CAHIER DU « MONDE » DATÉ JEUDI 28 OCTOBRE 2004, N O 18586. NE PEUT ÊTRE VENDU S
CAHIER DU « MONDE » DATÉ JEUDI 28 OCTOBRE 2004, N O 18586. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT « » 1954-2004 : il y a cinquante ans, la guerre FRANCE, ALGÉRIE MÉMOIRES EN MARCHE 0123 Une « guerre subversive » sanglante. Regards rétrospectifs sur le colonialisme en Algérie, le terrorisme, la torture, le FLN, de Gaulle et l’OAS. La rupture Camus-Sénac. p. II à X et XXIV Le photographe Marc Garranger revient sur les lieux où il a servi comme soldat. Il a retrouvé ceux qu’il a connus il y a 44 ans. Un reportage exclusif pour « Le Monde ». p. XI à XIV Comment enseigne-t-on l’histoire à l’école, en France et en Algérie ? Que transmettent les anciens du FLN, du MNA, les pieds-noirs et les harkis ? Que savent leurs enfants ? p. XV à XVIII Femmes d’Algérie aujourd’hui : leur bilan. La « nostalgérie » des rapatriés, les ex-« porteurs de valises », la Casbah et Hassi Messaoud en 2004. La bibliographie essentielle. p. XIX à XXIII et XXIV II/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 L A guerre d’Algérie ne commence pas en 1954, mais dès 1830. La conquête du pays dura près de trente ans. Brutale, sanglante, elle coûta à l’Algérie le tiers de sa popula- tion. Plusieurs insurrections troublè- rent la quiétude des conquérants, jus- qu’à celle de l’Aurès contre la conscription, en 1916-1917, en pleine première guerre mondiale. Du côté français, l’Algérie était « française » sans discussion. Seule grande colo- nie de peuplement française, elle était le fleuron de l’empire, portant une charge émotionnelle particu- lière. Mais jamais les Algériens ne se résignèrent. La colonisation terrien- ne fut permise par la codification d’une propriété privée aux bases intangibles. Elle s’empara de 40 % des terres cultivables, les meilleures. Devant la restriction des terrains de parcours, l’élevage fut gravement touché. Le vieux mode de produc- tion communautaire ne s’en releva pas. En 1868, une famine fit un demi- million de morts. Périodiquement, d’autres disettes séviront jusqu’à la seconde guerre mondiale, des ban- des d’exclus de la terre errant sous le régime français. Celui-ci, par ailleurs, modernise décisivement le pays ; mais dans la brutalité. Les Français transforment la mosquée Ketchaoua en cathédrale d’Alger. Le culte musulman est domestiqué et manipulé : la loi de 1905 sur la laïcité ne sera jamais appli- quée. La domination française, c’est aussi la discrimination et le Code de l’indigénat, et toutes ces « occasions manquées » avant même que d’avoir été tentées. L’arabe, langue de culture depuis plus d’un millénaire, ne sera bientôt plus enseigné que comme… langue étrangère. En terre tenue pour française, la France ne fait pas respecter l’obligation scolai- re : 5 % des enfants sont scolarisés en 1914, 10 % en 1954, moins de 30 % à la rentrée de 1962, année où le pays accède à l’indépendance. Après un siècle, les réalisations sanitaires y éga- laient à peine celles conduites au Maroc par le maréchal Lyautey en moins de deux décennies. Le service militaire obligatoire, lui, avait été imposé en 1912 sans contrepartie citoyenne. Jusqu’en 1946, les Algé- riens n’auront aucune représenta- tion parlementaire, alors que la mino- rité des Français d’Algérie élisait, elle, six députés et trois sénateurs. Mais près de 300 000 Algériens participè- rent aux deux guerres mondiales, et 30 000 y perdirent la vie. Dans les assemblées régionales et locales, seuls quelques strapontins étaient réservés aux « indigènes ». Au lendemain de la première guerre mondiale, l’émir Khaled, capi- taine « indigène » et petit-fils du célè- bre Abd el-Kader, leader de la résis- tance à l’envahisseur français (1832-1847), incarne la revendication anticoloniale, sans remettre en cause la domination française. Paris l’élimi- ne politiquement à l’été 1923. L’entre- deux-guerres va voir se créer la Fédé- ration des élus indigènes, notables « évolués », et l’Association des oulé- mas, se réclamant de l’islam et de l’arabisme. A Paris, des immigrés créent l’Etoile nord-africaine (ENA), à l’indépendantisme radical. Sous la direction de Messali Hadj, elle dé- borde la revendication d’assimilation- égalité exprimée par les notables. Le Parti communiste, dans un premier temps indépendantiste à la bolchevi- que, débouche en 1936 sur un PC algérien (PCA) aux positions proches de celles des notables. En juin 1936, avec la victoire en France du Front populaire, premier gouvernement du type « Union de la gauche » avec soutien communiste, les mouve- ments politiques algériens forment un premier front : le Congrès musul- man. Première désillusion : celui-ci ne résiste pas à l’échec du timide « projet Viollette », visant à donner la citoyenneté à 20 000 Algériens triés sur le volet. Le gouvernement Blum renonce à déposer à la Cham- bre ce projet. Et il interdit l’ENA. Pendant toute la domination fran- çaise, les avancées en direction des Algériens seront systématiquement annihilées par un groupe de pression représentant les grands colons, qui fera des angoisses des « petits Blancs », la masse de la population non indigène, son fonds de commer- ce. C’est cet informel « parti des colons » qui avait déjà eu raison en 1927 du gouverneur éclairé Maurice Viollette. C’est lui qui obtient, en 1948, le remplacement du gouver- neur Yves Chataigneau – surnommé par lui « Ben Mohammed » – par Marcel Naegelen, célèbre organisa- teur d’élections truquées. C’est lui qui, en toutes circonstances, bloque- ra toute initiative d’« assimilation » des « indigènes » à la cité française. Le triomphe du lobby colon fut si constant qu’il ne s’explique que par sa connivence structurelle avec le pouvoir d’État à Paris : pour ce der- nier, bon an mal an, les pieds-noirs représentaient la France en Algérie. Ces blocages feront le lit de l’esprit d’indépendance. En 1937, Messali Hadj fonde le PPA : le Parti du peu- ple algérien. Comme l’ENA, il est à son tour interdit, en 1939. Messali est interné. Même les plus modérés des Algériens se mettent à regarder au-delà de l’« assimilation ». Durant la guerre mondiale, le PPA clandestin engrange les ressentiments, une foi messianique en un aboutissement violent s’aiguise. En 1943, un pharma- cien, Ferhat Abbas, lance un « Mani- feste du peuple algérien », revendi- quant une république algérienne associée à la France. L’année suivan- te se constitue, sans les communis- tes, le mouvement des Amis du Mani- feste et de la liberté (AML). Le PPA est son aiguillon. Messali Hadj est déporté à Brazzaville (avril 1945). Le 8 mai 1945, jour de la Libération de la France, des manifestations sont déclenchées dans le Constantinois. Ses participants réclament la libéra- tion de Messali, acclament l’indépen- dance algérienne. Le soulèvement est accompagné d’un mot d’ordre d’insurrection générale, improvisé par le PPA mais aussitôt rapporté. La répression est sanglante : 4 000 à 7 000 civils tombent sous les balles françaises. Dès lors, le fossé de sang ne s’asséchera plus. Le mouvement indépendantiste radical sera marqué par une obsession : transformer l’es- sai manqué du printemps 1945. Comment réagit Paris ? Ses répon- ses vont être systématiquement conservatrices. L’ordonnance gaul- lienne du 7 mars 1944 édicte un « pro- jet Viollette » élargi, désormais hors de saison. En septembre 1947, un pin- gre Statut de l’Algérie crée deux « col- lèges » de représentation, sorte de citoyenneté à deux vitesses. Mais sur place, même ce Statut est « trop » pour le « parti des colons » : au prin- temps 1948, les élections à l’Assem- blée algérienne sont entachées de tru- quage généralisé, l’autorité du gou- vernement déconsidérée. ’ La période 1945-1954 est une veillée d’armes. Ferhat Abbas recons- titue un mouvement modéré, l’UD- MA (Union démocratique du Mani- feste algérien). En leader plébéien, Messali Hadj, libéré en 1946, fait muer son PPA clandestin en un MTLD (Mouvement pour le triom- phe des libertés démocratiques) légal, comptant sur les urnes pour œuvrer à l’indépendance. En son sein émerge une élite politique qui finit par dominer son comité central. On désignera bientôt ses membres sous le nom de « centralistes ». Benyoussef Ben Khedda est désigné en 1953 secrétaire général. Une OS (organisation spéciale) est créée en catimini, pour préparer le recours aux armes. Entre le CC et l’OS, cen- tralistes et activistes, Messali s’effor- ce de maintenir le cap. En 1949, il s’oppose fermement au « complot berbériste », nommé ainsi à cause de l’origine de ses promoteurs, qui prônaient une nation algérienne plu- raliste et moderne. Il lui substitue autoritairement le primat de l’arabo- islamisme, qui restera dès lors intan- gible. En 1950, l’OS est démantelée par les forces de l’ordre à coups de centaines d’arrestations. Les condamnations pleuvent. En 1952, Messali est placé en résidence sur- veillée à Niort. Un des chefs de l’OS, Ahmed Ben Bella, s’échappe de la prison de Blida et gagne l’Égypte, où il retrouve Hocine Aït Ahmed et Mohammed Khider. Leur heure va bientôt sonner. Au sein du MTLD, l’affrontement, très dur, entre « centralistes » et « messalistes » explose fin 1953. A l’été 1954, la scission est entérinée par deux uploads/Politique/ sup-algerie-041027.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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