Les théories de la gouvernance : de la gouvernance des entreprises à la gouvern

Les théories de la gouvernance : de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux Corporate Governance Theories : From Micro Theories to National Systems Theories* Gérard CHARREAUX Professeur en sciences de gestion Université de Bourgogne FARGO - Centre de recherche en Finance, ARchitecture et Gouvernance des Organisations Cahier du FARGO n° 1040101 Version révisée - Décembre 2004 Résumé : L’objectif de cet article est de faire une synthèse des théories de la gouvernance. Dans la première partie sont présentées les théories micro de la gouvernance en opposant les théories cognitives aux théories diciplinaires. La seconde partie est dévolue aux théories macro de la gouvernance sur la base de la distinction entre les théories fondées sur l’appropriation de la rente organisationnelle et celles accordant un rôle dominant à la production. Cette synthèse met en évidence que la vision financière de la gouvernance n’est qu’un cas très particulier qui présente de nombreuses limites. Mots clés : systèmes nationaux de gouvernance ; théories micro de la gouvernance ; théories macro de la gouvernance ; vision disciplinaire ; vision cognitive ; théorie juridico-financière ; théorie politique ; variétés du capitalisme. Abstract : The objective of this article is to conduct a survey of the different corporate governance theories. In the first part, we present the micro theories by opposing the disciplinary view to the knowledge-based view. The second part deals with the macro or national systems theories. We separate the theories based on appropriation of the organizational rent from those attributing a dominant role to production. This survey highlights that the financial view of corporate governance is a very particular case and presents many limits. Key words: national systems of governance ; micro theories of corporate governance ; macro theories of corporate governance ; disciplinary view ; knowledge-based view ; financial view ; political theory ; varieties of capitalism. JEL Classification : G300 ; P500 * We acknowledge support from the Research Alliance in Governance and Forensic Accounting funded within the Initiative on the new economy program of the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada (SSHRC). http://www.sshrc.ca/web/winning/stories/labelle_e.asp. Par ailleurs, nous remercions Mark Roe (Harvard Law School) et Pierre Salmon (Université de Bourgogne) pour leurs précieux commentaries sur une version antérieure de cet article. 1 Si le thème de la gouvernance des entreprises s’est principalement développé au sein de la littérature financière, une recherche bibliographique montrerait qu’il fait aujourd’hui l’objet d’une forte attention de la part des juristes et des économistes, mais également des politologues, des sociologues et des spécialistes des sciences de gestion. A cette grande variété des littératures correspond une forte diversité des grilles théoriques. Contrairement à ce que le terme, ambigu, de gouvernement ou de gouvernance des entreprises conduit parfois à conclure, les théories de la gouvernance n’ont pas pour objet d’étudier la façon dont les dirigeants gouvernent – ce qui conduirait à confondre la gouvernance avec le management –, mais celle dont ils sont gouvernés. L’analogie avec les rôles dévolus à la gouvernante des enfants peut-être utile pour éclairer cette signification. Ces rôles sont notamment de surveiller et de définir les règles du jeu pour les enfants et leur latitude. Ce faisant, la gouvernante accomplit deux fonctions : une fonction disciplinaire contraignante et une fonction éducative « habilitante », les deux étant liées : la définition de l’aire et de la nature des jeux, tout en facilitant la surveillance, conditionne également l’apprentissage. Selon l’analyse pionnière de Berle et Means (1932), qui faisait suite à la crise de 1929, le problème de la gouvernance des dirigeants est né du démembrement de la propriété1, en une fonction disciplinaire, qui s’appuie sur les systèmes d’incitation et de surveillance, – censée être accomplie par les actionnaires –, et une fonction décisionnelle – supposée être l’apanage des dirigeants –, qui s’est produit, au début du siècle, lors de l’émergence de la grande société cotée à actionnariat très diffus, la firme « managériale », où les dirigeants ne détiennent pas une fraction significative du capital. Ce démembrement aurait provoqué une dégradation de la performance des entreprises et une spoliation des actionnaires à cause de la défaillance des systèmes chargés de discipliner les principaux dirigeants. En raison de la séparation des fonctions réunies habituellement entre les mains du seul entrepreneur, Berle et Means concluaient que la maximisation de la valeur actionnariale ne devait plus être retenue comme objectif de l’entreprise. Les actionnaires de la firme managériale ayant renoncé à exercer la dimension « active » de la propriété et n’accomplissant plus que la dimension « passive » (l’assomption du risque), ils perdaient leur légitimité à être les seuls créanciers « résiduels », autrement dit le droit exclusif à s’approprier le profit, ce statut ne devant être attribué qu’à des acteurs exerçant les fonctions entrepreneuriales actives. Ils préconisaient en conséquence une démarche « partenariale » : la grande entreprise managériale devait prendre en compte les intérêts de l’ensemble de ses partenaires et de la Société. Leur thèse allait cependant être à l’origine d’un renforcement de la réglementation boursière aux Etats-Unis aboutissant à la création de la Securities and Exchange Commission, chargée de protéger les investisseurs financiers. La question de la gouvernance s’inscrivait ainsi dès l’origine dans une perspective de « régulation » du comportement des dirigeants, de définition des « règles du jeu managérial ». Ainsi formulée, cette question ne faisait que rejoindre une littérature plus ancienne, traitant de la gouvernance des dirigeants politiques2. Qu’on se préoccupe de la relation entre 1 Berle et Means parlent de séparation entre « ownership » et « control ». Cette terminologie est ambiguë. La fonction de « control » correspond au pouvoir de prendre les décisions (la fonction décisionnelle). Celle d’« ownership » recouvre l’assomption du risque (qui supporte les pertes et qui reçoit les gains) et la surveillance. Dans la terminologie actuelle, la fonction de propriété inclut trois fonctions, décision, surveillance (évaluation de la performance) et assomption du risque (fonction incitative), ces deux dernières étant parfois regroupées pour constituer la fonction de « contrôle » (par opposition à la fonction décisionnelle). Jensen (1998) et Jensen et Meckling (1992) fondent leurs théories de l’architecture organisationnelle et de la gouvernance sur l’articulation de ces trois fonctions. 2 Cette antériorité de l’analyse politique de la gouvernance est notamment évoquée par Becht et al. (2002) qui montrent que le modèle politique était explicite lors de la conception du droit des sociétés américain. 2 les gouvernants et le peuple ou entre les dirigeants et les actionnaires, il s’agit d’un problème relevant du champ de la gouvernance. En ce sens, les juristes constitutionnalistes et les politologues se sont préoccupés depuis fort longtemps de gouvernance, et le problème traditionnel de la séparation des pouvoirs est typiquement un problème de gouvernance. Dans ce dernier cas, cependant, les règles du jeu ne visent pas uniquement à protéger le patrimoine financier et le revenu des électeurs mais, également, d’autres droits plus fondamentaux. Plus récemment, notamment avec les travaux de Roe (1994), les sciences politiques ont pris une grande importance pour expliquer l’émergence des différents systèmes nationaux de gouvernance (désormais SNG), de même que les grilles d’analyse juridiques, voire certains courants sociologiques, avec des facteurs explicatifs tels que la culture ou la religion. Par ailleurs, à travers les recherches portant sur l’efficacité comparée et l’évolution des SNG, est réapparu un thème traditionnel, celui de la comparaison des systèmes économiques, à tel point que certains auteurs n’hésitent pas à parler de « New Comparative Economics » (Djankov et al., 2003a ). Ces développements et ces rapprochements interdisciplinaires sont peu surprenants. La définition même de la gouvernance comme système de régulation du jeu managérial induit directement une perspective institutionnaliste, naturelle en sociologie, en droit et en sciences politiques, et qui a connu en économie un fort renouveau, lors des trois dernières décennies, avec l’émergence du courant néo-institutionnaliste. Cette perspective, appliquée à la gouvernance, peut être considérée comme un cas particulier de l’approche de North (1990). Ce dernier définit les institutions comme les règles du jeu en société ou, plus formellement, les contraintes conçues par les hommes qui encadrent et influencent leurs interactions. Le système de gouvernance représente alors un ensemble de mécanismes institutionnels – une « matrice » institutionnelle – constituant les règles du jeu managérial. Dans cet esprit, Charreaux (1997) définit la gouvernance comme l’ensemble des mécanismes organisationnels et institutionnels ayant pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui « gouvernent » leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire. Un historique des recherches sur la gouvernance montrerait qu’elles ont été, pour l’essentiel, consacrées aux firmes managériales anglo-saxonnes. Ce faisant, l’étude des systèmes de gouvernance s’est faite à contexte institutionnel national donné pour les règles formelles (le droit et l’organisation judiciaire, l’organisation des marchés financiers notamment…) et informelles (la religion, la morale, la culture nationale…). Elle a ainsi conduit à privilégier des mécanismes tels que le conseil d’administration, les marchés des dirigeants, les prises de contrôle, déconnectés de leurs spécificités nationales. Le développement des recherches comparant les différents systèmes nationaux a montré uploads/Politique/ charreaux-2004-approche-disciplinaire-et-cognitive-pdf.pdf

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