Michel Foucault, Dits et écrits 1988 Michel Foucault, Dits et écrits 1988 pensé

Michel Foucault, Dits et écrits 1988 Michel Foucault, Dits et écrits 1988 pensées? La confession confère au maître, dont l'expérience et la sagesse sont plus grandes, un savoir, et donc lui permet d'être un meilleur conseiller. Même si, dans sa fonction de pouvoir discrimi- nant, le maître ne dit rien, le fait que la pensée a été exprimée aura un effet discriminant. Cassien donne l'exemple du moine qui avait volé du pain. Dans un premier temps, il ne pouvait pas avouer. La différence entre les bonnes et les mauvaises pensées est que les mauvaises pensées ne peuvent s'exprimer facilement, le mal étant indicible et caché. Que les mauvaises pensées ne puissent s'exprimer sans difficulté ni sans honte empêche qu'apparaisse la différence cosmologique entre la lumière et l'obscurité, entre la verbalisation et le péché, entre le secret et le silence, entre Dieu et le diable. Dans un deuxième temps, le moine se prosterne et avoue. Ce n'est que lorsqu'il se confesse verbalement que le diable sort de lui. La verbalisation du péché est le moment capital (Deuxième Conférence de l'abbé Moïse, II) *. La confession est le sceau de la vérité. Mais cette idée d'une verbalisation permanente n'est qu'un idéal. À aucun moment, la verbalisation ne peut être totale. La rançon de la verbalisation per- manente est la transformation en péché de tout ce qui n'a pu s'exprimer. Il y a donc - et je conclurai sur ce point — deux grandes formes de révélation de soi, d'expression de la vérité du sujet, dans le chris- tianisme des premiers siècles. La première est 1'' exomologêsis, soit l'expression théâtralisée de la situation du pénitent qui rend mani- feste son statut de pécheur. La deuxième est ce que la littérature spi- rituelle a appelé Yexagoreusis. L''exagoreusis est une verbalisation analytique et continue des pensées, que le sujet pratique dans le cadre d'un rapport d'obéissance absolue à un maître. Ce rapport prend pour modèle le renoncement du sujet à sa volonté et à lui- même. S'il existe une différence fondamentale entre V exomologêsis et Vexagoreusis, il faut cependant souligner qu'elles présentent un élé- ment commun : la révélation ne peut se concevoir sans le renonce- ment. Dans Vexomologêsis, le pécheur doit perpétrer le < meurtre > de lui-même en pratiquant des macérations ascétiques. Qu'elle s'accomplisse par le martyre ou par l'obéissance à un maître, la révé- lation de soi implique le renoncement du sujet à lui-même. Dans l'exagoreusis, d'un autre côté, l'individu, par la verbalisation constante de ses pensées et l'obéissance dont il témoigne envers son * Op. cit., pp. 121-123. montre qu'il renonce à la fois à sa volonté et à lui-même. p£F * rùtique, qui naît avec le christianisme, persistera jusqu'au (d/ïJ'L'introduction, au XIIIe siècle, de la pénitence, constitue pe»>importante dans le développement de ['exagoreusis. _ième' du renoncement du sujet à lui-même est très impor- ttaers toute l'histoire du christianisme, un lien se noue tion, théâtrale ou verbale, de soi et le renoncement du 9- , ^lui-même. L'hypothèse que m'inspire l'étude de ces deux iues est que c'est la seconde — la verbalisation — qui est deve- tplus importante. À partir du xvme siècle et jusqu'à l'époque ôtè; les < sciences humaines > ont réinséré les techniques de îsation dans un contexte différent, faisant d'elles non pas Tins- îerit'du renoncement du sujet à lui-même, mais l'instrument 'ftte la constitution d'un nouveau sujet. Que l'utilisation de ••* iiriiques ait cessé d'impliquer le renoncement du sujet à lui- :* constitue une rupture décisive. Pfp'p-vi • • - Wteohnologie politique $dfe^ X^,' •; •" • ' • tj J. jL ^jSjjl]j$$widus lllfhëipplitical Technology of Individuals > (< La technologie politique des individus > ; uni- p|téi;idù Vermont, octobre 1982 ; trad. P.-E. Dauzat), in Hutton (P.H.), Gutman (H.) et § ;(L.H.), éd., Technologies of thé Self. A Seminar with Michel Foucault, Amherst, The siity of Massachusetts, 1988, pp. 145-162. l||n| question apparue à la fin du xvme siècle définit le cadre général j||ef;Ce;que. j'appelle les < techniques de soi >. Elle est devenue l'un IpHlpôles de la philosophie moderne. Cette question tranche nette- imint ;i avec les questions philosophiques dites traditionnelles : igSî'ï ?f'; ':, ,: ' . . ' • ' ' • ' i|||4'çst^ce que le monde? Qu'est-ce que l'homme? Qu'en est-il de S|||vérité? Qu'en est-il de la connaissance? Comment le savoir est-il llpossible? Et ainsi de suite. La question, à mon sens, qui surgit à la i^ du XVIIIe siècle est la suivante : Que sommes-nous en ce temps i|<|ui est le nôtre? Vous trouverez cette question formulée dans un i||èxte de Kant. Non qu'il faille laisser de côté les questions pré- fïcédentes quant à la vérité ou à la connaissance, etc. Elles constituent lfâti contraire un champ d'analyse aussi solide que consistant, auquel |je) donnerais volontiers l'appellation d'ontologie formelle de la Michel Foucault, Dits et écrits 1988 Michel Foucault, Dits et écrits 1988 vérité. Mais je crois que J'activité philosophique conçut un nouveau pôle, et que ce pôle se caractérise par la question, permanente et perpétuellement renouvelée: < Que sommes-nous aujourd'hui? > Et tel est, à mon sens, le champ de la réflexion historique sur nous- mêmes. Kant, Fichte, Hegel, Nietzsche, Max Weber, Husserl, Hei- degger, l'école de Francfort ont tenté de répondre à cette question. M'inscrivant dans cette tradition,,mon propos est donc d'apporter des réponses très .partielles et provisoires à cette question à travers l'histoire de la pensée ou, plus précisément, à travers l'analyse histo- rique des rapports entre nos réflexions et nos pratiques dans la société occidentale. Précisons brièvement que, à travers l'étude de la folie et de la psychiatrie, du crime et du châtiment, j'ai tenté de montrer com- ment nous nous sommes indirectement constitués par l'exclusion de certains autres : criminels, fous, etc. Et mon présent travail traite désormais de la question : comment constituons-nous directement notre identité par certaines techniques éthiques de soi, qui se sont développées depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours? Tel fut l'objet du séminaire. Il est maintenant un autre domaine de questions que je voudrais étudier : la manière dont, à travers quelque technologie politique des individus, nous avons été amenés à nous reconnaître en tant que société, élément d'une entité sociale, partie d'une nation ou d'un Etat. Je voudrais ici vous donner un aperçu, non pas des techniques de soi, mais de la technologie politique des individus. Certes, je crains que les matériaux dont je traite ne soient un peu trop techniques et historiques pour une conférence publique. Je ne suis point un conférencier, et je sais que ces matériaux convien- draient mieux à un séminaire. Mais, malgré leur technicité peut-être excessive, j'ai deux bonnes raisons de vous les présenter. En premier lieu, il est un peu prétentieux, je crois, d'exposer de manière plus ou moins prophétique ce que les gens doivent penser. Je préfère les laisser tirer leurs propres conclusions ou inférer des idées générales des interrogations que je m'efforce de soulever par l'analyse de matériaux historiques bien précis. Je crois cela plus respectueux de la liberté de chacun, telle est ma démarche. Ma seconde raison de vous présenter des matériaux assez techniques est que je ne;vois pas pourquoi le public d'une conférence serait moins intelligent, moins averti ou moins cultivé que celui d'un cours. Attaquons-nous donc maintenant à ce problème de la technologiApolitique des individus. En 1779 parut le premier volume d'un ouvrage de l'Allemand J.P. Frank sous le titre System einer vollstândigen Medicinischen Poli- zey; cinq autres tomes devaient suivre. Et lorsque le dernier volume sortit des presses, en 1790, la Révolution française avait déjà commencé *. Pourquoi rapprocher un événement aussi célèbre que la Révolution française et cet obscur ouvrage? La raison en est simple. L'ouvrage de Frank est le premier grand programme systé- matique de santé publique pour l'État moderne. Il indique avec un luxe de détails ce que doit faire une administration pour garantir le ravitaillement général, un logement décent, la santé publique, sans oublier les institutions médicales nécessaires à la bonne santé de la population, bref, pour protéger la vie des individus, À travers ce livre, nous pouvons voir que le souci de la vie individuelle devient à cette époque un devoir pour l'État. A la même époque, la Révolution française donne le signal des grandes guerres nationales de notre temps, qui mettent en jeu des armées nationales et s'achèvent, ou trouvent leur apogée, dans d'immenses boucheries collectives. On peut observer, je crois, un phénomène semblable au cours de la Seconde Guerre mondiale. On aurait peiné à trouver dans toute l'histoire boucherie comparable à celle de la Seconde Guerre mondiale, et c'est précisément à cette période, à cette époque que furent mis en chantier les grands pro- grammes de protection sociale, de santé publique et d'assistance médicale. C'est à cette même époque que fut, sinon conçu, du moins publié le plan Beveridge. On pourrait résumer par un slogan cette coïncidence : Allez donc vous faire massacrer, nous vous pro- mettons une vie longue et agréable. L'assurance-vie va de pair avec un ordre de mort. La uploads/Politique/ la-technologie-politique-des-individus-pdf.pdf

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