La décentralisation administrative en Afrique subsaharienne 2 Les décentralisat

La décentralisation administrative en Afrique subsaharienne 2 Les décentralisations administratives en Afrique : qu’avons- nous appris? Yves Poulin 7 Une décentralisation inachevée au Niger Saïdou Halidou 13 Au Burkina-Faso, la décentralisation s’applique d’abord aux villes Francis Bidan Nignan, Jean-Emmanuel Yirdon Dabire, Baba Sawadogo 18 La décentralisation au Cameroun : un grand chantier démocratique Augustin Claude Tang Essomba, Martin Forbah Tanjong, André Marie Ndongo 22 La décentralisation, projet de la société guinéenne Sékou Kourouma Volume 11 numéro 3 Juin 2004 Le champ d’étude de L ’Observatoire de l’administration publique correspond le plus souvent à la carte des pays dits de l’OCDE. Pour autant, les pays en voie de développement n’en sont nullement exclus. Bien au contraire, leur examen est explicitement souhaité dans l’intitulé des missions de L ’Observatoire. Il est vrai que la coopération administrative francophone est riche d’initiatives et que l’ENAP en est un acteur majeur grâce, entre autres, à l’action de son service de la coopéra- tion internationale. À l’occasion d’un projet mené conjointement par l’ENAP et plusieurs administra- tions publiques africaines, nous consacrons ce Télescope aux politiques de décen- tralisation dans quatre pays de l’Afrique subsaharienne. En Afrique, comme partout ailleurs, il s’agit de rapprocher la décision du terrain et d’intéresser le citoyen à la vie publique, une démarche démocratique dans des pays qui souffrent sur ce plan-là d’un déficit historique. L ’héritage centralisateur français, et parfois anglais, et les soubresauts politiques qui ont suivi l’indépen- dance ont nui à la décentralisation. Aujourd’hui, les systèmes politiques en voie de transformation sont-ils mûrs pour une vraie décentralisation? De toute évidence, le conservatisme des institutions en place et surtout l’extrême pauvreté des moyens sont des obstacles difficiles à sur- monter. Le processus cependant est enclenché. Je remercie Yves Poulin pour son aide et sa contribution, ainsi que les universitai- res et les gestionnaires publics africains pour leurs témoignages. Louis Côté Directeur de L ’Observatoire de l’administration publique TABLE DES MATIÈRES 2 Télescope, vol. 11, n° 3, juin 2004 L a décentralisation est à l’ordre du jour de toutes les réformes du secteur public dans le monde en développement. Il n’est en effet aucun programme de réduction de la pauvreté, pièce maîtresse des pro- grammes des gouvernements des pays en développement, qui ne fasse de la décentralisation un passage obligé. Cet article fait le point sur la situation en Afrique subsaharienne en général et dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest plus particulièrement. Les quatre autres articles de ce numéro de Télescope présentent l’expérience de la décentralisation dans autant de pays francophones d’Afrique. Bonne gouvernance et décentralisation La gouvernance peut être définie comme le système de valeurs, de politiques et d’institutions grâce auquel une société organise la prise de décision collective et les actions reliées aux affaires politiques, éco- nomiques, socioculturelles et envi- ronnementales à travers l’interaction de l’État, de la société civile et du secteur privé. Elle comprend des processus et des institutions comple- xes au sein desquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, discutent leurs différences et exer- cent leurs droits et obligations légales (Work, 2002). L’expression « bonne gouvernance » s’est imposée pour désigner un mode de gouvernance caractérisé par le respect des droits humains, l’ouverture politique, la participation, la tolérance, la capacité administrative, l’efficience et l’établis- sement de partenariats afin d’assurer une prise de décision basée, d’une part, sur de larges consensus au sein de la société et, d’autre part, sur la prise en considération du point de vue des pauvres (Work, 2002). Cette bonne gouvernance appelle donc intuitivement une certaine forme de décentralisation de la prise de décision car la décentralisation est le transfert des responsabilités pour la planification, la gestion, la mobilisation et l’affectation des ressources du gouvernement cen- tral à des paliers de gouvernement inférieurs (sous-nationaux) plus près de la population. Le concept de décentralisation est intimement relié à celui de subsidiarité, qui veut qu’une fonction soit confiée au plus bas niveau de gouvernement capable de les assumer (Work, 2002). Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la gou- vernance décentralisée renvoie à la restructuration de l’autorité de façon à mettre en place un système de co- responsabilité entre les institutions centrales, régionales et locales sur la base du principe de subsidiarité, accroissant ainsi la qualité et l’effi- cacité du système de gouvernance, tout en augmentant l’autorité et les capacités des niveaux sous-nationaux (Work, 2002). De plus en plus, partout dans le monde, on se tourne vers la décen- tralisation pour assurer le dévelop- pement humain sur la base d’une gouvernance démocratique. Cette tendance à la décentralisation s’ins- crit dans le contexte de la mondiali- sation qui touche la sphère politique, la plupart des pays posant des gestes en faveur d’une plus grande démo- cratie. D’après le Department for International Development (DFID) du gouvernement du Royaume-Uni, la proportion des pays dotés d’une cer- taine forme de gouvernance démo- cratique est passée de 28 % en 1974 à 61 % en 1998 (Work, 2002). Selon que l’on se trouve dans le monde anglophone ou dans le monde francophone, le concept de décentralisation n’est toutefois pas compris de la même façon. Pour les Anglo-Saxons, la décentralisation est un processus politique qui consiste à transférer du pouvoir et des ressour- ces du gouvernement central à des organismes locaux ou à des organis- mes privés. Les acteurs sont donc les institutions locales, les communautés, les organisations non gouvernemen- tales (ONG), les coopératives, les associations et les entreprises privées. Dans le monde francophone, la décentralisation fait plutôt référence à la reconnaissance par le gouver- nement central de l’existence de Les décentralisations en Afrique qu’avons-nous appris? Par Yves Poulin Yves Poulin est conseiller en administration publique et directeur du Service de la coopération internationale à l’École nationale d’administration publique du Québec yves_poulin@enap.ca Parler de décentralisation à l’africaine, c’est mettre en perspective les réformes administratives inspirées des idées de la gouvernance moderne que prônent les gouvernements et les pratiques coutumières des autorités séculaires. Le télesco- page de ces deux pouvoirs a interdit, pour l’instant, dans la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, l’émergence d’une vraie gestion administrative locale. Mais la pauvreté est telle que la décentralisation apparaît aujourd’hui à tous l’ultime moyen d’en affronter efficacement les désastreuses réalités. Télescope, vol. 11, n° 3, juin 2004 3 gouvernements locaux autonomes ayant des compétences spécifiques et gérés par des instances autonomes. Dans ce contexte, la décentralisation constitue donc une réorganisation de l’État et elle ne concerne que des acteurs du secteur public (Oue- draogo, 2003). On peut donc penser que la décentralisation est plus sus- ceptible de faire émerger des modes de gouvernance plus démocratiques lorsqu’elle s’effectue sur la base de l’acception anglo-saxonne. En Afrique subsaharienne, les thèmes de la décentralisation et de la gou- vernance locale ont émergé durant les années quatre-vingt à cause des conditionnalités imposées par les bailleurs de fonds de l’aide inter- nationale et des pressions exercées par les populations en faveur de la démocratisation (Ouedraogo, 2003). Les réformes décentralisatrices ne sont donc par issues de projets de réformes conçus par les pouvoirs centraux en vue d’une amélioration de la gouvernance. Pourquoi la décentralisation? Selon Litvack et Seddon (2000), la plupart des opérations de décentra- lisation des années quatre-vingt-dix ont été motivées par des raisons poli- tiques. Sur le continent africain, la propagation du multipartisme aurait créé une demande pour une plus grande participation du niveau local dans la prise de décision. Dans les cas extrêmes, la décentralisation aurait constitué une tentative désespérée de garder le pays uni, par exemple au Mozambique et en Ouganda. En Amérique latine, la décentralisation aurait été une composante essentielle de la démocratisation. Les anciens pays socialistes ont aussi connu la décentralisation alors que l’appareil central s’écroulait. Plusieurs raisons sont invoquées pour justifier les réformes décen- tralisatrices en Afrique subsaharien- ne (Adamolekun, 1999) : − La demande de participation de la population appelle un trans- fert des pouvoirs en faveur des communautés au niveau régio- nal et local. On estime que les gouvernements sous-nationaux sont moins distants des popula- tions et plus imputables de leurs actions. − L’échec des gouvernements cen- traux en matière de développe- ment socioéconomique. − On présume que les citoyens contribueront plus facilement au financement des activités élabo- rées et mises en œuvre au niveau local. − La décentralisation instaure la compétition entre les gouverne- ments locaux, donnant ainsi le choix aux citoyens de leur milieu de vie. − La décentralisation permet l’ex- périmentation de mesures dans les sites pilotes. L’argument de la compétition entre les gouvernements locaux quant au choix de milieu de vie que font les citoyens apparaît toutefois très théorique dans les sociétés tradi- tionnelles. Litvack et Seddon (2000) ajoutent des arguments à caractère économique : − Les décisions de dépenses publiques prises à un niveau de gouvernement plus proche de la population auraient plus de chan- ces de refléter la demande de services publics que celles prises par le gouvernement central. − La décentralisation accroîtrait la compétition entre les gouverne- ments locaux et encouragerait de ce fait l’innovation. − Les citoyens uploads/Politique/ telv-11-n-3.pdf

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