P . MARCHESIN Mitterrand l‘Africain* L est d’usage de dresser un bilan après un
P . MARCHESIN Mitterrand l‘Africain* L est d’usage de dresser un bilan après une période d’activité. Ceci apparaît d‘autant plus légitime pour ce qui est des rela- I tions entre F. Mitterrand et l’Afrique. De fait, le quatrième pré- sident de la Ve République a doublement fait preuve de longévité. Non seulemept il a été le seul à accomplir deux septennats au sommet de 1’Etat depuis 1958, mais encore il achève un long com- pagnonnage de près d’un demi-siècle avec l’Afrique. I 1 est, de par son itinéraire, le dernier (( Africain )) de la classe politique française. A tel point que l’on a pu évoquer à propos de sa personne le regain de vitalité du (( lien charnel )) qui unissait le général de Gaulle au continent noir. Bref, ayant perdu avec Ch. de Gaulle un (( papa ) ) , les Africains ont trouvé en F. Mitterrand un B tonton D. Comme pour tout exercice similaire, la lecture des appréciations - déjà nombreuses - du parcours africain de F. Mitterrand laisse apparaître des zones d’ombre et de lumière. Au total tout de même, les quelques jugements positifs ont du mal à dissiper le sentiment beaucoup plus général- d’échec. Au crédit de la politique africaine de l’ancien chef de l’Etat, les commentateurs inscrivent générale- ment, et le plus souvent ponctuellement, des actions telles que la défense du tiers monde dans les instances internationales, la lutte contre l’apartheid ou la contribution au processus de démocratisa- tion. La liste n’est bien sûr pas exhaustive (1). Les critiques sont, elles, plus systématiques. Qu’elles viennent d’observateurs avisés ( e Le bilan est accablant )) (2)), d’anciens compagnons de lutte (a Les tendances lourdes et conservatrices de la politique africaine l’ont emporté )) (3)) ou - en privé - des murs même du Château ((( Même à l’Élysée, on considère l’Afrique comme son plus grand échec )) (4)). Nous avons fait le choix de ne pas retenir une telle approche en termes de bilan qui nous paraît à bien des égards fastidieuse * Nous tenons à remercier le CERI (Centre d’Ctudes et de relations internationales) pour sa contribution à la préparation de cet article. 5 MITTERRAND L’A FRICA IN et superfétatoire. On préfèrera ici tenter de comprendre la logique, les sous-basements de la politique africaine de F. Mitterrand. Etant donné son passé (( africain D , notamment son passage au ministère de la France d’Outre-mer en 1950-1951, quelle image avait-il du continent noir dans les années 80 ? Quelles ont été les implications de sa représentation de l’Afrique sur la politique qu’il a menée? Notre hypothèse principale est la résurgence d’une vision archaï- que, exprimant une continuitéedu Mitterrand des années 50 à celui des années 80. I1 serait certes abusif de prétendre qu’il n’a pas pro- cédé ça et là à quelque aggiornameizto, notamment sur la question coloniale. Mais, globalement, on retrouve dans la politique conduite depuis 1981 la marque profonde du passé. Nous rejoignons en cela les conclusions de J.-F. Bayart : < ( On s’est gaussé de ce que M. Mit- terrand se soit placé dans-la continuité de ses gridicesseurs. Il serait plus juste de dire que ceux-ci ont assumé la vaie que M. Mitterrand avait ouverte en 1951, en obtenant la rupture avec le Rassemblement &mo- cratique africaine et le Parti communiste français, et que M. Defferre avait entérinée en présentaiit sa loi-cadre de 1956. La vraie continuité est plus amienne que ne le dit la droite, elle va de M. Mitter- rand au général de Gaulle et iì ses successeurs )) (5). Ce lien structurel avec le passé n’est certainement pas étranger au fait que la politique africaine de F. Mitterrand ait été qualifiée de conservatrice (6). Pour comprendre cette politique, il faut en présenter les acteurs, leurs idées et leurs méthodes. Nous tenterons ensuite d’en esquis- ser une synthèse. L’homme : l’empreinte du passé Hormis quelques (< contacts D mineurs ou fortuits (manifestation contre le professeur Jèze.en 1936 ; deux ans plùs- tard, incorpora- tion au 23‘ régiment d‘infanterie coloniale, au fort d’Ivry, qu’il quit- tera avec le grade de secgent (7)), la première véritable rencontre, à notre connaissance, de F. Mitterrand avec l’Afrique, consiste en un voyage effectué en 1946. I 1 y retournera régulièrement par la. (1) Ce qui n’empêche pas que, même dans ces rubriques, les avis soient partagés. (2) J.-F. Bayart, (( Un rituel funéraire I), L’Express, 10 novembre. 1994. (3) Pour une redéfinition de la politique africaine de la France, Contributions géné- rales, Congrès de Liévin, Vendredi, L’hebdo- madaire des socialistes, 237, 2 septembre 1994, p. 167. Tonton grimpe à recu- lons vers le sommet africain ) ) , Le Canard endainé, 20 juin 1990. (5) La politique afncaine de F . Mitremand, Paris, Karthala, 1984, p. 52. (6) Cf. note 3 : March$ trqicaux et médi- (4) C1. Roire, temanéem, 19 mars 1993, p. 731 et entretiens. Le constat a été établi tout particulièrement pour-l’Afrique francophone. On a pu obser- ver ailleurs (notamment en Angola, au Mozambique. eb..en Afiique du Sud) des avan- cées I parfois plus progressistes. (7) G. Jèze, professeur de droit fikal, a accepté de conseiller le Négus après l’aggres- sion italienne en Ethiopie; quant à l’incor- poration dams la coloniale (en région parisienne), elle a en fait été motivée par la présence à Paris de la U divine U Béatrice que F. Mitterrand voit souvent, avec ou sans autorisation. 6 suite. Les années 50 sont celles de l’approfondissement de la rela- tion, que ce soit en tant que ministre ou écrivain. F. Mitterrand est en charge du ministère de la France d’outre-mer du 13 juillet 1950 au 11 juillet 1951. Malgré la faible durée, cette année est, pour lui, capitale. I1 peut agir en homme d’État. ((Mon passage au niinistère de la France d’outre-mer est l’expérience majeure de ma vie politique dont elle a commandé I’évolution D, écrit-il en 1969 (8). Quelques années après, il publie deux ouvrages où il présente ses réflexions sur l’Indochine et l’Afrique (9). On peut certainement avancer que les idées exprimées dans ces livres ont gardé leur part d‘actualité. Dans la présentation qu’il fait de ces textes, en 1977, il affirme : (( Ce à quoi je croyais à vingt ans, j’y crois eqcore 1 ) (10) ... a fortiori quatre ans plus tard, lorsqu’il s’installe à 1’Elysée. Qui plus est, change-t-on d’idées à 65 ans ? Nous nous attacherons pour commencer à présenter ces idées qui sont à la source de l’imaginaire africain du nouveau président. L’hypothèse de la continuité historique est ici confortée par le principe pasca- lien du ( ( point fme ) ) que F. Mitterrand a souvent rappelé dans ses écrits ou discours (il est d’ailleurs parti pour la guerre avec deux livres : les Pensées de Pascal et l’Imitation de Jésus-Christ ...) : ((Je suis toujours resté fidèle à ce principe trouvé dans les pensées de Blaise Pascal qu’il faut avoir un point fixe pour juger. Après y avoir quelque temps réfléchi j’ai choisi quelques points fixes en petit nom- bre ) ) (11); (( (...) En toute circonstance, il faut rester au point que l’on a choisi D (12) ; ( ( (...) On porte en soi un idéal qu’il est difficile de mettre en œuvre, l‘essentiel étant cependant de poursuivre sa route sans perdre sa direction B (13). Quelle est cette direction, quels sont ces ( ( points fEes D qui ont traversé les ans et se sont incarnés en politique après le 10 mai 1981 ? Quatre pistes s’offrent à l’analyse. La première est prédominante dans la vision mitterrandienne de l’Afrique. I1 s’agit de la dimension géopolitique, consistant à mettre l’accent sur le rayonnement international de la France. Pour conserver son statut de puissance mondiale, la France doit déployer une politique active en direction du continent africain, :auquel la rattachent de nombreux liens. Dressons un rapide florilège des pen- sées de F. Mitterrand à partir de ses deux ( ( classiques )) : < ( Paris est la nécessaire capitale de l‘Union fraquise. Le moiide africain n’aura pas de centre de gravité s’il se borne à ses frontières géographiques ... Du Congo au Rhin, la troisième nation-continent s ’équilibrera autour (8) F. Mitterrand, Politique, Paris, Fayard, Mitterrand, ,président de la République fran- 1977, p. 53. çaise, à‘l’Assemblée nationale ) ) , Abidjan, 22 (9) Aux frontières de l’Union fra?zçaise. mai ‘1982, pp. 1 et 2. Indochine. Tunisie. Lettre-préface de P. Men- (12) F. Mitterrand, Poliiique 2 , 1977-1981, dès France, Paris, Julliard, 1953 ; Présence Paris, Fayard, p. 12. française et abandon, Paris, Plon, 1957. (13) La lettre du Continent, 223, 24 (IO) Politique, op. cit., présentation. novembre 1994, p. 2. (11) a Discours prononcé par M. François 7 MITTERRAND LYFRIGAIN de notre métropole N (14). a (...)La sécurit4 Ia protection, Ia dqense de l’Afrique nous créent des obligations; Ia paix civique et Ia paix sociale ne sont pas les moindres conditions de Ia présence française. Dire à nos alliés que Ià est notre domaine uploads/Politique/ mytr-n-o-fryky.pdf
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- Publié le Mai 05, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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