20/11/13 Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et l

20/11/13 Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam, 137 p. & Bertrand OGILVIE, 20… ress.revues.org/2450 1/4 Revue européenne des sciences sociales European Journal of Social Sciences 51-1 | 2013 Comptes rendus de lecture Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam, 137 p. & Bertrand OGILVIE, 2012, La Seconde Nature du politique. Essai d’anthropologie négative, Paris, L’Harmattan, « La Philosophie en commun », 174 p. LOUIS CARRÉ p. 246-249 Texte intégral Texte intégral en libre accès disponible depuis le 13 mai 2013. Au départ du recueil d’articles L’Homme jetable (HJ) que Betrand Ogilvie a fait paraître se trouve, comme nous en avertit Étienne Balibar dans la préface, une question : une pensée de la violence extrême qui a marqué la modernité la 1 20/11/13 Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam, 137 p. & Bertrand OGILVIE, 20… ress.revues.org/2450 2/4 plus récente par des exterminations, des guerres, des massacres, des formes massives de paupérisation, est-elle possible ? Cette seule question soulève une série impressionnante d’enjeux, plus ou moins classiques, qu’Ogilvie nous invite à revisiter. Parmi eux, celui de déterminer dans quelle mesure la violence se laisserait penser sans faire appel à une téléologie, qu’elle soit d’ailleurs ou non sécularisée, qui la résorbe et, en définitive, l’évacue. Un autre est celui d’éviter d’aborder la violence par les thèmes de l’origine, de l’inculture et de la barbarie, afin de la cerner au cœur même de son processus historique de production : « la violence n’a rien de naturel ni d’originaire, mais elle est au contraire un produit, un résultat » (HJ, p. 48). Un dernier porte sur la possibilité de concevoir la part d’activité que contient la violence subie ou consentie. Ces enjeux soulevés tout au long des articles qui composent L’Homme jetable, Ogilvie ne se propose pas de les trancher, mais de leur donner un nom dans La Seconde Nature du politique (SNP). Car l’expression de « seconde nature », qui a derrière elle une longue tradition philosophique puisqu’elle remonte au moins à Montaigne et Pascal et débouche, notamment, sur Hegel et Bourdieu, vient baptiser chez Ogilvie les enjeux conceptuels et politiques liés à l’immanence de la violence, à sa secondarité (ou historicité) et à la dyade passivité-activité. La seconde nature, dont l’auteur reconnaît qu’elle est devenue entre-temps un topos de la pensée contemporaine, désigne le caractère foncièrement « institué », sans origine propre, de ce que nous appelons communément l’« homme ». La seconde nature est cet ordre symbolique qui, de manière analogue à la nature dite « première », opère « dans le dos » des consciences individuelles tout en ouvrant l’existence humaine à une interminable processualité historique. Elle indique le lieu en redéfinition permanente où se nouent et se dénouent l’individuel et le collectif, le particulier et l’universel, le système comportemental et l’organisation politico-institutionnelle. Ni dualisme de la nature et de la culture ni naturalisme réducteur, l’idée de seconde nature déploie en revanche une « critique d’un naturalisme homogène mais tirée dans le sens d’un naturalisme immanent historique et hétérogène ». Selon l’interprétation qu’en propose Ogilvie, elle véhicule enfin « l’idée qu’il n’y a pas de nécessité dans l’ordre historique, de la culture, et donc pas de nécessité à sa justification ni à sa critique, autre qu’appuyée sur des intérêts entre lesquels il n’y a pas de juste mesure mais un “différend” » (SNP, p. 84). L’accent mis sur une « institution de l’humain » (SNP, p. 59) devrait permettre de déplacer certaines des « apories de l’idée de société » que nous signale l’auteur. À la différence de la représentation « durkheimienne » de la société en termes de totalité fonctionnellement intégrée dont les dysfonctionnements apparaissent alors comme autant d’anomalies résiduelles, l’idée de seconde nature laisse pour sa part entendre que l’ordre et le désordre ne forment que les deux faces d’une même médaille qu’est le social : « contrairement à ce que “la société” se représente d’elle- même, il n’y a rien de tel que le social sans violence et réciproquement il n’y a rien de tel que la violence sans dimension sociale (donc non originaire) » (SNP, p. 58). La seconde nature sert d’amorce à une anthropologie de la « condition » plutôt que de « l’origine » (SNP, p. 33), où la « condition », « lieu permanent d’une oscillation entre la subordination (relative ou absolue) et l’émancipation » (SNP, p. 123), est ce qui, inséparablement, rend possible et empêche la constitution du politique, du vivre en commun. À la suite de Foucault, Ogilvie maintient que tout assujetissement, toute violence qui soumet, ne prend sens que sur le fond préalable d’une « résistance », d’une émancipation. 2 Que la violence ne soit pas son envers mais au contraire « une modalité 3 20/11/13 Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam, 137 p. & Bertrand OGILVIE, 20… ress.revues.org/2450 3/4 essentielle du lien social » (SNP, p. 106), l’auteur l’admet donc au titre de prémisse. Mais la prémisse d’une violence résolument non-mythique, profondément ancrée dans le social, le conduit vers une réflexion de fond sur ses modes toujours situés et co njoncturels de manifestation. La « violence politique spécifiquement moderne » (SNP, p. 32) qu’il place au cœur de ses analyses constitue ainsi une figure historique née avec l’industrialisation des sociétés. Ogilvie la qualifie de « violence sans adresse » (HJ, p. 60). « Sans adresse », elle l’est dans la mesure où elle soumet les sujets à un processus anonyme, quasi-objectif, de déshumanisation qui les renvoie à leur « in- signifiance radicale » (HJ, p. 7 7 ). À ce titre, elle participe à la « production moderne de l’homme jetable » (HJ, p. 7 4) que Hannah Arendt avait déjà pointée en évoquant le cas des « surnuméraires », des « superflus », parce que rendus interchangeables dans le système capitaliste marchand. L’effet délétère, voire mortifère, qu’Ogilvie observe dans cette forme moderne de violence extrême est qu’elle tend à annihiler la possibilité pour les sujets de se confronter à l’ordre social dominant en les assimilant à ses mécanismes de reproduction. À l’aide de l’oxymore naguère formulée par La Boétie d’une « servitude volontaire », l’auteur nous signale que le phénomène contemporain de la globalisation entraîne avec lui une tendancielle dépolitisation, un épuisement des possibles, qui se traduit notamment par des formes d’apathie civique et de replis communautaires. Dans un long article de L’Homme jetable (« Comparer l’incomparable »), Ogilvie nous livre une réflexion originale sur ce qui restera au XXe siècle une « singularité exemplaire » de la logique d’extermination. En s’appuyant sur les témoignages de Primo Lévi et de Robert Anselme, l’auteur interprète l’expérience des camps comme une tentative inédite de déni de la condition humaine : « [l]’extermination ne vise pas un avoir mais un être, et plus précisément un être sans condition » (HJ, p. 114). Le phantasme nazi d’un peuple de « dieux » purifié relève d’une dénégation radicale des facteurs multiples qui conditionnent l’humain : le langage, le vivant, le travail. Les camp apparaissent rétrospectivement, nous dit l’auteur, comme un projet inouï d’invisibilisation du travail « par mise à mort périodique » (HJ, p. 108). D’où cette formule parlante qui n’est pas sans rappeler Agamben mais duquel Ogilvie néanmoins se démarque : « Le détenu (Ungestalt) du Lager, c’est la nouvelle figure du prolétaire » (SNP, p. 118). La « biopolitique » moderne évoquée par Foucault (« le génocide est le rêve des pouvoirs modernes ») et Agamben annoncerait plutôt, à en croire l’auteur, une « bioéconomique » tendant à annuler le politique. Annulation du politique à laquelle nous assisterions toujours aujourd’hui sous d’autres formes. 4 Ogilvie souligne en conclusion quelques-uns des « enjeux politiques » auxquels son « anthropologie de l’impropre », étroitement associée à « une politique de l’être-en-commun pensé comme une condition de possibilité et non comme un idéal, un objectif, ni même un projet » (SNP, p. 43), se veut d’apporter des réponses. Il insiste surtout sur un basculement épistémologique autant que politique survenu depuis une dizaine d’années : là où le thème, cher aux « sciences sociales et humaines » (sociologie, psychanalyse, anthropologie structurale), de la foncière indétermination de l’humain contribuait jusqu’il y a peu à l’ouverture de possibles émancipateurs, ce même thème se trouve aujourd’hui adossé à « la formation de nouvelles modalités de l’existence sociale infiniment plastique, fluide et flexible » (SNP, p. 21). Face à cette « mutation » majeure engendrée par la globalisation néolibérale en marche, l’auteur entend non pas lancer un énième rappel à l’ordre, mais inciter, de manière critique, « à inventer de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles procédures d’existence politique » (SNP, p. 17 1) dans le 5 20/11/13 Bertrand OGILVIE, 2012, L’Homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam, 137 p. & Bertrand OGILVIE, 20… ress.revues.org/2450 4/4 Pour citer cet article Référence uploads/Politique/ ogilvie-l-x27-homme-jetable-essai-sur-l-x27-exterminisme-et-la-violence-extre.pdf

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