L’éducation à l’écocitoyenneté Lucie Sauvé Sauvé, L. (2017). L’éducation à l’éc

L’éducation à l’écocitoyenneté Lucie Sauvé Sauvé, L. (2017). L’éducation à l’écocitoyenneté. In Barthes, A. et Lange, J.M. (Dir.) Dictionnaire critique des enjeux et concepts des Éducations à. (p. 56-65). Paris : L’Harmattan. L’écocitoyenneté correspond à la sphère politique de notre rapport à l’environnement. Elle interpelle cette dimension désormais incontournable de l’éducation contemporaine, qui concerne notre engagement personnel et collectif au cœur des questions socio-écologiques. On se souvient qu’à la racine du mot politique, se trouve polis qui, chez les Grecs anciens, désignait la cité, ce lieu où les « hommes libres et autonomes » discutaient des questions d’intérêt collectif et prenaient ensemble les décisions afférentes. On y retrace l’origine de la démocratie, ce mode de gouvernance axé sur le pouvoir (cratos) du peuple (demos). La « chose politique » (res politica) se vit encore et toujours au sein de la cité. Cependant, dans ses formes plus achevées, la conception du citoyen s’est affranchie de la sélection sociale; les notions de liberté et d’autonomie ont pris une signification plus fondamentale d’émancipation critique et les contours de la cité deviennent ceux des unités de vie démocratique, à l’échelle quotidienne de la classe, de l’école, de l’usine, de l’atelier, du quartier … et à celles, plus vastes, de la ville, de la région, du pays, de la Terre Patrie1. Éduquer à la citoyenneté vise l’apprentissage du vivre-ensemble dans la cité humaine. Il s’agit d’une éducation politique, au sens où « politique » fait référence à la prise en charge collective, démocratique, des affaires publiques, des « choses » qui nous concernent tous, dans les différents espaces de notre vie commune. L’idée d’écocitoyenneté élargit encore davantage la dimension de la cité. Celle-ci correspond à oïkos, cette « maison » que nous partageons entre nous les humains – incluant tous les aspects de notre diversité – mais que nous partageons aussi avec l’ensemble des autres formes et systèmes de vie. Ici, la cité n’est pas restreinte à notre communauté humaine; elle inclut aussi, plus globalement, la communauté de vie2. Les enjeux relatifs à la faim, à la soif, à la santé ou à l’énergie par exemple, nous rappellent en effet que les réalités humaines et les réalités écologiques sont étroitement imbriquées3. Les notions de santé environnementale, d’équité socio-écologique, de justice environnementale4 et plus récemment, de justice climatique, mettent en évidence également l’importance des liens entre la sphère dite écologique et la sphère sociale, de même que leur dimension politique. Selon Marie-Louise Martinez et 1 En référence au titre de l’ouvrage d’Edgar Morin et Brigitte Kern (1996). Terre Patrie. Paris : Seuil. 2 Aldo Léopold a bien déployé l’idée de « communauté biotique » : Léopold, A. (1949). A Sand County Almanach. New York : Oxford University Press. 3 D’où le concept d’écologie sociale de Murray Bookshin : Bookchin, M. (2011). Une société à refaire. Montréal: Écosociété. 4 Naoufal, N. (2016). Connexions entre la justice environnementale, l’écologisme populaire et l’écocitoyenneté. VertigO, la revue électronique en sciences de l’environnement, Vol. 16, no 1. https://vertigo.revues.org/17053 Frédéric Poydenot (2009, p. 62)5, la notion d’écocitoyenneté pourrait même être considérée comme redondante « si l’on considère que toute véritable citoyenneté implique l’indispensable partage d’un bien commun élargi à l’altérité intergénérationnelle, intercommunautaire, interspécifique ». Se référant à Michel Serres6, ces auteurs soulignent que cette notion aporétique invite à réfléchir sur le « lien contractuel ou politique avec le non humain ». L’écocitoyenneté fait donc appel à l’apprentissage du « vivre ici, ensemble », en tant que personnes et groupes sociaux incarnés, localisés, contextualisés, reliés dans un même souffle de vie. Certes, l’écocitoyenneté inclut l’écocivisme, mais elle ouvre sur des espaces d’engagement éthique plus fondamentaux. Rappelons que l’écocivisme répond à une morale sociale, c’est-à- dire à un ensemble de valeurs partagées et prescrites au registre des « bons comportements » : le recyclage en est l’exemple emblématique. Et bien sûr, les « petits gestes » ont toute leur importance : ils s’inscrivent dans une forme d’engagement au quotidien; ils exigent l’effort de la cohérence et de la constance. Cette forme d’écoresponsabilité, dans la sphère privée ou au sein de l’institution ou de l’entreprise, correspond à un « test » de base : si nous l’échouons, quelle légitimité aurons-nous pour porter un discours de dénonciation, appelant à des changements sociétaux? Toutefois, si chacun des « petits grains de sable » a son importance pour construire une dune de résistance à la vague tenace du consumérisme et de la négligence qui détruit peu à peu la qualité des systèmes de support à la vie, leur amoncellement ne peut pas suffire à résister à la déferlante de globalisation. La force des écogestes ne peut résider que dans le ciment de leur signification et de leur portée politiques. C’est ici qu’intervient l’écocitoyenneté. Au-delà de la morale, celle-ci s’inscrit dans le champ réflexif de l’éthique, où les valeurs ne sont pas convenues et définies a priori, mais se construisent collectivement dans le creuset des différentes situations contextuelles qui nous interpellent. L’écocitoyenneté est un lieu de délibération à propos de ce monde que nous partageons. Au-delà des gestes individuels, c’est avant tout un lieu d’action à caractère politique où se développe un pouvoir-faire collectif. L’écoresponsabilité y prend un sens élargi. Certes, apprendre à vivre ensemble sur Terre est l’enjeu éthique et politique le plus exigeant et le plus fondamental de nos sociétés urbanisées et en voie de métissage, où se forgent de nouvelles identités à travers de nouveaux rapports d’altérité7. Éduquer à l’écocitoyenneté devient donc un chantier pédagogique prioritaire. Il s’agit de croiser les fondements et les pratiques d’une éducation à la citoyenneté – préoccupée de démocratie, d’équité sociale et de justice – et ceux d’une éducation relative à l’environnement, qui nous rappelle que respirer, boire, se nourrir, se vêtir, se loger, produire et consommer, s’affirmer, rêver et créer … sont indissociables d’un certain rapport au lieu et s’inscrivent dans la trame d’une vie partagée, dans 5 Martinez, M.-L. et F. Poydenot (2009). Finalités, valeurs et identités pour fonder une éducation écocitoyenne. Éducation relative à l’environnement: Regards – Recherches – Réflexions, vol. 8, p. 57- 74. 6 Serres, M . (1990). Le contrat naturel. Paris: François Bourin. 7 Sauvé, L. (2009). Vivre ensemble, sur Terre - Enjeux contemporains d’une éducation relative à l’environnement. Éducation et Francophonie, 37(2), 1 à 10. http://www.acelf.ca/c/revue/sommaire.php?id=26. un réseau d’interactions au sein des écosystèmes qui nous portent et dont nous faisons partie intégrante. L’éducation à l’écocitoyenneté correspond ainsi à la dimension politique de l’éducation relative à l’environnement8. Elle est axée sur le développement d’une compétence politique, indissociable du développement de compétences d’ordre critique, éthique et heuristique9. La compétence critique permet de déconstruire les réalités et les discours, de poser des questions précises et d’exiger des réponses adéquates, de revendiquer l’accès à l’information et de valider celle-ci, d’appréhender la complexité et l’incertitude, d’analyser, de relier, de synthétiser, de discuter, d’évaluer ... Il s’agit ici de développer une capacité d’auto-défense intellectuelle10 et de construction d’un savoir valide, mais aussi une capacité à décoder les rapports de pouvoir et les situations d’injustice. Quant à la compétence éthique, elle permet de poser la question du Pourquoi? et de tenter d’y répondre : au nom de quelles valeurs les décisions sont-elles prises? Qu’entend-on par « bien commun »? Il faut apprendre à repérer les valeurs sous-jacentes aux discours et aux pratiques, à juger, à choisir, à affirmer, à s’engager ensemble dans une action cohérente avec nos propres valeurs individuelles et collectives, qu’il importe de clarifier, etc. Que signifient par exemple, le « respect » ou la « responsabilité », ici et maintenant, au-delà des mots d’ordre des bonnes pratiques? Quels fondements éthiques donnent un sens à ces valeurs? Et quelles autres valeurs privilégier pour y ancrer notre appartenance au monde de la vie? On peut ainsi répondre à l’exigence éthique inhérente au fait de cheminer collectivement à propos d’une réalité commune, d’un monde partagé. Et puis, en complémentarité, la compétence heuristique permet d’imaginer, de créer d’autres modes de pensée et d’agir, de proposer l’alternative et d’entrevoir diverses façons de se mettre en projet ensemble. « Résister, c’est créer » rappellent Florence Aubenas et Miguel Benasayag11. Ces trois champs de compétences, critique, éthique et heuristique, convergent vers le développement d’une compétence politique. Celle-ci fait d’abord référence à un ensemble de connaissances sur les courants politiques, sur les structures et les dynamiques socio-politiques, sur les lois et règlements, sur les acteurs et les jeux de pouvoir, sur les stratégies d’action, etc. Que ce soit par l’étude formelle ou par l’expérience réflexive de situations vécues – aux 8 Sauvé, L. (2015). L’éducation relative à l’environnement. In Bourg, D. et Papaux, A., Dictionnaire de la pensée écologique. Paris : Presses Universitaires de France, p. 376-379. 9 Sauvé, L. (2013). Au cœur des questions socio-écologiques : des savoirs à construire, des compétences à développer. In Bader, B., Legardez, A. Barthes, A. et Sauvé, L. « Rapport aux savoirs, éducation relative à l’environnement et au développement durable », Éducation relative à l’environnement – Regards, Recherches, Réflexions, Vol. 11, p. 19-40. http://www.revue-ere.uqam.ca/PDF/volume11/11- 1.pdf 10 Voir Noam Chomsky, uploads/Politique/ l-x27-educacation-a-la-citoyennete.pdf

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