Idéologie sociolinguistique et politiques linguistiques "intérieures" de la Fra

Idéologie sociolinguistique et politiques linguistiques "intérieures" de la France Henri Boyer Université Montpellier III (DIPRALANG-EA 739) Résumé En France, une même idéologie sociolinguistique: l'unilinguisme a opéré, dès l’émergence du français comme langue commune de la communication sociale et sur la longue durée, selon deux lignes de force solidaires : un unilinguisme intralinguistique qui impose de respecter l’intégrité de la langue française et un unilinguisme interlinguistique qui vise à imposer l’exclusivité sociétale et l'universalité du français. Cette idéologie linguistique et les représentations de la langue française qu'elle articule, ont une traduction sur le plan des politiques linguistiques de l'Etat-Nation français: -Politiques intérieures, qui concernent: la défense de l'intégrité du français : essentiellement l'entreprise de "néologie défensive" (Hagège 1987) contre l'anglo-américain et la lutte obsessionnelle pour l'unification linguistique du territoire ou à tout le moins pour empêcher le maintien autre que patrimonial du plurilinguisme hérité. -Politiques extérieures, qui concernent: la défense et même si possible l'extension de la francophonie dans le monde et la diffusion de la langue et de la culture françaises à l'étranger. On évoquera dans cette intervention forcément limitée d'une part l'entreprise de "néologie défensive" mise en œuvre par l'Etat français et d'autre part le traitement par l'Ecole de la République de l'héritage plurilingue. Mots clés: sociolinguistique, politique linguistique, idéologie linguistique, représentation linguistique, unilinguisme J'ai essayé de montrer dans plusieurs travaux (Boyer 1999, 2000, 2001) qu'en France, une même idéologie sociolinguistique: l'unilinguisme a opéré, dès l’émergence du français comme langue commune de la communication sociale et sur la longue durée, selon deux lignes de force solidaires : un unilinguisme intralinguistique qui impose de respecter l’intégrité de la langue française et un unilinguisme interlinguistique qui vise à imposer l’exclusivité sociétale et l'universalité du français. Une Langue… La traduction de l’unilinguisme ici, c’est bien entendu l’unification linguistique du territoire, qui coïncide avec l’histoire sociolinguistique de la France et qui se confond avec la construction de l’Etat national commencée sous la Monarchie (dès ses débuts), mais accélérée sous le régime républicain, à partir de la Révolution. Cette histoire, c’est l’histoire d’une domination linguistique qui a connu plusieurs phases, depuis un état de plurilinguisme effectif (et de concurrence sociolinguistique ouverte, en particulier dans le domaine littéraire pour ce qui concerne la langue d’oc) jusqu’à un état contemporain de quasi monolinguisme (si l’on considère l’héritage idiomatique et non les nouvelles pratiques qui surgissent à partir d’interventions glottopolitiques militantes, comme dans les “calandretas”, les “bressolas”, les “ikastolas” ou les “diwans”), en passant par divers stades de pluriglossie. Si ce processus d’unification linguistique a tendu à imposer durant l’Ancien Régime la langue du Roi comme unique langue administrative de l’Etat monarchique, il a imposé à partir de la Révolution la langue française comme seule langue nationale. Cette imposition trouvera son expression juridique la plus claire dans les dernières années du XXe siècle, avec cette inscription dans la Constitution française, à l’occasion de la révision de 1992 (motivée par la ratification du traité de Maastricht) : “La langue de la République est le français”. On mentionne souvent, comme date du déclenchement de la politique d’unification linguistique de l’Etat monarchique français l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François 1er en 1539. En réalité, il s’agit d’un repère plutôt administratif mais devenu effectivement date symbolique: plusieurs études consacrées à cette période en domaine occitan ont montré qu’avant 1539, la majorité des actes notariaux étaient rédigés en français et non plus en latin ou en vernaculaire (voir par exemple Nacq 1979). En fait, c’est bien la Révolution française qui est le moment-clé de la légitimation d’une unification linguistique en faveur du français, même si l’ambition de certains révolutionnaires de mettre en œuvre une authentique planification linguistique n’a pu se concrétiser à ce moment-là. (Boyer et Gardy éd. 1985 ; Schlieben Lange 1996 ; Boyer 1999) On sait que, dans un premier temps, en 1790, les Décrets de l’Assemblée sont traduits dans les diverses langues de France (cf. l’entreprise Dugas dans le Sud) et qu’une importante production textuelle de type propagandiste publiée dans ces langues apparaît un peu partout, singulièrement en domaine occitan (voir Boyer et al. 1989). Cependant, au même moment, l’Abbé Grégoire lance sa célèbre enquête (“une série de questions relatives au patois et aux mœurs des gens de la campagne”) dont l’objectif fondamental est clairement énoncé au détour d’une des questions (la question 29) : “détruire entièrement le(s) patois” (De Certeau, Julia et Revel 1975). Ce mot de “patois” venait d’être consacré par l’Encyclopédie comme un désignant discriminatoire, stigmatisant pour les langues de France autres que le français, seule langue reconnue “nationale” (Boyer 2005) En réalité, avec son enquête, non seulement Grégoire cherche à prendre toute la mesure de la pluralité sociolinguistique, mais il condamne à terme cette pluralité comme obstacle à une communication politique satisfaisante, obstacle donc à la Révolution. Son rapport de mai 1794, authentique déclaration de politique linguistique, développe d’une certaine façon l’objectif déjà inscrit dans l’enquête de 1790, inspiré par l'unilinguisme de manière encore plus explicite (l’intitulé est on ne peut plus clair : “Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française”). Cependant, un seul texte réglementaire important en matière d’usage linguistique fut adopté par la Convention à la suite d’un rapport de Merlin de Douai (faisant référence à l’ordonnance de Villers-Cotterêts) : la loi du 2 thermidor an II (20 juillet 1794) qui stipulait qu’aucun acte ne pourrait désormais être écrit qu’en français et qui prévoyait des sanctions pénales pour les infractions commises par “tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du gouvernement”. Ainsi, malgré le rapport de Talleyrand (1791) à la suite duquel fut créé le Comité d’Instruction Publique chargé du développement des écoles primaires à travers la France, malgré le décret adopté à la suite du Rapport de Barère présenté au nom du Comité de Salut Public, qui prévoyait la nomination d’instituteurs de langue française dans les départements non exclusivement francophones, ce n’est que la Troisième République, un siècle plus tard, qui mettra en œuvre avec le succès que l’on sait, la politique scolaire d’unification linguistique rêvée par la Révolution, grâce à l’institution d’une École publique gratuite, obligatoire et laïque. Une Norme Il s’agit de l’autre face de l’unilinguisme français, complémentaire de la lutte permanente (et efficace à partir de la fin du XIXème siècle) pour l’unification linguistique : l’obsession de l’uniformisation de l’usage de LA langue, par le respect scrupuleux d’une norme unique, du Bon Usage. Et du reste, ce n’est pas un hasard si l’Ordonnance de Villers-Cotterêts est édictée durant les débuts de la période de normativisation de la langue française, que D. Trudeau (Trudeau 1992) fait aller de 1529 (date de la publication de Champ Fleury de Geoffroy Tory) à 1647 (date de la publication des Remarques sur la langue française de Vaugelas). A. Decrosse observe fort justement que « la politique linguistique énoncée par François 1er et l’Humanisme […] verrouillera l’enceinte de la nation sur l’Etat et l’amour de la langue française ». Et au XVIIe siècle se « produit une entrée définitive de l’Etat dans la représentation de la langue ; centrage et norme résorbent toute incomplétude de la langue française vis-à-vis des langues savantes et la généalogie du français s’y stabilise dans tous les discours sur le bon et le vrai usage, qui procède de l’hégémonie étatique sur les usages de la communauté nationale » (Decrosse 1986 : 174-175 ; je souligne). Ce diagnostic est largement partagé : ainsi G. Schöni, par exemple, observe que le XVIIe siècle grammairien et son représentant le plus marquant, Vaugelas, auront une responsabilité considérable dans l’avènement d’attitudes puristes et figées face à la langue. En effet, des lors que l’objectif principal de telles entreprises est de fournir des règles d’usage, toute ambition de culture se trouvera reléguée à l’arrière plan pour laisser le champ libre à un ensemble de prescriptions, dont les actuelles « chroniques de langage » - et leur refus de prendre en compte les changements dans l’usage- sont le prolongement (Schöni 1988 : 25-26). Ph. Caron et D. Kibbee montrent bien comment et pour quelles raisons ( peu « scientifiques ») Vaugelas dans sa Préface aux Remarques sur la langue française « [explicite en 1647] le modèle absolutiste de son défunt patron [Richelieu], un modèle très contesté par le mouvement des frondes » : « Cette vision de la norme qui, éjectant le Parlement, place la Cour du Roi en position dominante, les bons auteurs en garant, […] et enfin la grammaire en ultime recours lorsqu’on ne sait pas trancher, a certainement sa source dans l’histoire des relations tendues entre les deux lieux-clés de l’exécutif, le Roi et son conseil d’un côté, le Parlement avec ses chambres techniques de l’autre ». Ainsi Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, et encore plus au début du XVIIe, le pouvoir du palais et de la bourgeoisie parisienne diminue au point où on arrive à l’absolutisme sous Louis XIII et Louis XIV. La norme linguistique est très sensible au pouvoir, et la norme explicitée dans les textes s’aligne de plus en uploads/Politique/ ideologie-sociolinguistique-politique-france-h-boyer.pdf

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