AfrikaFocus, Vol. 13, nr. 1-4, 1997, pp. 31-77. DU ZAÏRE A LA R.D. DU CONGO : L
AfrikaFocus, Vol. 13, nr. 1-4, 1997, pp. 31-77. DU ZAÏRE A LA R.D. DU CONGO : LA VIEILLE TERMITIERE TERRASSEE PAR LE VENT DE LA SAVANE Erik KENNES Collège pour les Pays en Voie de Développement Université d'Anvers Middelheimlaan 1 2020 Antwerpen SUMMARY: FROM ZAIRE TO THER.D. CONGO : THE OLD TERMITE HILL FLATTENED BY THE WIND OF THE SA VANNA This article concentrates mainly on the internal sources of the rapid breakdown of the Zairian state apparatus, deliberately not taking into account regional and international support for the warring parties. The Zairian state has been unable to manage its internal contradictions. This was driven to an extreme in the Kivu region, where the deeply seated crisis of representation was never adequately resolved. The absence of conflict-regulating institutions at the regional level was one enabling element for the rapid expansion of the Kivu conflict into its regional and international ramifications. Another was the absence of any 31 workable political alternative to armed struggle on the national level; neither the opposition, nor the government or the presidency was able to impose itself. In the general context of state decay, part of which was the implosion of the army, newcomers in the mining industry have initiated a take-over of key sectors of the Zairian economy, probably inducing a new mode of governance in the country. KEY-WORDS: Congo, economy, politics, Zaire Introduction Le Zaïre, comme état prétorien, se caractérise par l'absence d'institutions politiques efficaces capables de médiatiser, de raffiner et de modérer l'action politique de groupes sociaux qui s'affrontent donc directement '. 1 La guerre dans l'Est du Zaïre s'est finalement déroulée d'une façon inattendue, aussi bien pour la quasi-totalité des observateurs que pour les acteurs eux-mêmes: un conflit Zaïrois interne, se situant d'abord dans la dynamique des relations centre-périphérie ou Kinshasa-Kivu, s'est rapidement étendu en ses ramifications régionales et a mené, par une action concertée avec les états environnants, à l'écroulement stupéfiant des structures totalement vermoulues de l'état zaïrois. Comme une termitière vide, rongée et abandonnée. Ce qu'on appelait encore à ce moment 'Etat zaïrois' avait été réduit, au fil des années, à l'essentiel même du système mobutiste: un appareil sécuritaire, une armée, des réseaux personnels prédateurs et un registre symbolique. Seulement, le système sécuritaire ne semblait plus fonctionner que dans les grandes villes, l'armée étant depuis des années livrée à elle-même, les réseaux se livrant à une lutte factionnelle de plus en plus auto-destructrice, le registre symbolique étant devenu vide. Ce qui n'était plus que l'ombre de l'appareil étatique avait totalement perdu son emprise sur les 1 KABONGO MALU Emmanuel, Etat prétorien, politiquement arriéré, notre pays ne peut ni régler pacifiquement les conflits politiques ni organiser des élections fiables, in Le Potentiel, 22.04.96, p. 6. 32 événements; la menace de la répression n'était qu'un tigre en papier, et un Sauveur venu de l'Est pouvait ainsi progresser sans problème pour établir un ordre nouveau. La lutte pour la démocratisation, menée pendant des années, avait certainement rendue possible une conscientisation de la population; mais le blocage de la société zaïroise à tous les niveaux depuis 1993 a en même temps préparé les esprits pour un nouveau sauveur armé. Une autre 'préparation du terrain' se faisait en catimini à partir de l'étranger: les changements fondamentaux dans le secteur minier depuis 1995. Les entreprises étrangères qui se sont précipitées sur les richesses minières se positionnaient dans un contexte régional fondamentalement changé, où se dessinent des aires d'influence autour de l'Ouganda, de l'Afrique du Sud, du Nigeria, et où les Etats-Unis veulent promovoir la stabilité et la bonne gouvernance, plus qu'une démocratisation en trompe-l'oeil. Dans ce cadre général, une alliance conjoncturelle s'est forgée entre la majeure partie des pays limitrophes du Zaïre afin de renverser le régime mobutiste totalement affaibli. Reste le fait cependant que la guerre de l'Est trouve son origine immédiate dans le conflit endémique qui a sévi pendant de longues années au Kivu. Une constante à travers l'histoire du Congo et du Zaïre: l'incapacité des élites politiques à trouver un cadre institutionnel approprié pour résoudre les conflits nés de la crise de la représentation politique. A. Le conflit au Kivu L'origine immédiate de la guerre de l'Est est à trouver dans le conflit qui oppose depuis plusieurs décennies la population d'origine rwandaise aux 'autochthones' zaïrois au Kivu 2. Ce conflit, partiellement d'origine coloniale, n'a jamais pu être 2 Nous nous référons principalement ici à l'étude du CENTRE D'ETUDE DE LA REGION DES GRANDS LACS D'AFRIQUE, Conflits au Kivu: antécédents et enjeux, Université d'Anvers, décembre 1996, 70p. et MWAKA BWENGE, Arsène, Phénomène d'ethnicité dans la région du Nord-Kivu, Mémoire de licence, Université de Kinshasa, Département des sciences politiques et administratives, 1995-96, 162 p.; J.C. WILLAME, Banyarwanda et Banyamulenge. Violences ethniques et gestion de l'identitaire au Kivu, Zaire, Années '90, vol. 6, Cahiers Africains, n° 25, 1997, Institut Africain/L'Harmattan, Bruxelles/Paris, 1997, 156p. 33 34 résolu par l'état congolais ou zaïrois: cet état manquait cruellement des institutions réellement représentatives et était incapable à organiser la conclusion d'un compromis politique qui aurait permis sa maîtrise. Du fait de son poids démographique relativement important, la population d'origine rwandaise a toujours pesé dans les positionnements politiques au Kivu: en 1994 (avant le génocide), on pouvait l'estimer entre 24 et 32% de la population. La proportion des Banyamulenge au Sud-Kivu se situe, compte tenue de leur auto-définition 3, dans une fourchette allant de 17.135 à 66.582 unités 4. Cette population est constitutée d'abord de ceux qui habitaient déjà au Congo ou qui s'y sont établis à l'époque où les frontières étaient une notion inconnue; ensuite, de ceux pour lesquels les autorités coloniales belges ont organisé l'immigration entre 1937 et 1957; enfin, des infiltrés, des réfugiés 'clandestins', d'autres immigrants. Si pendant les années trente la proportion des Tutsi était prépondérante parmi eux (72% de Tutsi), cette tendance a délibérément été inversée par le colonisateur, qui nommait en plus des responsables hutus à la tête des 'immigrés' 5. Les structures mêmes de l'état colonial et post-colonial ont bien évidemment dès le début hypothéqué toute tentative de représentation d'une population si hétérogène. Les autorités coloniales ont d'abord essayé de résoudre le problème de l'intégration et de la représentation de la composante Tutsi par la création de la chefferie autonome de Gishari en 1941 (zone de Masisi). Suite au changement pro-Hutu des alliances au Rwanda cependant, cette chefferie a été supprimée en 1957 et incorporée dans la chefferie des Bahunde. La population rwandophone au Sud-Kivu n'a jamais eu droit à une entité administrative autonome après la suppression des petites chefferies par la réforme aclministrative de 1933 6. Par contre, les institutions politiques ou proto-politiques mises en place par les autorités coloniales juste avant l'indépendance ont associé la majorité de la population rwandophone immigrée au processus de la représentation, en leur accordant le droit de vote et le droit à l'éligibilité en 1959 7 et le droit de vote 3 Cf. GROUPE MTLIMA, Lettre de Muller Rahimbika à la Commission des Nations- Unies des droits de l'homme, Uvira, 1996, p. 9. 4 Estimations dans CENTRE D'ETUDE.., op.cit., p. 7. 5 Mg. P. KANYAMACHUMBI, Les populations du Kivu et la loi sur la nationalité, Ed. Select, Bukavu, p. 21 et J.C. WILLAME, op.cit., p. 42. 6 Cf. J.C. WILLAME, op.cit., p. 84. 7 Cf. Ordonnance législative n°25/554 du 6 novembre 1959 sur les élections pour les 35 seulement en 1960. a. La Première République La lutte pour la représentation au Kivu allait, cependant, se jouer d'abord autour de la circonscription de l'espace politique et ensuite sur la situation périphérique du Kivu par rapport à la capitale. Cette espace constituée par la province du Kivu, subitement politisée avec l'arrivée de l'indépendance, a été dominée par un parti majoritaire: le Cerea 8. Ce dernier se morcelait rapidement dans trois ailes autour de ses leaders respectifs (Miruho, Weregemere, Kashamura) ainsi que dans une multitude de sections locales. Le Cerea faisait en même temps fonction comme véhicule pour la montée politique de quelques membres influents de l'élite rwandophone locale (surtout du Rutshuru et du Masisi). Selon J. C. Willame, cette élite rwandophone essayait de 'jouer sur le registre de la maîtrise d'un large espace régional' 9, en essayant de ne pas se laisser marginaliser face à une coalition d'autres tribus. Cette dernière situation allait se produire si on scindait la province du Kivu: la province du Nord-Kivu allait mettre les Banyarwanda en position de faiblesse par rapport à leur grands rivaux politiques et économiques Banande. C'est pourquoi ils exigeaient - si cette scission était devenue vraiment inévitable - le référendum sur l'attachement des territoires de Goma et de Rutshuru à la province du Kivu Central: un vote négatif leur permettrait de garder leur influence à tous les niveaux dans la partie méridionale du Kivu. La question du référendum resta litigieuse pendant la période d'existence des deux provinces du Kivu, et elle faisait éclater un conflit latent entre les Banyarwanda et les autres populations du Nord-Kivu. Les nombreuses exactions et agression contre les Banyarwanda, les essais de les écarter de tous uploads/Politique/du-zaire-a-la-r-d-du-congo.pdf
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- Publié le Nov 22, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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