Interférences Ars scribendi 8 | 2015 L'exil au miroir de la Correspondance de C
Interférences Ars scribendi 8 | 2015 L'exil au miroir de la Correspondance de Cicéron Amitié et officium épistolaire : les lettres de Cicéron à P. Cornelius Lentulus Spinther Jacques-Emmanuel Bernard Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/interferences/5484 DOI : 10.4000/interferences.5484 ISSN : 1777-5485 Éditeur HiSoMA - Histoire et sources des Mondes antiques Référence électronique Jacques-Emmanuel Bernard, « Amitié et officium épistolaire : les lettres de Cicéron à P . Cornelius Lentulus Spinther », Interférences [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 31 octobre 2014, consulté le 15 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/interferences/5484 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/interferences.5484 Ce document a été généré automatiquement le 15 septembre 2020. Tous droits réservés Amitié et officium épistolaire : les lettres de Cicéron à P. Cornelius Lentulus Spinther Jacques-Emmanuel Bernard 1 La correspondance de Cicéron avec P. Cornelius Lentulus Spinther, telle qu’elle nous est parvenue dans la tradition manuscrite des Lettres familières, représente un ensemble de neuf lettres regroupées dans le premier livre. Dans les éditions modernes, on divise la lettre 5 en deux lettres, 5 et 5a, car on estime à juste titre qu’il s’agit de deux lettres distinctes jointes par erreur dans les manuscrits, ce qui aboutit à un total de dix lettres. Doit-on lire ces lettres telles qu’on les trouve dans la plupart des éditions savantes, qui respectent la chronologie d’ensemble, et donc les espacent les unes des autres, ou se conformer à la lecture qui était celle des Anciens et des humanistes de la Renaissance, à savoir par livres, regroupés comme on sait par destinataires ? Dans les éditions par livres, les lettres sont lues d’un seul trait ; dans les éditions chronologiques, elles sont espacées dans l’ordre où elles apparaissent dans la correspondance de Cicéron prise dans son ensemble 1. L’impression ressentie à la lecture, dans un cas comme dans l’autre, ne sera pas exactement la même. C’est la problématique abordée par Mary Beard dans un article important de la bibliographie cicéronienne 2. Elle défend le retour à une lecture des lettres par destinataires et non plus par ordre chronologique d’ensemble. Le démembrement des collections de lettres telles que les avaient constituées les premiers « éditeurs » relève d’une conception strictement documentaire de la correspondance, entendue comme un fonds d’archives destiné à éclairer la vie et les œuvres de Cicéron, alors que la disposition par livres apparente les recueils de lettres aux recueils de poésies, obéissant à une structure et une logique interne, de nature à mieux faire ressortir les aspects proprement littéraires de ces lettres. Un livre de lettres n’est pas seulement une juxtaposition de monades, du matériel biographique à l’état brut, mais un ensemble qui, considéré comme tel, permet de voir la spécificité des lettres adressées à tel destinataire, leur cohérence, leur évolution, leur écriture soignée 3. Nous ferons seulement remarquer qu’en réalité il arrivait à Cicéron de pratiquer un peu les deux méthodes de lecture : il lisait bien évidemment les lettres au Amitié et officium épistolaire : les lettres de Cicéron à P . Cornelius Lentul... Interférences, 8 | 2015 1 fur et à mesure de leur réception, mais il lui arrivait aussi de les reprendre par groupes, en particulier les lettres d’Atticus qu’il relit lorsqu’il doit prendre une décision au moment du déclenchement de la guerre civile. Il transforme ces textes isolés en « dossiers », qu’il analyse avec une méthode d’avocat rompu au droit et à la rhétorique 4. Si nous insistons sur ces questions de méthode dans les préliminaires, c’est que nous voudrions montrer que les sept premières lettres de Cicéron à Lentulus ne sauraient se lire indépendamment des trois dernières, et en particulier de la lettre Ad Familiares 1, 9 qui couronne cette correspondance, où Cicéron reprend et développe magistralement des arguments et des thèmes déjà présents dans les lettres antérieures. L’ensemble de ces lettres constitue une défense et illustration de l’amitié en temps de crise. L’insistance des premières lettres sur le lien amical entre les deux correspondants prend rétroactivement toute sa valeur, après que Cicéron a décidé de rallier les triumvirs. 2 Après avoir exposé le contexte politique de cette correspondance prise comme un tout, avec ses deux volets principaux que sont la restauration du roi Ptolémée Aulète et la « palinodie » de Cicéron, nous suggérerons que c’est l’instabilité politique de la période qui explique l’insistance de Cicéron à souligner le lien d’amitié qu’il entretient avec son correspondant. Et quel meilleur témoignage d’amitié lorsque deux amis sont séparés que la correspondance elle-même, considérée comme litterarum officium, c’est-à‑dire comme l’accomplissement d’une obligation sociale ? 3 Le contexte historique de cette correspondance peut être récapitulé comme il suit : 58 : Ptolémée Aulète est chassé d’Égypte 57 : consulat de P. Cornelius Spinther et C. Caecilius Metellus Nepos 9 juillet 57 : Pompée parle au Sénat en faveur de Cicéron 4 août 57 : vote de la loi rappelant Cicéron, à l’instigation de P. Cornelius Lentulus Spinther 5 septembre 57 : Discours de remerciements au sénat De 56 à 53 : proconsulat de Lentulus en Cilicie 13 janvier 56 : Fam. 1, 1 15 janvier 56 : Fam. 1, 2 Milieu de janvier 56 : Fam. 1, 3 16 janvier 56 : Fam. 1, 4 Entre le 2 et le 7 février 56 : Fam. 1, 5 Peu après le 9 février 56 : Fam. 1, 5a Mars 56 : Ptolémée Aulète quitte Rome pour Éphèse Mars 56 : Fam. 1, 6 5 avril 56 : Cicéron attaque au sénat la loi sur l’ager campanus 15 avril 56 : entrevue de Lucques entre les triumvirs Avril 56 : fiançailles de Tullia avec Furius Crassipès Fin juin 56 : Discours sur les provinces consulaires (« palinodie ») Juin 56 : lettre à Atticus, Att. 4, 5, où il évoque sa « palinodie » Juillet 56 : Fam. 1, 7, 7 : première justification de la « palinodie » Février 55 : Fam. 1, 8 ; 2 : deuxième justification de la « palinodie » Avant le 22 avril 55 : restauration de Ptolémée Aulète par Gabinius, proche de Pompée Mai 54 : Cicéron commence le De republica Fin août 54 : Pro Plancio, Pro Vatinio 23 octobre 54 : premier procès de Gabinius Amitié et officium épistolaire : les lettres de Cicéron à P . Cornelius Lentul... Interférences, 8 | 2015 2 Deuxième procès de Gabinius : plaidoyer de Cicéron Décembre 54 : Fam. 1, 9 : troisième justification de la « palinodie ». 4 Il faut partir du consulat de 57 au cours duquel Lentulus Spinther œuvra au plus haut niveau pour le rappel de Cicéron en exil, avec l’aide de Pompée qui s’était décidé à parler au sénat en faveur de l’orateur. Le Discours de remerciements au sénat fut prononcé le 5 septembre. Cinq mois plus tard, Cicéron commença une correspondance avec Lentulus qui était sorti de charge et exerçait la fonction de gouverneur en Cilicie où il sera proconsul de 56 à 53. 5 L’occasion immédiate de cette correspondance est la tentative de Lentulus d’obtenir du sénat la mission de rétablir le roi Ptolémée XII Aulète sur son trône. C’est le sujet principal des lettres regroupées dans le tome II de la Collection des Universités de France. Ptolémée Aulète, roi d’Égypte (de 80 à 58, et de 55 à 51) avait été chassé par ses sujets en 58 et s’était réfugié à Rome. On débattait au sénat pour savoir s’il convenait de le rétablir sur son trône. Le roi égyptien tentait d’acheter des appuis à Rome, empruntant de grosses sommes aux prêteurs romains, moyennant des intérêts exorbitants. De leur côté, les Alexandrins envoyèrent une importante députation à Rome pour contrecarrer les intrigues d’Aulète. Lentulus avait besoin de l’autorisation explicite du sénat de procéder à la restauration du roi avec l’aide de son armée proconsulaire, car, sans légions, c’était une mission impossible. La restauration du roi sur le trône d’Égypte rapporterait beaucoup de prestige et de profits à celui qui la mènerait à bien, c’est pourquoi elle suscitait les plus vives controverses au sénat. Pompée lui-même convoitait cette mission, directement ou par personne interposée, pour « achever de dessiner sa figure de maître du monde 5, » et surtout Aulus Gabinius, proche de Pompée, gouverneur de la Syrie, qui finit par obtenir la mission en 55. 6 Presque toutes les lettres à Lentulus évoquent les débats et les tractations des sénateurs sur ce sujet et l’on peine à suivre l’évolution des chances de Lentulus d’obtenir gain de cause, d’autant que s’était ajouté un veto religieux suite à la consultation des livres sibyllins par le consul Marcellinus, interdisant le recours à la force armée pour la restauration du roi 6. 7 Cicéron devait certainement partager l’opinion de la majorité des sénateurs hostiles à cette restauration qui mêlait trop les ambitions personnelles romaines aux affaires intérieures de l’Égypte. Mais il lui était difficile de refuser son soutien à Lentulus compte tenu du rôle joué par ce dernier dans son rappel d’exil. D’un autre côté, il se devait de ménager Pompée qui avait uploads/Politique/ interferences-5484.pdf
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- Publié le Mar 16, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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