Vol. IV, Numéro 3, Automne 2012 Cahiers de recherche en politique appliquée 19
Vol. IV, Numéro 3, Automne 2012 Cahiers de recherche en politique appliquée 19 La gouvernance : tenter une définition Par Isabelle Lacroix et Pier-Olivier St-Arnaud * Université de Sherbrooke * Professeure à l’École de politique appliquée et étudiant à la maîtrise en études politiques appliquées à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke RÉSUMÉ — Tenter de définir un concept aussi large et multiforme que celui de la gouvernance présente un défi certain. À voir cependant l’usage qui est fait de ce terme à « toutes les sauces » nous amène à croire qu’un besoin de clarification est réel et présent dans la littérature. Le présent texte utilise les ouvrages et les contributions d’auteurs de différents domaines et disciplines dans une approche intégrant tant les usages pratiques qu’académiques associés à l’évolution de ce concept. Nous proposons finalement une définition du concept de gouvernance applicable pouvant être utilisée par les chercheurs comme par les praticiens. Mots clés : gouvernance, réseau, participation 1. LE CONTEXTE DE DÉVELOPPEMENT DU CONCEPT DE GOUVERNANCE Tenter de définir un concept aussi large et multiforme que celui de la gouvernance présente un défi certain, un peu de folie peut-être. À voir cependant l’usage qui est fait de ce terme à « toutes les sauces » nous amène à croire qu’un besoin de clarification est réel et présent dans la littérature. Bien entendu, nous sommes conscients que nous ne sommes ni les seuls, ni les premiers à avoir tenté pareille aventure. Nous utilisons d’ailleurs tout au long de ce texte les ouvrages et contributions des auteurs de différents domaines et disciplines. Or, nous croyons pouvoir apporter une contribution significative dans l’intégration de la réalité pratique et la réalité académique attachées à l’évolution de ce terme. Modeste apport, mais qui saura peut-être contribuer à l’émergence de questionnements porteurs de réalisations. Pour ce faire, nous avons conçu ce texte trois sections principales et complémentaires. D’abord, nous abordons le contexte qui a vu l’émergence – nous devrions dire ré- émergence – récente de l’usage de ce terme. Ensuite nous décortiquons les composantes essentielles de ce concept pour terminer avec son potentiel d’application. Vol. IV, Numéro 3, Automne 2012 La gouvernance : tenter une définition Cahiers de recherche en politique appliquée 20 1.1. L’évolution récente, un contexte de crises et de changements L’évolution du contexte de régulation sociale et politique des sociétés occidentales va connaître, entre les décennies 1970 et 1990, une évolution marquée tant par des changements sociaux, économiques et politiques, que par la conception de la régulation elle-même, ses contraintes et ses visées. Pour certains ces bouleversements ont conduit à un véritable changement de paradigme. Pour d’autres ces transformations importantes ont conduit à une évolution imposée de l’appareil étatique, de ses rôles, de ses responsabilités et des relations qu’il entretenait avec ses citoyens pour lesquels il était devenu un pourvoyeur de services. D’autres vont même jusqu’à parler de crise, notamment de la crise de l’État-providence. Ainsi, tous s’entendent pour parler à tout le moins de changements profonds et de redéfinition quant au concept de gouvernance. Selon Hamel et Jouve1 les années 1970 voient se développer une crise de la démocratie due en grande partie à l’incapacité de l’appareil étatique de répondre aux demandes sociales toujours plus nombreuses. Les exigences entrainent un éclatement des champs d’intervention et des responsabilités étatiques. Cela devait mener en partie à la crise des finances publiques, crise attribuable à la fois à l’augmentation des dépenses publiques et à la réduction de l’augmentation de la productivité économique, qui frappa tous les pays occidentaux avec une intensité variable. Les années 1980, quant à elles, vont voir éclore les premières tentatives de réponses à cette pression de la croissance des demandes envers l’organisation étatique par des mesures libérales classiques de dérèglementation et de privatisation. Si dans certains pays on tente carrément de retirer à l’État une partie de ses interventions sociales pour laisser plus de place aux partenaires privés, tous les pays mettront minimalement en œuvre des mesures de réduction des dépenses publiques qui auront un impact plus ou moins marqué sur les services offerts aux citoyens. Le cas type de pareille réforme voulant resserrer les responsabilités et les dépenses étatiques est probablement le gouvernement de Mme Thatcher au Royaume-Uni. Pendant les années 1990, loin d’assister à une réduction des tensions au sein de l’État résultant de ces efforts de diminution des dépenses gouvernementales, nous assistons plutôt à une multiplication des phénomènes qui soumettent l’État à des contraintes supplémentaires, poussant toujours cette organisation à adapter son fonctionnement aux nouvelles réalités sociales et économiques. Le phénomène de « dépendance au sentier » ou « path dependancy » explique ce phénomène. Ainsi, pour Douglas C. North, Changer [de sentier] signifierait perdre l’amortissement et les rendements croissants des investissements de départ, et devoir investir à nouveau, il faudrait aussi reprendre les processus d’apprentissage; ce serait risquer de ne plus être coordonné avec les autres institutions : il faudrait enfin changer d’anticipation, être capable de prévoir les nouveaux comportements adaptés »2. Vol. IV, Numéro 3, Automne 2012 La gouvernance : tenter une définition Cahiers de recherche en politique appliquée 21 Ce phénomène explique donc la continuité de la croissance des tensions au sein de l’État dans les années 1990 et ce, malgré une volonté de diminution des dépenses gouvernementales. Par ailleurs, pour Gaudin, les pressions sur l’organisation de type État-providence, de même que les phénomènes de décentralisation et de régionalisation de la régulation appellent toujours à moins d’actions publiques au sens étatique du terme. Pour Hamel et Jouve, ce sont les pressions découlent de la mondialisation qui questionnent directement les capacités étatiques de gouverner. C’est dans ce contexte que le concept de gouvernance refait surface. Selon Gaudin et Moreau Defarges, dès le XIIe ou le XIIIe siècle, ce terme aurait longtemps été assimilé à la notion plus générale de gouverne ou de gouvernement. Pour Paye, Le mot anglais governance a été remis à l’honneur dans les années 1990 par des économistes et politologues anglo-saxons et par certaines institutions internationales (ONU, Banque mondiale et FMI, notamment), de nouveau pour désigner « l’art ou la manière de gouverner », mais avec deux préoccupations supplémentaires; d’une part, bien marquer la distinction avec le gouvernement en tant qu’institution; d’autre part, sous un vocable peu usité et donc peu connoté, promouvoir un nouveau mode de gestion des affaires publiques fondé sur la participation de la société civile à tous les niveaux.3 Ainsi, l’apparition d’une logique de la gouvernance serait le résultat d’un bouleversement dans les rapports entre le politique, l’économique et la société civile4. Cette remise en question de l’État-providence et le phénomène de mondialisation interrogent les capacités étatiques, et gouvernementales, de réguler les sociétés. Ce serait carrément une crise de la « gouvernabilité » qui se dessinerait dans les sociétés occidentales. Devant une hausse fulgurante des demandes sociales, de la multiplication des acteurs et des ressources toujours plus rares, on cherche de nouvelles réponses aux problèmes de régulation des rapports sociaux, et des rapports entre les acteurs politiques et la société civile. Les propositions de la gouvernance ouvrent à la négociation, à la coopération et aux partenariats qui accroissent la participation de nombreux acteurs différents et diffusent la responsabilisation de la régulation sur cet ensemble large diminuant par le fait même l’intensité de la responsabilité étatique. Du même coup, on assiste à un déplacement des légitimités de décisions et d’actions des acteurs étatiques vers la société civile et ces groupes/individus la composant et prenant part à cette démarche de gouvernance. Bon nombre d’auteurs mentionnent l’aspect indéfini du concept de la gouvernance, ou son aspect « fourre-tout ». Pour Gaudin5, la gouvernance renvoie davantage à la modification des rapports entre le politique et l’économique, alors que pour Hamel et Jouve6 elle renvoie davantage à cette remise en question de la gouvernabilité des sociétés occidentales démocratiques traditionnelles dirigées par une autorité décisionnelle centrale unique. Mais pour Lamy7, la gouvernance renvoie plus simplement à l’utopie du « gouvernement sans les gouvernants », même dans les cas où le choix des dirigeants est le résultat d’un processus électoral démocratique. Plus simplement, la démocratie Vol. IV, Numéro 3, Automne 2012 La gouvernance : tenter une définition Cahiers de recherche en politique appliquée 22 représentative n’arriverait plus à combler les attentes de sociétés qui exigent plus d’actions, plus d’imputabilité et plus de participation. Hamel et Jouve insistent sur le contexte de désenchantement démocratique qui amène les citoyens à se détourner des formes plus traditionnelles de participation politique, telles que le vote électoral ou l’affiliation partisane. Ce mode de gouverne qu’est la gouvernance serait donc utilisé afin de modifier les méthodes de régulation dans l’espace public de façon à accroître la participation directe de citoyens. Ce contexte d’émergence, fortement marqué par de nombreux bouleversements, voire certaines crises sociales, économiques et politiques, soulève de nombreuses questions auxquelles les différents auteurs cités, selon leur contexte d’études et de développement, n’offrent pas tous les mêmes réponses. La gouvernance est-elle uniquement un moyen pour contrer une certaine forme de désaffection politique? Depuis quelques années déjà les politologues uploads/Politique/ vol4-no3-article2.pdf
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- Publié le Sep 23, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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