Line Renaud avec Bernard Stora En toute confidence récit À la vie… Bernard Stor
Line Renaud avec Bernard Stora En toute confidence récit À la vie… Bernard Stora, scénariste, réalisateur de cinéma et de télévision, a tourné plusieurs films avec Line Renaud, dont Suzie Berton, qui a marqué un tournant dans sa carrière de comédienne. C’est une fois encore à lui que Line Renaud a choisi de confier les souvenirs qu’elle livre aujourd’hui. 1 10 avril 2019, sept heures du matin Chaque soir, quelle que soit l’heure à laquelle je me couche, souvent fort tard si je rentre d’un dîner ou d’un spectacle, deux de mes chiens m’attendent. Les élus. Ceux qui ont le droit de dormir dans ma chambre. Pirate et Oscar. Pirate, six ans, un cavalier king-charles. Oscar, un an à peine, le bichon havanais dont on m’a fait la surprise à mon dernier retour de Las Vegas pour me consoler de la perte de Voyou et de Câline, tant aimés, tant pleurés, disparus peu avant Noël 2018. Voyou emporté par un cancer généralisé, Câline – qui n’avait que six ans et était en bonne forme – morte de chagrin quatre jours plus tard. Ils avaient été élevés ensemble et ne s’étaient jamais quittés. Comme à la cour, sous nos rois, il y a les élus parmi les élus, les privilégiés suprêmes. S’ils ont tous deux accès à ma chambre, un seul, Pirate, peut dormir sur mon lit. Oscar doit se contenter d’un panier – très confortable, qu’on se rassure – posé à terre, près de la porte de la salle de bains. La règle est établie, il ne viendrait pas à l’idée d’Oscar de disputer sa place à Pirate, pas plus que Pirate n’envisagerait de la lui céder. Je me suis toujours endormie aux petites heures du jour, à trois ou quatre heures du matin, et j’aurais bien du mal à trouver le sommeil sans le secours d’un somnifère. Mon métier l’a voulu. Quand on est sur scène le soir, qu’on connaît le trac, cette affreuse paralysie qui vous saisit avant le lever du rideau, puis l’exaltation, la chaleur du public, le succès, les bravos, comment aller se coucher sitôt les lumières éteintes ? Il faut décompresser, rire, faire la fête, bavarder à n’en plus finir avec les copains. Et rentrer chez soi quand beaucoup d’autres se lèvent pour partir au travail. Comme bien des artistes, je fais ma nuit le matin. Mais laissez-moi vous expliquer comment je vis à La Jonchère, la propriété que nous avons bâtie peu à peu avec Loulou, mon mari, sur le terrain – un maquis inextricable – acheté en 1949. C’est une vaste demeure qui nécessite du personnel. Il y a tant à faire. Deux couples y vivent en permanence avec moi. Marie-Annick depuis vingt ans, avec Jacques, son mari. Jacinthe et Luis depuis neuf ans. Marie-Annick et Jacinthe sont devenues au fil des années des compagnes de route, pour ne pas dire des amies. Ce sont elles qui se relaient, chaque matin, pour venir entrouvrir la porte de ma chambre et libérer les chiens, qui, malgré toute leur bonne volonté, ont du mal à se plier à mes horaires décalés. Peut-on leur en vouloir s’ils ont envie, quand pointe le jour, de se dégourdir les pattes ? Aussitôt Oscar, le plus jeune et le plus impatient, se faufile entre leurs jambes et dévale l’escalier. Pirate, tout aussi pressé mais plus digne, lui emboîte le pas peu après. Ce mercredi 10 avril, c’est Jacinthe qui grimpe silencieusement l’escalier et, à pas feutrés, vient entrouvrir la porte. Marie-Annick est partie la veille dans le Loiret pour marier son fils. Selon son habitude, Oscar s’échappe aussitôt et disparaît vers le rez-de- chaussée. Pirate, lui, se fait attendre. Jacinthe l’appelle à mi-voix. Pirate ! Pirate !… Pas de réaction. Aucun mouvement dans la pièce plongée dans l’obscurité. Pirate ! appelle encore Jacinthe. Qu’il prenne son temps, qu’il se conduise en chien adulte et réfléchi, c’est tout à son honneur. Mais de là à la faire poireauter, il exagère. Jacinthe est une personne active, elle a hâte de commencer sa journée. Sortir les chiens, les nourrir n’est que la première des mille tâches qu’elle accomplit quotidiennement. Ouvrant un peu plus la porte, elle fait un pas vers l’intérieur de la pièce, décidée à presser le mouvement. Un pinceau de lumière vient éclairer la zone du lit où se trouve Pirate. Il la regarde fixement. Qu’il n’ait pas bougé a été ma chance. S’il s’était hâté de sortir comme les autres matins, Jacinthe n’aurait pas pénétré dans la pièce et ne m’aurait pas découverte. Il m’a sauvée. C’est son immobilité qui a alerté Jacinthe. Elle réalise alors qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Jusqu’ici, son attention était entièrement concentrée sur le chien. Il s’agissait de le faire sortir le plus rapidement et le plus silencieusement possible pour vite refermer la porte et me laisser dormir. Mais soudain son champ de vision s’élargit, elle regarde le lit, je n’y suis pas. Elle regarde la porte de la salle de bains, elle est fermée et nulle lumière ne filtre au-dessous. Tout à coup elle perçoit un vague mouvement au sol, tandis qu’une plainte vient rompre le silence. « Jacinthe… Approchez… Jacinthe, aidez-moi… » Elle se précipite. « Aidez-moi à me relever. — Qu’est-ce qui vous est arrivé ? — Je ne sais pas. » Et de fait, entre le moment où je suis sortie du lit et celui où je me suis retrouvée couchée au sol, il y a un blanc, une saute, à la manière d’un film auquel il manquerait quelques images. Je ne me suis pas vue tomber, je n’ai pas eu le sentiment de glisser, de buter sur un obstacle, de perdre l’équilibre. J’étais assise sur le bord du lit, prenant appui pour me lever, et puis soudain j’étais à terre sans savoir comment. Je me disais : « Lève-toi ! Lève-toi donc, idiote ! Qu’est-ce que tu fais par terre ? » Mais c’était impossible. Comme dans ces rêves épouvantables, quand une force mystérieuse vous paralyse alors même qu’il serait urgent de fuir. Plus je me débattais, moins j’arrivais à un résultat. Ma jambe droite semblait irrémédiablement coincée entre le cadre du lit et le plancher. Je ne me souviens pas d’avoir ressenti la moindre douleur, alors même, je le comprendrai plus tard, que mes efforts désordonnés pour dégager ma jambe occasionnaient les fractures dont je mettrais cinq mois à guérir. Jacinthe me garantit qu’elle m’a entendue implorer : « Maman, je veux mourir ! » Je n’ai aucune raison de mettre en doute sa parole, mais j’en suis surprise. Envie de mourir ? Voilà bien une idée qui ne m’a jamais effleurée, du plus loin que je me souvienne. Envie de vivre, encore et bien plus, oui. Crainte que le temps ne me manque, crainte de laisser échapper, par lassitude ou inattention, des moments rares, des expériences inédites, des rencontres essentielles. Quels que soient les difficultés, les chagrins, les échecs, non, vraiment, je n’ai jamais éprouvé l’envie de mourir. Brièvement peut-être, après la disparition de Loulou, ou lorsque Simone, ma mère, est partie à son tour, quatre ans plus tard. Pensée vite écartée. L’un et l’autre, de là où ils étaient, se disputaient pour veiller sur moi. Je leur devais de vivre. Non, si j’ai souhaité mourir ce matin-là, je ne m’en souviens pas et j’en ignore la raison. Ou peut-être la douleur était-elle si violente, si insupportable, qu’elle ne parvenait pas à franchir le seuil de ma conscience et s’exprimait seulement par ces pauvres mots « Je veux mourir » ? Comme si l’excès de souffrance annulait la souffrance. J’étais plongée dans une sorte de stupeur. La seule question qui me préoccupait était de savoir ce que je faisais par terre, pourquoi j’étais tombée. Je pensais : « C’est trop fort ! Qu’est-ce qui m’arrive ? » Qu’est-ce qui m’arrivait ? Je l’apprendrais quelques heures plus tard, à l’hôpital Foch où j’avais été transportée d’urgence. Je venais de faire un accident vasculaire cérébral. Un AVC. * En France en 2019, on a dénombré plus de cent quarante mille accidents vasculaires cérébraux, soit un toutes les quatre minutes. Comme dans la plupart des pays occidentaux, l’AVC est la première cause de handicap physique de l’adulte et la deuxième cause de décès. L’AVC n’est pas une maladie moderne. Il n’y a sans doute pas plus de victimes d’AVC à notre époque qu’il y a un siècle ou mille ans. Mais aujourd’hui on diagnostique et on nomme, alors qu’avant, lorsque au beau milieu d’un discours un homme politique s’effondrait sur son pupitre, ou qu’un paysan restait soudain figé, sa faux levée, puis s’écroulait d’un bloc au milieu des blés, on disait : il a eu une attaque, il a fait une apoplexie, une congestion cérébrale. Et on enterrait le malheureux sans plus se poser de questions. Dans la majorité des cas, l’AVC provient de l’obstruction d’un vaisseau par un caillot, réduisant l’irrigation sanguine dans une zone cérébrale. Plus le temps pendant lequel le cerveau est mal irrigué se prolonge, uploads/Politique/ line-renaud-avec-bernard-stora-en-toute-confidence.pdf
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- Publié le Nov 21, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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