Benoît Pellistrandi – Lycée Condorcet – Année 2018-2019 1 Le maire, un pouvoir
Benoît Pellistrandi – Lycée Condorcet – Année 2018-2019 1 Le maire, un pouvoir exécutif La Révolution française dans son souci de réforme de l’administration a étendu le modèle de la commune à l’ensemble du territoire. Elle est devenue le plus petit échelon administratif, suivi du département. Il faudra attendre la IVe République pour qu’apparaisse la notion de région, pensée comme entité pour une action étatique plus efficace. L’uniformisation administrative répond à l’idéal d’égalité qui repose sur la relation entre l’État et les citoyens. Il n’y a plus de statuts particuliers mais des citoyens égaux en droits sur l’ensemble du territoire national. Dans ces conditions, la figure du maire touche à l’histoire politique nationale. Les conditions de sa nomination ou de son élection, ses compétences, son affirmation face aux autres pouvoirs – le châtelain, le curé –, sa représentativité sont autant d’enjeux qui marquent le XIXe siècle, accompagnent la dynamique démocratisatrice de la France et la politisation des masses1. 1800-1848 : Le maire, un « autocrate domestiqué » ? Après le coup d’État du 18 Brumaire et la nouvelle constitution de l’an VII, la loi « concernant la division du territoire de la République et l’administration » (février 1800) établit une hiérarchie des communes classées en cinq catégories : au-dessous de 2 500 habitants, de 2 500 à 5 000, de 5 000 à 10 000, de 10 000 à 20 000 et au-dessus de 20 000. Chaque commune aura un « maire » et un « adjoint ». Ils seront entourés de conseillers. Maires et adjoints seront nommés, tandis que le conseil est élu. Les maires sont nommés par le Premier Consul dans toutes les municipalités de plus de 5000 habitants, par le préfet dans les communes moins peuplées. La fonction ne donne droit à aucune rétribution (il faudra attendre 1942 pour que soit instaurée une indemnité !). L’année suivante, l’État dresse la carte des cantons et des « chefs-lieux » de canton où siège notamment le juge de paix. Cette hiérarchisation du territoire qui obéit à la vision militaire de Bonaparte aura des effets psychologiques importants et nourrira des rivalités locales puissantes. En septembre 1802, le suffrage censitaire est rétabli pour l’élection des conseillers municipaux (votent les cent personnes les plus imposées du canton). Ils sont en charge pour 10 ans tandis que le maire et son adjoint le sont pour 5 ans. Pendant tout l’Empire, le maire a été le relais local du pouvoir central. Dans sa dynamique conquérante, l’Empire a demandé aux maires de devenir les responsables du recrutement militaire (dès 1804 ils sont tenus pour responsables des désertions et des réfractaires). Si bien qu’entre 1812 et 1 Sur l’importance dans la littérature de l’échelon municipal, on lira avec profit la nouvelle « Un coup d’État de Maupassant », La jument verte de Marcel Aymé (1933), Roger Martin du Gard, Vieille France (1933), Clochemerle de Gabriel Chevallier (1934). Le modèle tertio-républicain – Cours de B. Pellistrandi – Lycée Condorcet 2018-2019 2 1814, au moment où l’effort démographique devient insupportable pour la population française, les maires sont placés dans une situation de plus en plus délicate. Cela explique sans doute pourquoi ils seront les acteurs du changement d’allégeance et pourquoi, nombre d’entre eux, accueilleront avec soulagement le retour des Bourbons. Ils seront parmi les premiers à troquer la cocarde tricolore pour la cocarde blanche et en 1820, le manuel à l’usage des maires précise bien que la couleur de l’écharpe du maire est le blanc. Fort de ce maillage administratif et politique si utile au gouvernement du pays, le nouveau pouvoir de Louis XVIII ne touche pas à l’institution municipale napoléonienne, « si ce n’est pour en aggraver le caractère autoritaire »2. Naturellement une épuration politique a lieu et les nouveaux préfets royalistes doivent nommer de nouveaux maires (ils ont la possibilité de les choisir hors du conseil municipal). C’est ainsi par exemple qu’Alphonse de Lamartine nommé maire de Milly (Saône-et- Loire) en 1812, est confirmé dans ses fonctions. Mais il sera révoqué au cours des Cent-Jours par Napoléon (il est vrai qu’alors il est dans la garde de Louis XVIII !). Les Cent Jours sont un moment difficile pour les maires : Napoléon suggère au ministre de l’Intérieur dès le 27 mars 1815 de remplacer les « mauvais préfets et les mauvais maires ». Le 20 avril 1815, dans la logique de cette libéralisation de l’Empire, une circulaire prévoit l’élection du maire et du conseil au suffrage censitaire, avec un cens très bas3. Le retour de Louis XVIII oblige une nouvelle fois les maires à faire acte d’allégeance ou à justifier leur attitude pendant les Cent Jours. De plus les élections de mai 1815 sont annulées et des maires royalistes remplacent des maires bonapartistes dans un climat de plus en plus tendu, qui débouchera sur la « Terreur blanche ». En 1816, un remplacement général des maires est demandé par les ultras qui l’obtiennent. Partout, les règlements de compte politique et symbolique ont lieu4. Les maires ont été des relais indispensables de ce climat de terreur, dénonçant aux autorités tel ou tel, dressant des listes de suspects (ainsi Alexis Devaux d’Hugueville, maire d’Ivry à partir de 1815)5. La lecture de la littérature de l’époque – Balzac et Stendhal – nous donne des portraits de maire et fait voir comment la bourgeoisie locale s’est approché de l’aristocratie pour former 2 Jocelyne George, Histoire des maires 1789-1939, Paris, Plon, 1989, p. 69. 3 Des élections vont donc avoir lieu. « Royalistes et bonapartistes se comptent. Pour la circonstance, républicains et libéraux se regroupent derrière l’Empereur, fondant ainsi l’ambiguïté du bonapartisme », ibid., p. 71. 4 Ainsi par exemple à Salles, dans l’arrondissement de Libourne, le maire procède à l’arrachage de l’arbre de la liberté planté en juillet 1792. 5 Une enquête collective du CNRS sur la sociologie des maires a montré la part importante des nobles parmi les maires de la Restauration et la domination des « propriétaires-rentiers ». Le modèle tertio-républicain – Cours de B. Pellistrandi – Lycée Condorcet 2018-2019 3 une classe dominante, produit de synthèse post-révolutionnaire6. C’est à cette échelle locale que s’opère le mieux cette rencontre « de l’ancien et du nouveau », « de deux France, celle de la tradition et celle de la Révolution ». Le maire est ainsi le produit d’une élite locale. Il est aussi le champion d’un clan contre un autre, ce qui peut conduire aussi l’administration à choisir une personnalité neutre pour contrecarrer les luttes intestines qui déchirent les municipalités. On voit ainsi progressivement surgir la dialectique subtile du centre et des périphéries : comment disposer de relais efficaces sans pour autant tomber dans la consolidation d’un pouvoir local qui risquerait, par cette force acquise, d’être de plus en plus autonome ? Le maire doit bien être un relais, c’est- à-dire être en capacité de jouir de la confiance du pouvoir d’en haut et de ses administrés d’en bas. Nommé, le maire est bien un agent du pouvoir mais il ne peut pas être un simple agent exécuteur. Le notable conjugue une influence à double sens. Il la conjuguera avec celle du curé (la loi du 18 novembre 1814 impose que toute activité soit suspendue le dimanche pour respecter le culte). Louis Blanc, penseur socialiste, dénoncera ce « despotisme en petit ». Paul-Louis Courier dénonce « le bon plaisir du maire et du préfet ». Du coup, le maire de Luynes lui refuse d’être électeur dans son village malgré les impôts qu’il paye et qui lui donnent le droit de vote. Pendant toute la Restauration de 1814 à 1830, aucune loi municipale n’arrivera à être rédigée pour corriger les défauts de ce système très centralisé. Ce blocage est lié à la lutte que se livrent libéraux et ultras. Guizot, dès 1814, et pendant toute la période, voudra corriger ce pouvoir des « maires qui s’érigent en petits pachas » (1828). Le projet de loi du gouvernement Martignac de 1829 propose que les maires des communes de moins de 3000 habitants soient élus et les autres nommés par le roi. Le corps électoral censitaire représenterait 2% de la population. Lors du débat, le ministre de l’Intérieur rappelle que « toute autorité émane du roi ». La révolution de 1830 met à nouveau en danger les maires. Dès le 6 août, Guizot, Ministre de l’Intérieur, ordonne aux commissaires qu’il envoie dans les départements de procéder au remplacement provisoire des maires. Seront privilégiés la compétence et la richesse à condition qu’elles s’accompagnent d’une allégeance à la Charte et à la nouvelle monarchie. Les conseils municipaux seront débarrassés des ultras (septembre). Puis le 21 mars 1831, une nouvelle loi municipale modifie en profondeur le statut du conseil et du maire. Le corps électoral municipal sera composé des hommes de plus de 21 ans, payant des impôts. On prendra les 10% les plus imposables dans les 6 Une très belle lecture politique de la littérature du XIXe siècle est proposée par Mona Ozouf dans Les Aveux du roman. Le XIXe siècle entre Ancien Régime uploads/Politique/ le-maire-pdf 1 .pdf
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- Publié le Jui 28, 2021
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