médias (les « musulmans ordinaires ») se saisit des réseaux sociaux pour débattre de questions de société qui le concernent (les polémiques et controverses autour de l’islam en France) dans une période de « crise des médiations » comme celle des attentats de janvier 2015 (Merzeau, 2002). En s’inspirant des méthodes propres à l’analyse des controverses4, l’enjeu est d’observer à travers les prises de parole des lecteurs d’Oumma les points qui, 4 Islam, médias minoritaires et participation politique au sein de la « communauté », sont sujets à débat, les conflits de valeurs qui s’expriment, les arguments qui circulent, les registres d’expression et les répertoires d’action collective qui sont mobilisés. Dans cette optique, les réseaux sociaux sont appréhendés comme des arènes de débat alternatives, en interaction avec d’autres arènes médiatiques, dont l’étude constitue aujourd’hui une nécessité pour appréhender les réactions des publics minoritaires ou marginaux aux événements d’actualité (Badouard, Mabi, 2015 ; Badouard, Mabi, Monnoyer-Smith, 2016). Travailler sur le traitement des controverses autour de l’islam par les médias minoritaires fait courir un risque évident d’« essentialisation » des musulmans, alors que la « communauté musulmane », en France comme en Europe, présente une diversité intra-communautaire importante (Fregosi, 2009). Cette diversité se reflète d’ailleurs sur le web. Les travaux d’Eugenia Siapera sur la blogosphère musulmane anglo-saxonne par exemple, soulignent la pluralité des « identités musulmanes » qui s’y expriment et des manières d’y mobiliser les références religieuses (Siapera, 2008). Les travaux d’Anne-Sophie Lamine sur les médias musulmans en ligne soulignent également cette diversité : une pluralité de points de vue sur les sujets de société s’y exprime, notamment parce que les contributeurs comme les publics de ces médias font preuve d’une importante hétérogénéité (Lamine, 2015). Les médias minoritaires se font ainsi le théâtre d’une mise en concurrence des offres identitaires (Rigoni, 2010), où différentes personnalités cherchent à obtenir le soutien du plus grand nombre en proposant des visions variées de la « communauté ». Comme le souligne Siapera (2016), un moyen de contourner ce risque d’essentialisation est justement de s’intéresser à la diversité des discours et des publics des médias minoritaires. 5 En termes de pratiques de recherche d’information sur les événements d’actualité, les études nord-américaines tendent à montrer qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les minorités ethniques ou religieuses et la population dans son ensemble (Siapera, 2016). Ces minorités s’informent et consomment les médias de la même manière que leurs concitoyens, sauf quand les sujets d’actualité traitent de questions d’injustice et de discrimination dont ces minorités sont les uploads/Politique/ etre-ou-ne-pas-etre-charlie.pdf
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- Publié le Sep 20, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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