Introduction 1 « Prescrire le bien et proscrire le mal » et la place qu’occupe
Introduction 1 « Prescrire le bien et proscrire le mal » et la place qu’occupe ce principe dans l’éthique sociale et dans le droit musulman s’expliquent par le souci de développer le sens des responsabilités chez le croyant qui doit jouer un rôle actif dans la vie de la communauté et donc de la cité afin d’en assurer l’harmonie et la concorde par un équilibre entre les droits et les devoirs. Ce principe, d’ordre coranique1, cité en même temps que des devoirs religieux aussi importants que l’obéissance à Dieu et à Son prophète donne au croyant ce droit et ce devoir de s’exprimer pour tout ce qui touche la conduite des affaires de la cité et donc de l’impliquer socialement, économiquement et politiquement. Cette dimension éthique relève de ce qui est appelé, en islâm, « ihtisâb », signifiant ‘rendre compte’ et qui, nous le verrons, du fait d’être fonctionnariser, évoluera vers un concept désigné par le terme de « hisbah » dont le sens est déduit de la notion de ‘compte à demander’. En fait, parler de « la recommandation du bien et de la dénonciation du mal », revient à discourir sur cette notion de civisme au sein de l’islâm qui n’est autre que cette permanente volonté de réforme des mœurs. Car un piétisme centré sur la seule préoccupation de soi-même est forcément contraire à toute éthique religieuse. 1 Coran, chap. III, v. 110. On y trouve aussi d’autres passages ou la pratique de l’ihtisab apparaît comme la marque du bon musulman. Ainsi, dans le chap. 3, v. 104 et chap. 22, v. 41 ou cette obligation se range après la prière et l’aumône légale. 2 Le prophète, conformément à la parole divine et tout au long de son apostolat, a exhorté les fidèles à pratiquer le « ma‘ruf » et à de dénoncer le « munkar ». Il importe de préciser que ce que nous devons comprendre par « al-ma‘ruf » trouve sa définition dans les passages coraniques relatifs à l’Adoration divine et aux transactions humaines, en d’autres termes, ce sont les droits de Dieu et les devoirs des hommes. Quant à « al munkar » ce sont les transgressions définies par les limites fixées par la morale islamique et le droit musulman qui, d’ailleurs, compte cette clause parmi les devoirs relevant d’un ordre communautaire. Si la morale et le droit islamique laissent aux croyants le soin d’apprécier les avantages ou les inconvénients d’une intervention à titre individuel et dans le cadre de ce principe, cela ne peut être que lorsque les conséquences n’entraînent pas de troubles. Car l’exercice sans discernement de « la recommandation du bien et de défendre le mal », quoique présentée comme supérieure au devoir du « jihâd », comporte des risques. En effet, la prise de conscience des détenteurs de décision, quant aux conséquences fâcheuses que peut entraîner toute intervention individuelle, les a incités, semble t-il, dans le cadre du droit public, à instaurer une fonction étatique, « la hisbah », traduisant le principe coranique évoqué. Le personnage devant assumer cette charge sera désigné par le terme de « muhtasib », l’équivalent à l’agoranome de la Grèce ancienne ou de l’édile curule de la Rome antique. Très vite, ce personnage va gagner en importance grâce à un élargissement de ses attributions morales et religieuses. Au contrôle des poids et mesures, à la vérification des produits et à la fixation des prix, lui furent octroyés la police des mœurs, veiller à ce 3 que les fidèles accomplissent leurs devoirs religieux et enfin garantir les droits des « dhimmis » ou gens du Livre sous protectorat de l’Islâm. Un certain nombre de textes, conservés depuis le XI° siècle, nous édifient sur ce qu’était cette institution depuis sa création et nous renseignent sur la vie sociale, économique et politique des musulmans au cours de l’histoire. C’est ainsi qu’à l’étude d’ouvrages d’auteurs musulmans tels que ceux de Ghazali, d’Ibn al-Ukhwwa, d’Ibn Taymyyah ou d’Ibn Khaldoun, on a une idée de ce qu’était l’organisation du commerce, de l’artisanat, des corporations de métiers, de la voirie, de la santé publique, des mœurs ou de la politique menée au cours de l’histoire islamique. Si notre étude porte sur la hisbah c’est qu’elle nous semble intéressante à plus d’un titre. Mais vu l’importance et la matière du sujet nous l’avons voulu limiter à une période déterminée de l’histoire du monde musulman. Pour des raisons de cœur nous avons choisi l’Egypte et pour ce qui est de l’entendement, l’ère mamelouk (1250-1517), et ce, pour plusieurs raisons. L’analyse de la hisbah de cette époque synthétise à elle seule l’évolution historique et politique de cette institution. Sur une période de trois siècles, les Mamelouks ont, non seulement et profondément, influencé la vie publique et juridique en Egypte mais, également, l’ensemble des pays musulmans, en général, en leur présentant un exemple relativement structuré de la hisbah par rapport à la leur. Signalons que les Mamelouks étaient à l’origine des esclaves et il y avait dans leur accession au pouvoir un signe quant à la rupture avec les préjugés de race et de classe. Si leur arrivée au pouvoir n’avait déterminé 4 de la part de la population égyptienne aucun rejet mais bien plutôt du respect et de l’estime c’est par le fait qu’ils étaient musulmans. Une autre raison de notre intérêt pour cette période, c’est l’existence d’une abondante littérature religieuse nous renseignant sur le fonctionnement de la hisbah en tant que système de gouvernement au service d’une politique islamique. L’histoire politique permettra d’expliquer que la hisbah n’a jamais été appliquée par les gouvernants que comme prétexte, faisant d’elle un outil de légitimation du pouvoir et de récupération religieuse ainsi que de pression administrative. Reste, maintenant, à nous poser la problématique suivante : quel type de discours adopter pour l’étude de notre thèse ? Car une approche profane de cette question, à l’exemple de certains auteurs, nous amènera à la confiner à la sphère administrative et gestionnaire et on n’y verra, certes, qu’une fonction municipale et tel n’est pas notre but. Est-ce dire qu’une méthodologie est contraire ou au contraire conforme à toute démarche au discours religieux ? Existe-t-il une méthode spéciale pour comprendre les phénomènes religieux en tant que tels ? C’est là une des questions que s’est posée la sociologie religieuse. Epistémologiquement, il semble qu’il n’y a pas de méthode particulière nous permettant de comprendre un phénomène religieux en tant que religieux et les écrits de Jean-Paul CHARNAY sont assez significatifs à ce sujet. Après avoir formulé le problème fondamental en précisant, d’une part, de ne pas se laisser prendre « au jeu du langage » et, d’autre part, en montrant le danger de toute méthodologie, car soit analytique soit projective et donc inadéquate, il ne tardera pas à souligner qu’une certaine 5 « distanciation vis-à-vis du système de connaissance proposé par l’Islâm » constitue « un début de désidéologisation, une évasion hors des jugements de valeur posés par les catégories musulmanes elles-mêmes », ce qui ne peut être assuré que par « une empathie conceptuelle » de la part du chercheur, dans un rapport dialectique avec une « sympathie vécue ». C’est pourquoi Jean-Paul CHARNAY reprochera à l’optique culturaliste « son insuffisante distanciation en demeurant à l’intérieur des catégories selon lesquelles se définit l’Islâm ».1 Le souci de distanciation a été, sans doute, assez contagieux, même pour un chercheur qui essaye de se maintenir sur le seuil du religieux : « Notre analyse du concept de religion consiste à mettre à distance critique non seulement nos croyances et nos habitudes de pensée, mais aussi les réactions immédiates, difficilement contrôlables de notre sensibilité formée justement par la tradition religieuse », et de poursuivre « qu’il s’agit d’introduire dans la tradition islamique une distanciation épistémologique que les anciens docteurs ne pouvaient pas concevoir dans un espace mental dominé par la perspective mythique et l’esprit dogmatique ».2 En d’autres termes, ce souci de distanciation consistera à penser l’autre sans se penser soi-même. Mais est-ce que cela ne reviendrait pas à dire que la « vision intérieure » est source d’erreurs, d’oublis, de déformations et d’ethnocentrisme ? Le débat sur la « vision intérieure » et sa primauté a intéressé tout particulièrement l’anthropologie sociale plus que l’histoire. De nombreux 1 CHARNAY Jean-Paul,’ Sociologie religieuse de l’Islâm’, Ed. Sindbad, Paris, 1977, p.24 ;43 ;50 et 327. 2 ARKOUN Mohammed, ‘ L’Islâm, hier ,demain’, Ed. Buchet et Chatel, Paris, 1978 , p.139 et 148. 6 anthropologues estimaient qu’analyser une société de l’intérieur comportait des risques. L’appartenance à une culture particulière risque de fausser l’évaluation d’une coutume ou d’une institution particulière, pour la simple raison que cette coutume ou cette institution est considérée comme allant de soi. Certains auteurs, comme Max GLUCKMAN, soutiennent que le « choc culturel » est indispensable pour faire le véritable anthropologue. Certes, le choc culturel utile à une compréhension scientifique authentique, en même temps compatible avec l’empathie, s’avère nécessaire. Ainsi, pour un chercheur, le fait d’être issu d’un milieu culturel autre, son initiation à la uploads/Politique/ la-hisbah-en-egypte-du-xii-au-xvi-siecle-periode-mamelouke.pdf
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- Publié le Mar 14, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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