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Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2006 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 4 fév. 2022 13:34 Spirale Arts • Lettres • Sciences humaines Jean-Luc Nancy : penser l’excédence de l’art Isabelle Décarie et Ginette Michaud Présence. Faut-il tuer Duchamp? Numéro 207, printemps 2006 URI : https://id.erudit.org/iderudit/17973ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Décarie, I. & Michaud, G. (2006). Jean-Luc Nancy : penser l’excédence de l’art. Spirale, (207), 32–34. c s c CD JEAN-LUC NANCY : PENSER L'EXCÉDENCE DE L'ART A L'OCCASION de l'exposition intitulée Trop. Jean-Luc Nancy, qui s'est tenue à la Galerie de l'UQAM du 20 oc- tobre au 26 novembre 2005, le philosophe Jean-Luc Nancy, de passage à Montréal pour la clôture de l'événement, nous a accordé cet en- tretien le 24 novembre dernier. Cette exposi- tion, présentée à l'initiative de la commissaire Louise Déry, fut élaborée autour de la conjonc- tion entre un travail de pensée, celui du philo- sophe, un travail pictural, celui du peintre François Martin et un travail sonore, celui du musicien Rodolphe Burger. Nancy, Martin et Burger ont ainsi tous les trois réfléchi sur le trop pour en donner une définition foison- nante, multiple et mouvante (un catalogue pa- raîtra sous peu, qui recueille les traces de ce travail « en tous sens »). SPIRALE — Quel est le rôle de l'art face à ce qu'en philosophie on appelle « la crise du sens » ? JEAN-LUC NANCY — Il n'y a pas de rôle de l'art face à ce qu'on peut en effet appeler « crise du sens » parce que l'art est lui-même entièrement pris dans cette histoire, dans cette mutation du sens et qu'il en a même été sans doute un des premiers témoins depuis les grandes transfor- mations des formes artistiques depuis la fin du dix-neuvième siècle jusqu'à maintenant. D'un côté, je suis tenté de dire que l'art n'est pas « en face de » cela : il est en plein dedans, au point où son propre sens a été emporté, peut-être de la manière la plus visible, dans la tourmente, parce qu'on voit plus aujourd'hui une sorte de décomposition des formes et du sens de ce qui s'appelle « art », c'est plus visible, plus sensible que la décomposition de ce qu'on appelle « po- litique » par exemple, parce qu'on s'accroche toujours à l'idée qu'il doit y avoir quelque part de la politique. Tandis que du point de vue de l'art, on est prêt à dire qu'il n'y en a plus, c'est du moins ce que disent certains. Maintenant, d'un autre côté, en effet, on peut quand même répondre avec un « face à », dans la mesure où il y a toujours obstinément, avec une persévé- rance presque incroyable, une attitude et des gestes, des gens qui se disent et se veulent ar- tistes, au prix d'une liquidation de l'idée même d'art et de toutes les formes disponibles, et qui continuent à affirmer quelque chose sous ce nom-là : on peut dire que ce nom oppose une résistance, une insistance dans la direction de ceci que le sens ne se ferme pas, ne s'achève pas. SPIRALE — Avez-vous l'impression que nous avons du mal à définir l'art aujourd'hui juste- ment parce que nous sommes dans un « over- load » — pour reprendre un terme de Rodolphe Burger—, dans un trop-plein déformes? JEAN-LUC NANCY — Oui c'est vrai, mais ce trop-plein vient du fait que, d'une manière que je ne sais pas bien saisir, il y avait ce lien intrin- sèque entre un certain nombre de formes et le matériau de significations dont je parlais. Par exemple, toute la grande légende chrétienne donnait d'emblée des formes à partir du moment où l'on était dans l'ordre de l'art figu- ratif : d'avance, on sait ce que c'est qu'une Cru- cifixion, une Visitation, etc. Cela même définis- sait un ensemble dans lequel, s'il y avait la figuration, il y avait la figure, il y avait des figures, etc. Cela a pu se continuer un certain temps même sans le matériau chrétien, avec le matériau mythologique revisité, avec un certain matériau héroïque, historique — mais de moins en moins héroïque, de plus en plus bourgeois — jusqu'à aboutir à la décomposi- tion de la possibilité même des formes figu- rales. Cela veut dire que le surcroît de formes aujourd'hui, de difformité et d'informité, est corrélatif du fait qu'il n'y a pas de signification donnée, donc de forme donnée. SPIRALE — On sent bien cette préoccupation dans votre Visitation (de la peinture chré- tienne). Justement, en pensant à votre dernier livre, La Déclosion, ne pourrait-on pas dire que votre rapport au christianisme est marqué par une forme d'ambiguïté : dépasser sans ou- blier, ouvrir de l'intérieur, etc. ? Qu'attendez- vous du travail philosophique sur le christia- nisme aujourd'hui7. JEAN-LUC NANCY — Je suis embarrassé pour ré- pondre parce que je ne sais pas exactement comment définir ce que vous appelez « travail philosophique sur le christianisme » ou les at- tendus de la question. Je ne dirais pas « dépas- ser sans oublier », bien que je comprenne très bien qu'on dise cela, mais alors à chaque pas j'ai l'impression qu'il faudrait corriger et changer le mot « dépasser » puisque ce mot est terrible- ment lourd en philosophie maintenant, c'est l'ancienne traduction de Aufhebung, et cela ne veut pas dire que je vais simplement prendre la posture maintenant très classique « surtout pas à'Aufhebung », puisque je ne sais même pas ce qui est vraiment en jeu dans Y Aufhebung. Je préférerais plutôt essayer de dire, en termes plutôt heideggériens ou en termes heideggé- riano-derridiens, qu'il ne s'agit ni de déplace- ment, ni d'oubli, ni de non-oubli, puisqu'il s'agit uniquement de ce qui est en avant, de ce qui n'est pas encore là. J'ai envie de penser que le christianisme — c'est très lourd à dire parce que le christianisme, c'est un énorme poids jus- tement de passé —, que quelque chose du christianisme, ou quelque chose qui ne lui ap- partient pas mais qui l'a rendu possible, est encore en avant de nous. Vous me demandez ce que j'attends. J'attends ce qui va venir, l'avenir, j'attends le messie, le Saint-Esprit, j'attends toutes ces choses-là (rires). De temps en temps, je me dis que je vais finir par abandonner le motif du christianisme comme tel, ce n'est pas impossible... Peut-être que c'est simplement une question de mots. Il y a un endroit où je ne sais pas de quel mot je pourrais me servir à la place — pas à la place du christianisme —, mais des trois vertus théologales — foi, espé- rance, charité — et à la place du nom de Dieu. Il y a là au moins quatre mots dont je vois assez difficilement comment se passer, ces quatre au moins indiquent des lieux où il faut pouvoir parler ou sinon, renoncer à tout, ce qui paraît tout à fait excessif. Par exemple, si nous ne pou- vons pas purement faire place nette du nom de Dieu, ça ne veut pas dire qu'il faut utiliser ce nom, mais je crois qu'il y a là, dans le nom de Dieu, dans sa prononciation chrétienne, mais en partie juive, en partie musulmane aussi, quelque chose de chrétien qui me donne une sollicitation de plus. Il y a là-dedans quelque chose que nous devons apprendre à prononcer de nouveau sous d'autres mots. Cela veut dire aussi que ce n'est même pas seulement un tra- vail philosophique. J'ai de plus en plus conscience d'être au bord de quelque chose qui ne peut pas être philosophique jusqu'au bout, qui, à un moment donné, demande de passer dans — mais alors, avec d'autres mots religieux — la prière, l'adoration. SPIRALE — Et donc dans l'art aussi, encore7 JEAN-LUC NANCY — C'est là une question très difficile pour moi. L'art encore, mais pourtant je dois bien reconnaître que, en droit au moins et aussi en fait je pense, c'est très délicat à ana- lyser, il n'y a pas purement et simplement homogénéité ni recouvrement intégral de la 32 ] posture de l'art et de la posture que je ne sais même pas comment appeler, appelons-la spiri- tuelle, peut-être parce que cela aussi, c'est un problème qui augmente de plus en plus. Car si on ne veut pas dire « religieux » et si on dit qu'on n'est pas dans le philosophique, où est- on? Si on dit « spirituel », on sait bien qu'on uploads/Politique/ jln-1.pdf

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