Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 95-98 | avril 2002 Débats inte
Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 95-98 | avril 2002 Débats intellectuels au Moyen-Orient dans l'entre-deux-guerres I. État et nation Renaissance arabe et solidarité musulmane dans La Nation arabe ANNE-CLAIRE DE GAYFFIER-BONNEVILLE p. 71-93 Résumés Publiée à Genève de 1930 à 1938, la revue La Nation arabe voulait initialement s'adresser aux intellectuels européens. Les points de vue développés par les deux rédacteurs, Chekib Arslan et Ihsan al-Djabri, montrent toutefois que le lectorat visé était surtout arabe et musulman. Arslan et Djabri sont convaincus de la renaissance de la nation arabe, qu'ils attribuent en grande partie à la politique des puissances européennes dans les États arabes. Les signes de ce réveil sont rapportés, notamment l'intérêt mutuel que les Arabes se portent, la communion des peuples dans la souffrance, l'émergence de personnalités hors du commun. La revue avait une intention militante originale pour l'époque : elle entendait mobiliser les esprits en vue de mener le combat de la renaissance, arabe et musulmane, non seulement contre les puissances occupantes, mais aussi contre le projet sioniste qui menaçait l'intégrité territoriale de la Palestine, voire de la patrie arabe. Published in Geneva from 1930 to 1938, the journal, La Nation arabe, first addressed European intellectuals. Points of view developed by the two editors, Chekib Arslan and Ihsan al-Djabri, show on the other hand that the readership was especially Arab and Muslim. Arslan and Djabri are convinced of the renaissance of the Arab nation which they largely attribute to the politics of the European powers in Arab lands. Signs of this awakening are reported, in particular, the mutual interest that Arabs show for one another, the solidarity of people who are suffering and the emergence of uncommon personalities. The journal had an activist stance which was original for that time : it intended to mobilize Arabs and Muslims not only towards fighting the occupying powers but also towards fighting against the Zionist project which threatened the territorial integrity of Palestine and which symbolised the Arab nation. Notes de la rédaction Avertissement : Ce document est issu d'une numérisation par OCR (reconnaissance optique de caractères), il peut contenir des erreurs. Renai ssance arabe et sol i dari t é m usul m ane dans La N at i on. . . ht t p: //rem m m . revues. org/227 1 sur 18 2012- 9- 4 11: 12 Texte intégral En mars 1930, paraît à Genève le premier des trente-huit numéros de La Nation arabe que publieront jusqu'en décembre 1938 et rédigeront à peu près seuls l'émir Chekib Arslan et Ihsan Bey al-Djabri1. « Organe de la délégation syro-palestinienne auprès de la Société des Nations », la revue, était-il précisé dès la page de garde, devait servir « les intérêts des pays arabes et ceux de l'Orient ». À cette date pourtant, le Comité exécutif syro-palestinien avait, depuis plusieurs années déjà, retiré à Chekib Arslan son mandat, mais ce dernier, demeuré à Genève, n'avait pas renoncé à défendre les intérêts de la Syrie auprès de la Société des Nations. 1 Druze d'origine, né à al-Shuwayfat dans le district du Chouf au Liban en 1869, Chekib Arslan avait été, en tant que député au Parlement ottoman de 1913 à 1918, un ardent défenseur de l'union des Arabes et des Turcs. À la veille de la Grande Guerre, il rédigeait Aux Arabes enjoignant à ces derniers de se maintenir dans l'Empire. En dépit de la défaite des Empires centraux et de la signature du Traité de Sèvres par lequel, en août 1920, le gouvernement turc renonçait à exercer sa souveraineté sur les anciennes provinces arabes, il continua à défendre avec ferveur ses idées d'union des Arabes autour de la Turquie. En 1921, au sein du Comité syro-palestinien — qui s'était constitué au lendemain du partage du Levant entre les deux puissances mandataires pour faire entendre les revendications unitaires de Grande Syrie —, il présentait un « projet de gouvernement syro-palestinien uni à la Turquie » (Bessis, 1978 : 472). La révolution kémaliste, d'une part, la suppression du califat en mars 1924, d'autre part, vinrent, cependant, ébranler ses convictions et le conduisirent à se dévouer à la cause syrienne essentiellement. Il multiplia dès lors les mémoires à la Commission des mandats demandant l'évacuation et l'indépendance de la Syrie. 2 L'émir s'était si étroitement associé au devenir syrien, notamment dans l'esprit des dirigeants français, que, durant la révolte syrienne de 1925-1926, Henri de Jouvenel n'hésita pas à prendre contact avec lui avant d'aller rejoindre son poste de Haut-Commissaire à Damas. Les entretiens menés en compagnie d'Ihsan al-Djabri et Michel Lutfallâh n'aboutirent toutefois pas. S'ils valurent à Chekib Arslan d'être honoré du titre de mujâhid al-sharq fî al-gharb — le guerrier de l'Est à l'Ouest (Cleveland, 1985 : 52) — ils furent également l'occasion de mettre en lumière les divergences de vue au sein du comité syro-palestinien2. 3 Déchu peu après de sa qualité de représentant du comité, à l'instar de ses acolytes Ihsan al-Djabri et Riyâd al-Sulh, Chekib Arslan n'en poursuivit pas moins son action auprès des membres de l'organisation internationale comme en témoigne la lettre qu'il fit parvenir en mars 1928 aux président et membres du Conseil de la SDN3. 4 Au printemps de la même année, Chekib Arslan fondait à Genève un « Bureau d'information des pays musulmans », signe, semble-t-il, d'un élargissement des préoccupations de l'émir. Au cours du voyage qui le conduisait à La Mecque l'année suivante, il confirmait son engagement au service de la cause arabe en se faisant l'avocat, le 15 mai 1929, devant un public de journalistes égyptiens réunis à Port-Saïd, de l'union des peuples arabes. Son expérience et ses échecs l'avaient en effet convaincu de la nécessité absolue pour les Arabes d'agir ensemble contre la domination occidentale. Les cérémonies rituelles du pèlerinage accomplies, il s'engageait pleinement au service de l'idéal qu'il venait de professer, consacrant son temps et son énergie à apaiser les tensions qui opposaient Ibn Sa'ûd à l'imam Yahyâ du Yémen d'une part, et au roi Faysal d'Irak d'autre part. Puis, de retour en Europe, avec le concours actif d'Ihsan al-Djabri, il fondait La Nation arabe. 5 Ihsan al-Djabri, de quelques années le cadet de l'émir, partageait en effet les conceptions d'Arslan. Leurs parcours étaient sensiblement les mêmes. Ihsan al-Djabri, grand propriétaire terrien de la région d'Alep, avait occupé diverses charges administratives sous l'Empire ottoman avant de devenir le secrétaire des 6 Renai ssance arabe et sol i dari t é m usul m ane dans La N at i on. . . ht t p: //rem m m . revues. org/227 2 sur 18 2012- 9- 4 11: 12 deux successeurs d'Abdülhamid, Mehmed V et Mehmed VI. À ce titre, il était très attaché à l'Empire ottoman et à l'amitié arabo-turque. La guerre mondiale s'achevant, il s'était engagé dans l'aventure arabe ce qui lui avait permis d'occuper les fonctions de premier chambellan durant le bref épisode du royaume arabe de Faysal. La prise de Damas par les Français le conduisit sur le chemin de l'exil, mais il ne renonça pas pour autant à défendre les revendications syriennes. Au contraire, il entreprit de le faire en Europe même, auprès des instances internationales. C'est ainsi qu'il participa lui aussi, à Genève en 1921, au Congrès syro-palestinien et devint, pendant six ans, membre de la délégation permanente auprès de la Société des Nations4. En 1930, il était à nouveau aux côtés de Chekib Arslan, au service cette fois de l'arabisme comme l'indique sans détour le titre de leur revue. Dans le courant nationaliste arabe des années de l'entre-deux-guerres, il importe de situer les deux rédacteurs et leur publication. La Nation arabe5devait, selon le souhait exprimé par les deux auteurs, paraître chaque mois. Le premier numéro précisait en effet qu'il s'agissait d'une « revue mensuelle politique, littéraire, économique et sociale ». Si, la première année, la périodicité parvint à être respectée, dès le milieu de l'année suivante en revanche, certains numéros couraient déjà sur deux mois. Dans les dernières années, il n'était pas rare de voir un même numéro couvrir une période de trois, voire quatre mois. Trois interruptions dans la collection doivent même être mentionnées, en 1932 pour les mois de janvier et février, en 1933 pour les trois mois d'octobre à décembre et en 1937 durant les huit derniers mois de l'année6. Les nombreux déplacements effectués par les auteurs et l'énergie mise, en dehors de cette revue, au service de la cause arabe et de la solidarité islamique permettent d'expliquer en partie le manquement de la revue à ses rendez-vous mensuels ; les soucis financiers ne furent pas non plus étrangers à l'irrégularité de la parution7. Ils étaient à l'occasion évoqués par les rédacteurs qui ne manquaient pas alors de rappeler avec courtoisie mais fermeté à leurs abonnés toute l'importance de leur œuvre et la nécessité de la soutenir8. Ces remarques étaient destinées à un public arabe et musulman. Or, les deux auteurs indiquaient dans la préface du numéro 1 de mars 1930, qu'ils espéraient « grâce à cette Revue, uploads/Politique/ renaissance-arabe-et-solidarite-musulmane-dans-la-nation-arabe.pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
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