Johanna Siméant S. Faludi, Backlash. La guerre froide contre les femmes In: Pol
Johanna Siméant S. Faludi, Backlash. La guerre froide contre les femmes In: Politix. Vol. 6, N°24. Quatrième trimestre 1993. pp. 225-230. Citer ce document / Cite this document : Siméant Johanna. S. Faludi, Backlash. La guerre froide contre les femmes. In: Politix. Vol. 6, N°24. Quatrième trimestre 1993. pp. 225-230. doi : 10.3406/polix.1993.1602 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1993_num_6_24_1602 Lectures Ces considérations comparatives ne donneront in extremis l'attendu d'aucun acquittement au profit d'un livre sans grand intérêt. Elles souhaiteraient faire méditer sur un processus d'incertitude des frontières entre produits intellectuels... processus dont la signification n'est pas nécessairement à trouver uniquement dans une hausse tendancielle du niveau de la littérature d'essayisme... Erik Neveu Centre de recherches administratives et politiques Institut d'études politiques de Rennes FALUDI (Susan), Backlash. La guerre froide contre les femmes, Paris, Des femmes, 1993 (traduit de l'américain Backlash. The Undeclared War against Women, New York, Crown Publishers, 1991). Prix Pulitzer 1991, Backlash («la revanche«) est un livre de combat : celui d'une journaliste du Wall Street Journal qui conclut son enquête par un appel à la mobilisation face à la remise en cause des droits des femmes depuis le début des années quatre-vingt. Si un tel brevet d'excellence journalistique, littéraire et militant laissait a priori mal augurer de l'intérêt proprement scientifique de ce travail, Backlash devrait pourtant apporter beaucoup aux sociologues des médias, des mouvements sociaux, du monde universitaire, de la classe politique, du travail — entre autres. Surtout, Backlash est un texte de base sur la condition des femmes aux Etats- Unis, une véritable mine d'informations, muni d'un appareil de notes impressionnant et systématique, et témoigne d'un sens du terrain jamais démenti joint à un intérêt permanent porté à des dimensions plus macrosociologiques. S. Faludi a mené sa recherche tout en suivant les conférences de l'Institut de recherche sur les femmes et les genres de l'Université de Stanford. Il n'est ainsi pas sans intérêt que la principale référence sociologique de l'ouvrage soit celle des gender studies, perspective constructiviste appliquée à l'étude de la division sexuelle des rôles sociaux et à la genèse du genre, concept dont l'utilisation tend à évacuer la dimension naturalisée et essentialisante de la différence sexuelle. Tous ces aspects, alliés à une utilisation raisonnée des statistiques et à une attention extrême portée à leur production, font de Backlash un ouvrage à part, plus tout à fait du journalisme si le terme devait avoir la connotation dénonciatrice qu'il acquiert souvent dans le vocable sociologique, mais ayant toutefois un rapport assez ambivalent aux sciences sociales pour que l'on ne puisse éviter de souligner quelques effets de l'utilisation des sciences sociales dans la production journalistique. C'est une nécessité dont S. Faludi s'acquitte elle-même fort bien à l'égard des thèses qu'elle combat — et peut-être moins à son propre égard. S. Faludi démontre, tout d'abord, que le créneau du pamphlet antiféministe semble d'autant plus rentable que le mouvement féministe est affaibli. Le mécanisme intellectuel — sanctifié par une utilisation abusive de certaines approches sociologiques — qui consiste à clamer combien les défenseurs des dominés sont les premiers responsables de leur domination constitue un des premiers axes de l'antiféminisme. C'est un thème classique de la rhétorique réactionnaire : vouloir la liberté est dangereux — et inutile. Il en est ainsi des initiateurs de la «revanche-, et notamment de la Nouvelle droite américaine, cet ensemble d'organisations réactionnaires, liées aux évangélistes, qui opéra au cours des années quatre-vingt une véritable offensive culturelle au sein du débat politique. Pour ces promoteurs de la «revanche-, les femmes sont victimes du féminisme — et certainement pas de la dégradation continuelle de leur condition due aux politiques conservatrices que rappelle S. Faludi. C'est cette posture qui donne son titre à l'ouvrage, en référence au 225 Lectures film intitulé Backlash, dans lequel un homme fait accuser sa femme du meurtre qu'il a commis : dans la campagne antiféministe américaine, le féminisme est accusé des -crimes du meurtrier». Revenant sur la succession cyclique des mobilisations antiféministes, S. Faludi constate par ailleurs la similitude frappante entre la vague antiféministe actuelle et ses précédents. Les mêmes arguments sont invoqués comme preuve du danger de l'extension des droits des femmes : infécondité des femmes actives, dereliction morale du pays, hystérie, et affadissement des moeurs viriles. Cette remise en cause s'accompagne systématiquement d'une contestation de la place qu'occupent les femmes dans le monde du travail. L'hypothèse de S. Faludi est que les vagues de «revanche- seraient systématiquement corrélées à des avancées fragiles des droits des femmes, comme si la «revanche» frappait lorsque les femmes ne sont pas arrivées à l'égalité mais qu'elles sont «en passe d'y accéder». Cette configuration caractérisait la fin des années soixante-dix, marquée par des avancées significatives en matière de traduction institutionnelle des revendications féministes. Cette dénonciation du travail des femmes ira jusqu'à les transformer en boucs émissaires des excès du libéralisme économique des années quatre-vingt. Quand la presse hebdomadaire mettra en cause les «jeunes loups» de Wall Street, ses cibles seront des femmes, et l'on brandira bien haut «l'effigie de quelques-unes des rares diplômées de grandes écoles que comporte une profession presque exclusivement masculine» (p. 129). Autres «mythes» de la «revanche» largement diffusés par les médias américains, et que S. Faludi, dans une perspective toute empreinte de sociologie critique, s'emploie à démonter : mythe de la «pénurie d'hommes» — un des points forts de la campagne antiféministe fut la diffusion d'une étude de Harvard- Yale selon laquelle une femme célibataire diplômée d'université n'aurait plus que 1,3% chances de se marier à quarante ans — ; mythe de la dénatalité due au travail des femmes ; mythe du dérèglement de «l'horloge biologique». Conclusion de S. Faludi après un minutieux travail d'enquête sur l'élaboration de ces travaux et leur reprise par les médias américains : toutes ces statistiques sont fausses, et témoignent de l'utilisation systématique des pseudo enquêtes d '«experts» par la Nouvelle droite et, de façon plus générale, par toute la presse (échantillons de tailles ridicules, absence d'échantillons témoins, caractère systématique du grossissement des chiffres lors de leurs reprises successives, etc.). L'histoire de l'enquête de Harvard Yale vaut à elle seule d'être rappelée. A la veille de la Saint- Valentin, une journaliste appelle le département de sociologie de Yale afin de glisser quelques «remarques bien senties» à la fin d'une enquête sur les histoires d'amour. Elle obtient un jeune chercheur qui refuse tout d'abord de lui communiquer ses résultats car son étude sur le mariage n'est pas terminée. Poussé dans ses retranchements, le chercheur finit par indiquer que selon ses premiers résultats, les femmes diplômées de l'Université ayant retardé leur mariage du fait de leur carrière risquerait de ne plus jamais pouvoir se marier. Le sujet fait la une de Y Advocate de Stanford, l'agence Associated Press reprend la nouvelle et la diffuse à l'échelle mondiale. Alors que l'enquête n'est toujours pas publiée, ces chiffres sont repris à la une de presque tous les journaux américains, commentés dans les informations télévisées, évoqués dans plusieurs feuilletons de grande audience et dans tous les magazines féminins. Or, S. Faludi démontre que cette enquête s'appuie sur des données démographiques dépassées. Une étude de 1985, à partir de paramètres corrigés, en contredit radicalement les conclusions. Une chercheuse du bureau du recensement réfute elle aussi l'étude de Yale : non seulement son travail ne sera jamais repris par la presse mais il lui vaudra une sanction de l'administration pour «prise de position polémique». Trois ans après, l'étude de Yale paraît, amputée de ses statistiques sur le mariage. Entre temps, l'enquête a été systématiquement utilisée dans la campagne antiféministe afin de dénoncer le carriérisme des femmes diplômées et célibataires. C'est dire que S. Faludi dresse un tableau passionnant du fonctionnement des médias, où la concurrence aboutit à l'uniformisation et à la surenchère dans les thèmes évoqués. Les trajectoires médiatiques des antiféministes sont fulgurantes, experts et 226 Lectures intellectuels se bousculent pour témoigner de leurs découvertes sur les dangers du célibat, bénéficiant de rétributions exorbitantes dès lors qu'ils abondent dans le sens de l'antiféminisme, pendant que des cohortes d'anciennes féministes et de superwomen repenties battent leur coulpe dans les émissions de grande écoute. La rhétorique de la «revanche», dans sa version édulcorée et grand public, se caractérise, quant à elle, par l'absence de preuves ou l'utilisation de chiffres sans le moindre contrôle scientifique, la -propension à ne citer que trois ou quatre témoignages de femmes, de préférence anonymes, pour rendre le propos crédible ; (I1) utilisation de formules aussi vagues que "de plus en plus souvent", "on a le sentiment que" ; (D emploi du futur ou de verbes d'intention ("de plus en plus de mères resteront désormais chez elles pour pouvoir consacrer davantage de temps à leur famille") ; (le) recours à des autorités, chercheurs ou psychologues, qui illustrent leurs discours en citant à leur tour les mensonges des médias» (p. 149). Toutes les «tendances» évoquées dans les médias, pour peu que l'on puisse les mesurer par sondage, apparaissent après, et non avant, les articles de journaux les évoquant. Dès lors, on peut à juste titre parler de construction uploads/Politique/ s-faludi-backlash-la-guerre-froide-contre-les-femmes.pdf
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- Publié le Mar 14, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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