1 Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département de philosop

1 Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département de philosophie Marx et le moment machiavélien Présenté par Cassandre Souvarine Sous la promotion de Monsieur Antoine Janvier Lecteur : Monsieur Edouard Delruelle Année académique 2017-2018 2 Table des matières 2 Introduction 4 Partie I: Le moment machiavélien 5 1. Aux origines du concept 5 2. Le moment machiavélien dans l’utopie de l’Etat rationnel 7 Partie II: La crise de 1843 : quel moment machiavélien ? 11 1. La crise de 1843 11 2. Lefort lecteur de Machiavel : aux sources d’Abensour 12 3. « Vivre » et « bien-vivre » : une différence essentielle 15 4. De la « vraie démocratie » 17 Partie III: Le moment machiavélien après 1843 : la Commune de Paris 24 Partie IV : La question libertaire de la « vraie démocratie » 27 Conclusion 29 Bibliographie 32 3 « Allons ! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples. L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » Ainsi parlait Zarathoustra – Nietzsche 4 Introduction : Dans La démocratie contre l’État paru en 1997, Abensour part d’un constat : après le temps du mépris à l’encontre de Marx s’esquisse une pluralité de retours à son œuvre. S’il existe différentes manières d’envisager ceux-ci, Abensour, lui, décide de saisir Marx dans sa singularité au moyen d’une réactivation de sa pensée et de ses concepts. L’originalité d’Abensour est de nous proposer une lecture de Marx d’après le prisme Pocock/Lefort. La démocratie contre l’État s’intéresse en particulier à un ouvrage de Marx : La critique du droit politique hégélien qui est l’expression d’une crise de la conception de la politique à un moment donné de la pensée de Marx. Le choix de ce texte n’est pas anodin : d’une part, il est inconnu à l’époque de la constitution du marxisme1. Dès lors, c’est une vision neuve des pensées de Marx sur la politique qui nous est présentée. D’autre part, ce texte permet de saisir le processus de pensée de Marx dans l’élaboration de deux modèles de la forme politique. Du passage de l’un à l’autre, Abensour entame un processus de lecture de la pensée de Marx à la lumière de Machiavel. Dans le cadre de ce travail, nous proposons une lecture suivie de La démocratie contre l’État. Nous analyserons les concepts majeurs de l’ouvrage, c’est-à-dire le « moment machiavélien » et la « vraie démocratie ». Notre lecture s’accompagne d’un double geste : un retour à la pensée de Machiavel afin d’interroger avec Abensour l’héritage machiavélien de la pensée de Marx et un dépassement du cadre de l’ouvrage d’Abensour pour interroger, à mon tour, l’implicite qui le parcourt. Machiavel est bien la clef de l’ouvrage. Nous montrerons dès lors comment la figure de Machiavel tisse des liens plus larges avec des auteurs postérieurs et des questions de la philosophie contemporaine. Elle sera également le moteur de l’axe de lecture abensourien de la pensée de la politique de Marx. Notre hypothèse de lecture est que derrière la figure de Machiavel c’est Claude Lefort qui est visé par Abensour. 1 Le texte est publié en 1927. 5 Partie I : Le moment machiavélien. 1.1) Aux origines du concept : Le concept de « moment machiavélien » a été forgé par John G.A. Pocock dans son ouvrage Le moment machiavélien. La pensée politique florentine et la tradition républicaine atlantique2. À contre-courant de la conception « juridico-libérale », Pocock met en avant l’existence d’une autre tradition de philosophie politique chez les Modernes. Cette autre conception est celle d’un paradigme civique, humaniste et républicain – la conception « civico-républicaine » - qui prend naissance à Florence. À la différence de la tradition libérale, il ne s’agit plus de mettre l’accent sur la défense du droit mais sur « la mise en œuvre de cette policité première, sous la forme d’une participation active en tant que citoyen à la chose publique. »3 Pocock identifie trois critères ou trois éléments constitutifs du moment machiavélien. Le premier se trouve dans l’opposition entre la vie active des Anciens et la vie contemplative du Moyen-âge. Plus précisément, il s’agit de l’opposition entre l’humain en tant qu’animal contemplatif, l’humain de la foi chrétienne, et le bios politikos c’est-à-dire l’humain en tant qu’animal politique, en tant qu’acteur du domaine des affaires humaines. L’humain de la vita activa est donc l’antithèse de l’humain de la vita contemplativa. Le second élément, c’est que cette vie politique ne peut s’inscrire que dans la forme politique de la République. C’est la seule à même de permettre l’épanouissement du vivere civile en sortant de l’histoire éternelle de la chrétienté au profit d’une histoire séculière, faite par les 2 POCOCK J.G.A., Le moment machiavélien. La pensée politique florentine et la tradition républicaine atlantique, Paris, PUF, 1997. 3 ABENSOUR M., La démocratie contre l’État, Paris, PUF, 1997, p. 7. 6 humains et pour les humains. Elle doit être replacée dans le conflit qui oppose la monarchie et la république. Ce conflit peut être illustré par l’opposition entre Dante et Machiavel. Dante est l’auteur de De Monarchia, ouvrage en trois parties défendant la vision d’une monarchie universelle dont l’autorité politique vient directement de Dieu. « Mais de ces trois livres, le premier est destiné à démontrer « la nécessité de la monarchie » ; le deuxième, comment le peuple romain s’est de droit attribué l’office de la monarchie ou l’empire » ; le troisième, « comment l’autorité du monarque ou de l’empire dépend immédiatement de Dieu ».4 À l’inverse, Machiavel se place dans la tradition républicaine ouverte par les humanistes civiques. Cette forme république entraîne certaines déterminations : elle met l’accent sur la « vertu » politique de la participation des citoyens mais aussi sur la recherche du bien général. « (…) Ce n’est pas le bien individuel, mais le bien général qui fait la grandeur des cités. Le bien général n’est certainement observé que dans les républiques. »5 Le troisième élément est la dimension temporelle. « Outre la mise à distance de la tradition platonicienne et du privilège accordé à la vita contemplativa cette redécouverte de la politique implique une révolution mentale par rapport à l’homme médiéval : tandis que ce dernier avait recours à la raison pour lui révéler, grâce à la contemplation, les hiérarchies éternelles d’un ordre immuable, au sein duquel lui était assignée une place fixe, renvoyant le monde de la contingence et de la particularité historique du côté de l’irrationnel dont il convenait de se retirer, le partisan de l’humanisme civique, en même temps qu’il opérait un déplacement de la vie contemplative à la vie active, découvrait une nouvelle figure de la raison susceptible par l’action de créer un ordre humain, politique donnant une forme au chaos de la contingence et de la particularité. »6 Pour Pocock, les conceptions temporelles sont déterminantes pour saisir les conceptions politiques. La conception chrétienne du temps est une conception de l’Éternité, c’est-à-dire un temps de l’extériorité ou de l’hétéronomie – le temps normé par l’éternité de Dieu. Autrement dit, elle ne peut pas saisir l’événement ni penser la finitude humaine qui sont propres à une temporalité politique spécifique. La République, en refusant ce temps éternel, accepte la finitude temporelle et s’ouvre donc à l’événement. En développant une temporalité propre, un temps non extérieur, séculier 4 BENOIST C., « L’État italien et la science politique avant Machiavel », in Revue des Deux Mondes, t.39 (1907), p.181. 5 MACHIAVEL, Discours sur la première décade de Tite-Live, Tome II, C. Bec, Paris, Robert Laffont, 1996, p.297. 6 ABENSOUR M, 1997, p.7. 7 pourrait-on dire, on dessine la possibilité d’une autonomie et donc la création d’une communauté politique. En raison de sa circonscription dans le temps, elle se « soustrait à l’éternité, exposée à la crise, transitoire ; de surcroît, non universelle, elle se manifeste en tant que communauté historique spécifique. »7 Il ne s’agit plus d’éluder le temps en l’extériorisant mais bien de laisser l’espace à un temps circonscrit politiquement, « d’ouvrir l’accès à une temporalité pratique. »8 Par ces trois éléments se définit donc une conception différente de celle proposée par la conception juridico-libérale. Noberto Bobbio, dans Libéralisme et démocratie, avance qu’au sein du libéralisme politique « l’État dispose de pouvoirs et de fonctions limités »9. Il utilise également les mots de Benjamin Constant pour définir la liberté chez les Modernes dans la tradition libérale : « Le but des Modernes est la sécurité dans les jouissances privées et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. »10 Pocock permet donc de faire la distinction entre d’une part, la conception civico-républicaine basée sur les libertés publiques et la participation politique et, de l’autre, la conception juridico- libérale basée sur la liberté individuelle et une réduction du politique au juridique.11 Abensour questionne les réflexions politiques du jeune Marx en mettant en évidence le passage d’une conception de la uploads/Politique/ tfc-final.pdf

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