1 Chapitre 4 L’ACTUALITE POLITIQUE ET LA PARTICIPATION EN LIGNE Josiane JOUËT e
1 Chapitre 4 L’ACTUALITE POLITIQUE ET LA PARTICIPATION EN LIGNE Josiane JOUËT et Coralie LE CAROFF INTRODUCTION Si les médias ont, depuis près de deux décennies, développé des versions numériques de leur contenu rédactionnel, ces dernières s’enrichissent désormais de multiples dispositifs participatifs destinés à fidéliser leur audience mais aussi à l’élargir. A l’ère de la généralisation du numérique, l’offre participative est devenue pléthorique et se décline dans les commentaires d’actualité, les forums de discussion et, de plus en plus, dans les espaces du web social comme Facebook ou Twitter. Toutes ces plateformes proposent, sous des formats divers, une mise en discussion de leur contenu informationnel. Une multiplicité de sujets d’actualité interpelle ainsi les lecteurs en ligne, et nombre de ces sujets offrent autant de prises aux citoyens pour commenter et débattre d’événements et questions de nature politique. Ces plateformes sont ainsi un terrain particulièrement approprié pour cerner les formes d’engagement politique ordinaire des citoyens car, à l’inverse de la blogosphère polarisée autour des différents courants politiques, l’espace numérique des médias de masse s’adresse au « grand public ». Les plateformes participatives des médias seraient favorables à l’élargissement de la participation citoyenne et contribueraient à l’échange social au sein du grand public. Ainsi pour Azi Lev-On et Bernard Manin : « Quelles que soient les motivations de ceux qui s’y rendent, le résultat est que ces sites constituent des carrefours de communication par-delà les clivages, favorisant l’exposition à des opinions adverses, et même la confrontation interactive avec elles. »1. La consultation des sites médiatiques atteste d’emblée l’appétit de participation car on y observe des milliers de commentaires, de fils de discussion. Il se produit un grand engouement pour la publicisation, terme que nous privilégions, à l’instar de Daniel Cefaï et Dominique Pasquier, à celui de publicité : « Dans la forme verbale, le néologisme –ou l’anglicisme – "publiciser" tend à s’imposer pour ressaisir la dimension dynamique d’un "devenir public" ou d’un "rendre public" »2. Cette effervescence de paroles numériques émane, il est vrai, d’une toute petite minorité d’internautes comme l’attestent les autres terrains qualitatifs de Médiapolis exposés dans cet ouvrage. L’enquête quantitative Médiapolis de la fin 2009 relevait d’ailleurs que seuls 3% des internautes écrivaient sur des blogs ou des forums politiques 3. Les internautes étaient cependant alors 42 % à rechercher des informations politiques en ligne, 21% à transférer des informations politiques et 16% à consulter des blogs politiques ou citoyens. Ces chiffres sont certainement plus élevés aujourd’hui d’autant que les médias se sont depuis largement déployés sur le web social et se sont attelés à créer des communautés de « fans » de leurs pages Facebook et de « suiveurs » de leurs comptes Twitter. 1 LEV-On A., MANIN B., « Internet : la main invisible de la délibération », Esprit, mai 2006, p.207. 2 CEFAÏ D., PASQUIER D., Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF, 2003, p.14. 3 Les résultats de l’enquête du Cevipof sont accessibles à l’adresse suivante : http://www.cevipof.com/fr/mediapolis/rapport/ 2 Pour autant, les lecteurs participatifs sur les sites médiatiques constituent des formes de « sous publics » qui présentent le grand intérêt de se distinguer des activistes de la blogosphère politique, et de rassembler des individus de profils sociaux, d’origines géographiques et de points de vue diversifiés, qui sont également concernés par l’actualité politique et disposés à en débattre sur des plateformes ouvertes. Françoise Massit-Folléa et Cécile Méadel soulignent ainsi : « … l’intérêt de considérer les échanges collectifs à distance comme une catégorie d’expériences où les paroles publiques circulent en écho d’un média à l’autre (…), et de reconnaître les médias comme accomplissant un double rôle : organisateurs de débat mais aussi instruments mobilisés par les acteurs pour produire de la discussion collective »4. Dans la vaste littérature sur la démocratie participative, les travaux portant sur les dispositifs de débat en ligne nous intéressent plus directement ici. Ils recensent les attentes de démocratisation reposant sur les spécificités de la communication électronique: le principe d’ouverture à tous, le principe d’égalité de parole et de statut, la facilitation de l’interaction en raison du gommage des signes d’identification sociale et des signes corporels, la pratique fréquente de l’anonymat qui permet une libération de l’expression. Toutes ces caractéristiques ont été considérées, dans les premières publications non dénuées de déterminisme technique, comme favorables à la confrontation d’opinions, voire à l’échange délibératif5. Or les études empiriques6 observent que le « free speech » conduit à une domination des discussions par certains locuteurs, que les opinions se fondent davantage sur des généralisations et simplifications que sur des arguments rationnels, que l’allègement des contraintes énonciatives encourage une syntaxe, une orthographe et un langage relâchés, tandis que les échanges se produisent majoritairement sur un mode agonistique. Toutefois ces traits se mêlent à une part de commentaires et d’échanges se ressourçant aux formes consacrées de la démocratie argumentative de sorte que cet enchevêtrement de discours contribue à une grande hétérogénéité des forums. Ces caractéristiques sont communes à la plupart des forums politiques et se repèrent aussi, bien évidemment, dans les forums médiatiques. Les rares études menées en France sur les médias électroniques l’attestent. Michel Marcoccia7 relève les interactions brèves et la provocation, voire les insultes, lancées sur le forum du journal Libération, et Maud Vincent8, dans son étude du forum de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » sur France 3, constate une dégradation de la parole publique. A l’inverse, Sophie Falguères9 remarque, à partir de sa recherche doctorale sur les forums du Monde, de Libération et du Figaro, que l’actualité médiatique débouche sur des 4 MASSIT-FOLLEA F., MEADEL C., « Communication et débat public », Hermès, n°47, 2007, p 12. 5 CARDON D. « La démocratie Internet. Promesses et limites », Paris, Seuil, La République des idées, 2010 ; MONNOYER-SMITH L., « La participation en ligne, révélateur d’une évolution des pratiques politiques ? », Participations, vol.1, n°1, 2011, p.156-185. 6 Voir, entre autres, les numéros thématiques des revues : Hermès, N°47, 2007, Paroles Publiques, Communiquer dans la cité ; Réseaux, Volume 26, N° 150, 2008 « Parler Politique en ligne » 7 MARCOCCIA M., « Parler politique dans un forum de discussion », Langage et société, n°104, 2003, p 9-55. 8 VINCENT M., « La dégradation du débat public : le forum de l’émission "On ne peut pas plaire à tout le monde" », Hermès, n°47, 2007, p 99-106. 9 FALGUERES S., Presse quotidienne nationale et interactivité : trois journaux face à leurs publics. Analyse des forums de discussion du Monde, de Libération et du Figaro, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008. 3 discussions politiques tandis que Marianne Doury et Michel Marcoccia10 soulignent que les arguments rationnels ne sont pas absents de la confrontation des opinions sur les forums. Pour leur part, Sylvain Parasie et Jean-Philippe Cointet analysent la vivacité des forums du quotidien régional La Voix du Nord à l’occasion des élections municipales de mars 2008 et concluent : « ...d’une manière générale, la discussion en ligne ne peut être analysée de façon déconnectée des espaces sociopolitiques dans lesquels elle se déploie »11. Si les résultats des études sur les médias électroniques paraissent a priori contradictoires, ils démontrent surtout que la participation en ligne est fortement diversifiée et que ses caractéristiques et ses modalités varient selon les plateformes éditoriales, les thématiques des débats étudiés et les périodes de collecte de données. Les recherches empiriques sont nécessairement circonscrites à leur terrain et ne peuvent donc conduire à des enseignements généraux étant donné la grande plasticité des espaces numériques. Certes les forums ne sont plus aujourd’hui les dispositifs les plus courants, et la participation sur les sites de presse se décline désormais davantage dans d’autres formats : chats ponctuels liés à l’actualité chaude, commentaires d’articles ou blogs des journalistes, contributions des lecteurs alimentant des réactions et des fils de discussion, réactions sur les réseaux du web social, comme les pages Facebook des médias. Les ressorts participatifs des forums demeurent cependant toujours présents sur ces nouveaux dispositifs. Notre recherche soulève la question des nouveaux modes de constitution des publics qui se forment dans les espaces de participation des plateformes médiatiques. Daniel Cefaï et Dominique Pasquier soulignent la pluralité des publics et ses différentes acceptions « Le "public" est un signe aux sens multiples »12, et ils remarquent : « Les recherches se sont orientées vers les dimensions performatives des publics : elles portent sur le processus de leur auto-configuration, indissociable de l’exercice d’une autoréflexivité … Qu’il s’agisse de publics politiques ou médiatiques, un courant de recherche fondé sur une "pragmatique des activités" s’est développé depuis les années quatre-vingt dans les sciences sociales en France »13. A ce titre, les participants des plateformes médiatiques sont engagés, via la médiatisation de leurs activités d’auto-publicisation, dans des manifestations performatives qui les érigent en membres d’un public. Nous nous proposons donc de tenter de répondre aux questions suivantes : Qui sont les internautes participatifs (profils sociaux, motivations d’usage) ? En quoi et comment se mobilisent-ils autour des événements nationaux ou internationaux qui uploads/Politique/ lactualite-politique-et-la-participation.pdf
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- Publié le Jul 03, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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