Par François Zuccarelli Ethiopiques numéro 12 Revue socialiste de culture négro
Par François Zuccarelli Ethiopiques numéro 12 Revue socialiste de culture négro-africaine octobre 1977 Le 3 septembre 1870, le double nouveau du désastre de Sedan et la capture de l’Empereur Napoléon III parvient à Paris. Le lendemain, la foule se rassemble devant l’Hôtel de ville et y proclame la République. Ainsi débute une nouvelle période de l’histoire de France. En ce qui concerne la colonie du Sénégal, elle sera marquée par une tentative d’application de la théorie de l’assimilation politique dans les quatre communes de Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque. Les habitants de ces agglomérations seront appelés à élire leurs représentants à la Chambre des députés et dans les instances locales. Le droit de vote favorise des compétitions électorales souvent violentes, toujours acharnées. A travers ces scrutins, il s’agit de rendre compte de l’histoire politique de la colonie du Sénégal. Une recherche exhaustive nécessiterait des développements qui ne trouveraient pas leur place ici. Il s’agit, donc d’une simple esquisse de la vie politique dans les quatre communes avec tous les inconvénients que suppose cette schématisation. Mais auparavant, il convient de présenter les aspects généraux de la vie politique sénégalaise de l’époque. Conditions de la vie politique C’est au nom de la politique d’assimilation, laquelle se fonde, selon Georges Hardy, sur ridée de « l’identité permanente du type humain », que le Sénégal est doté d’institutions électives. Par Sénégal, cependant, il convient d’entendre les seules agglomérations de Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque. Soit une population d’environ 26.600 individus en 1870 [1]. Les organes de la France républicaine y sont introduits : un député, des conseils municipaux, le conseil général. La colonie a déjà envoyé un député en France, en 1790. Lamiral décide alors ses concitoyens à rédiger des cahiers de doléances et se charge de les présenter devant les Etats Généraux. Mais, outre qu’il est désigné par quelques notables, européens et mulâtres, il siège à l’Assemblée versaillaise sans titre, sans statut défini. En 1848, une instruction du gouvernement provisoire, en date du 27 avril, accorde un représentant au Sénégal. C’est Barthélémy Durand-Valentin qui est choisi le 31 octobre 1848 et réélu 1e 10 août 1849 par un corps électoral très restreint. Ayant dû démissionner, il est remplacé par un autre mulâtre de Saint-Louis, John Sleight (17 août 1851). Mais avant que ce dernier ait pu régler la question de son éligibilité, la représentation parlementaire des colonies est supprimée par le décret - loi du 2 avril 1852 de Napoléon III [2] Elle est rétablie par la IIIe République naissante (décret du 1er février 1871), puis à nouveau supprimée en 1 1876, l’administration locale craignant l’influence du député. A la suite de pétitions des habitants des communes, Jules Grévy consent à rendre aux électeurs sénégalais le droit de désigner un représentant au Parlement (décret du 8 avril 1879). Ils le conserveront jusqu’en octobre 1958, sauf durant la période du régime de Vichy. Dès le temps des compagnies de monopole, l’habitude avait été prise de désigner un maire à Gorée et Saint- Louis. Il s’agissait, en fait, d’une personnalité nommée et la commune n’existait pas en tant que personne morale de droit public. Sur l’insistance du député Laffont de Fongauffier, et malgré la résistance du gouverneur, un décret du 10 août 1872 crée les communes de Saint-Louis et de Gorée. La première est constituée par l’île, les faubourgs de Guet Ndar, Ndar Toute et Sor auxquels on ajoute, en 1884, 1e village de Gokhoumbaye. Elle a un maire, deux adjoints et quinze conseillers municipaux. Gorée a onze conseillers, un maire, deux adjoints et un adjoint spécial pour Dakar qui lui est rattachée, [3]. Le décret du 12 juin 1880, en créant la commune de Rufisque, englobe au centre commercial proprement dit les petites agglomérations de Diokoul, Mérina et Tiawlène. Avec le maire et un adjoint, le conseil municipal est constitué de dix conseillers, chiffre qui sera porté à seize par la suite. Enfin, le juin 1887, la commune de Dakar est séparée de celle de Gorée. Elle est dirigée par un maire, un adjoint, douze (puis dix huit) conseillers. A partir de la loi du 28 mars 1882, les maires et les adjoints ne sont plus nommés mais élus par des conseils municipaux, eux-mêmes choisis au suffrage universel direct pour une durée de six ans et renouvelables par moitié tous 1es trois ans. Par la suite, le décret du 26 juillet 1884 rend applicable à la colonie la loi du 5 avril 1884, ce qui est la véritable charte des communes françaises. Le Conseil général du Sénégal a été institué, pour la première fois, par l’Ordonnance du 7 septembre 1840 [4]. Son corps électoral, d’une centaine de notables désignés par le gouverneur, est réparti en trois collèges : ceux des négociants français, des négociants et propriétaires indigènes, des détaillants européens et indigènes. Il est supprimé dans l’ensemble des colonies par la IIe République. Mais dès 1862 des pétitions sont adressées au pouvoir central, en vue de son rétablissement. Elles émanent des négociants bordelais qui, par un organe électif, espèrent restreindre les droits de l’administration sur la marche des affaires commerciales. En 1878, les sociétés Maurel et Prom, Maurel frères Buhan et Teisseire, Devès et Chaumet s’adressent une nouvelle fois au ministre de la Marine et des Colonies en faisant soutenir leur action par les Chambres de Commerce de Bordeaux et de Marseille ainsi que par des parlementaires [5]. Elles obtiennent satisfaction. Le décret du 4 février 1879 prévoit une Assemblée de seize membres [6] élus au suffrage direct pour six ans et renouvelables par moitié. Elle délibère notamment sur le budget de la colonie et, ce qui intéresse particulièrement les négociants bordelais, sur l’assiette, les règles de perception, le montant des taxes et contributions : locales, à l’exception des droits de douanes et d’octroi de mer. Les éléments, caractéristiques de la vie politique sénégalaise sont relativement stables durant la période qui va de 1871 à 1914. 2 [1] Selon Béranger-Ferraud dans ses études sur la Sénégambie (Moniteur du Sénégal, 1873, p. 23) et l’Annuaire du Sénégal de 1870, Saint-Louis compte 15.480 habitants en 1869, soit mille métropolitains, deux mille mulâtres, onze à douze mille Sénégalais et six cents hommes de troupe. A Gorée la population est de 3.243 habitants lors du recensement de 1866. On estime celle de Dakar et de Rufisque à, respectivement, 3.350 et 4.550 habitants en 1870. [2] Sur les députés et les maires du Sénégal avant 1872, voir : F. Zuccarelli : Les Maires de Saint- Louis et de Gorée de 1816 à 1872, Bulletin IFAN, série B, n° 3, 1973, p. 551-573. [3] Bull. adm. du Sénégal, 1872, p. 285. [4] RA.S. 1818-1842, p. 597. [5] Archives nationales, section FOM, dossier Sénégal VU ; 30 b. [6] 10 conseillers pour Saint-Louis, 4 pour Gorée-Dakar et pour Rufisque. Par la suite, le nombre des conseillers de Gorée-Dakar et de Rufisque est porté à 5 pour chacune de ces circonscriptions. ______________________________________________________________________________________ Le premier d’entre eux est le « localisme », ou sentiment d’appartenir à une collectivité que la géographie détache des grands courants de pensée et des événements mondiaux. Rappelons qu’en 1870 il faut quinze jours de navigation maritime pour joindre Bordeaux à Dakar. Une nouvelle telle que la déchéance de Napoléon III met plus d’un mois pour parvenir au Sénégal. Plus tard, le câble sous-marin accélère la circulation de l’information, mais sous une forme télégraphique et avec cette concision qui ne laisse de place qu’au fait brut. Pour ces raisons, les électeurs sénégalais se préoccupent essentiellement de ce qui les concerne directement. Aucune idéologie ne se manifeste dans la vie politique locale entièrement dominée par des soucis tels que la récolte d’arachides, le chemin de fer, les droits douaniers, les infrastructures économiques. Ce faisant, le corps électoral privilégie le groupe de pression constitué par les négociants bordelais qui monopolisent le commerce d’importation et d’exportation. Le localisme est particulièrement net lorsqu’on consulte la presse de l’époque, spécialement les deux premiers journaux publiés en 1885 [1], puis le bimensuel qui parait de manière plus durable à partir de 1896, l’Afrique occidentale. Lorsque l’affaire Dreyfus passionne et divise l’opinion publique métropolitaine, il n’y est fait aucune allusion dans les publications et durant les campagnes électorales au Sénégal. Ce particularisme nous semble être renforcé par l’existence d’un corps électoral restreint. Le droit de vote et l’éligibilité sont accordés aux seuls habitants des quatre communes et avec des restrictions qui éliminent une bonne part d’entre eux. Sur les listes électorales de 1871, on compte 4.277 inscrits au total. On passe à 8.710 électeurs en 1914. On voit les limites de la politique d’assimilation menée au Sénégal. La qualité d’électeur est donnée aux citoyens français : c’est-à-dire aux originaires de la métropole et de la colonie qui, par la naissance, sont soumis au statut civil français. La question de la liaison de la citoyenneté et du statut civil va faire l’objet de nombreux débats jusqu’en 1914. Pour cette raison, le droit de vote donné aux indigènes est très fragile. On n’en trouve pas de justification juridique. uploads/Politique/ la-vie-politique-dans-les-communes-de-1872-a-1914.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Ot7lux64f9LR0jXdKhWaFwCxgZpQbJR6psxBRJpSK6QDcILjsPXhCIYIZSxNhinq4A9EBWrJlZJH0EnKeZy1ozNu.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/IkUB0WzWB7xRrG8AAZlo69AdqEp7RwW2ILz48y6FVM2ilxkKJvxxZXpjxCA1Noxs8SsnPrj6a0o3BjcvYBOGrX0O.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/rcGxI7n1szjidJzNAK18jFlxxrum5GsS1FQm9wm2DXPftWj8linB14CXkHybmtKweoFC1lN5p1DrRYjvTUkERXjq.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/ebHjNQwNIfGEvNOQNf4I6VboTv6FiuAIBNRYfoChxGJlxPS8Z9CCer7IWiTNKhmAYa5NNtk3Qyqf32xeXFX6nw11.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/5LXVuMAtiiwaNUY0Y2mwg8JhDwrWV1h5XHojsyJjzqLH5AyeScwz7klGPOlCaQc1Wc4URgWeocQdAZzmUfl6dFQz.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/h24PpA8bO3bRRZ2wUAi9sSENCrznDSFmHDPvfD6QRfAkNQ9lQEmSDXwNzIN05neIe4wYjlpWBusDY0mOP34Flwsb.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/9j0Vj7DcGUiizaQxfH85TJq9pXa9QBulfX3hIzTfoXXltNvEYxvKEA1UOggQ8nzsppiYyum8VfA1R08cbZ8hBsnK.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/58Ga1o547LCe1Vh1hUW7dxHlCCy6uF16gNbcigSwMIcLnEZBc79dD1wJyflzGsSvwUld7IlgMjWYp7q9TQRl9onv.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/ukSgBxCJjbBqjmv9uxr0RYi8rb0QsnpHW6MqkUqUJEmObyVnn4jIkSfU3fb31tFAgrM7WSy4hQImAua02rfp6U1t.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/jnYtWatb428ObVhowONPvCJGLUByM1CCcx1Z0WGcaKxEYjl4ktgNs77imkjPJtwbVboBbagIR2XpzcGsY3LycfDu.png)
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 09, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2646MB