Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Autorité et modernité » Eirick Prairat Phronesis, vol. 2, n°2-3, 2013, p. 97-104. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1018077ar DOI: 10.7202/1018077ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 9 September 2016 08:19 | 97 Autorité et modernité Eirick Prairat Laboratoire Interuniversitaire de Sciences de l’Éducation et de la Communication (LISEC, EA 2310) Université de Lorraine, Institut universitaire de France (IUF) 34 cours Léopold 54052 Nancy cedex – France eirick.prairat@wanadoo.fr Mots-clés : Autorité éducative, Autorisation, Démocratie, Influence, Institution, Perte de confiance. Résumé : Il y a moins une crise qu’une érosion de l’autorité éducative. Les deux premières sections de ce texte s’attachent à préciser l’idée d’auto- rité éducative et à réfuter les thèses critiques, d’inspiration psychologique ou pédagogique, qui entendent purifier l’acte éducatif de toute forme d’autorité. Ces approches, qui assimilent souvent l’autorité à une forme de coercition, minorent l’enjeu anthropologique qui est au cœur du procès éducatif. Si l’autorité est nécessaire, c’est tout simplement parce que l’on ne s’autorise jamais seul à être contemporain du monde. Dans la troisième et dernière section, nous présentons trois lectures pour comprendre ce phénomène d’érosion. Title : Authority and modernity Key Words : Educational authority, Authorisatioin, Democraty, Erosion, Influence, Institution, Loss of confidence. Abstract : The erosion of educational authority is less than a crisis. The first two sections of this text involve the clarification of the concept of educational authority. It’s also an opportunity to refute critical theses derived from psychological or pedagogical writings that aim to purify educational acts all forms of authority. These approaches, which often characterise authority as a form of coercion, weaken the anthropological perspective, which is at the heart of the educational process. If authority is necessary, this is quite simply because this never authorises present day behaviour. In the third and final section, we present three lectures in order to understand this phenomenon of erosion. Volume 2, numéro 2-3 | avril-juillet 2013 | 98 Introduction Il y a moins une crise, à proprement parler, qu’une érosion de l’autorité éducative. Les deux premières sections de ce texte s’attachent à préci- ser l’idée d’autorité éducative. Qu’est-ce qui spécifie ce type de relation ? Qu’est-ce qui distingue l’autorité de la manipulation, de la contrainte ? Ces sections sont aussi l’occasion de réfuter les thèses critiques, d’inspiration psychologique ou pédagogique, qui entendent purifier l’acte éducatif de toute forme d’autorité. Ces approches, qui assimilent souvent l’autorité à une forme de coercition ou à un simple rapport de domination, minorent l’enjeu anthropologique qui est au cœur du procès éducatif. Si l’autorité est nécessaire, c’est tout simplement parce que l’on ne s’autorise jamais seul à être contemporain du monde. Dans la troisième et dernière section, nous risquons trois lectures (sociologique, philosophique et anthropologique) pour comprendre ce phénomène d’érosion. La lecture sociologique met en avant l’affaiblissement de la légitimité de l’institution scolaire. Or, si celle-ci vient à faiblir, c’est le crédit de ses représentants, de ceux-là mêmes qui parlent en son nom qui tend à s’estomper. L’érosion de l’autorité est d’abord affaire d’institution. La lecture philosophique montre comment le projet de la modernité, adossé aux valeurs de liberté et d’égalité, vient télescoper les anciennes formes d’autorité qui jusque-là structuraient les espaces traditionnels d’éducation. Enfin, la lecture anthropologique montre le privilège accordé par nos sociétés au présent et à l’immédiat et comment ce primat vient saper des rapports d’autorité nourris par le temps long de la continuité et de la durée. 1. Clarifications 1. 1 La contrainte et l’influence La distinction que font les Latins entre potestas et auctoritas permet une première précision. La potestas est le pouvoir fondé sur la fonction, le grade ou le statut. C’est le pouvoir légal, accordé par les instances supérieures de la société (militaire, judiciaire, scolaire…) à certains acteurs pour leur permettre de décider et de commander dans un domaine donné, en recourant à la contrainte le cas échéant. Le professeur est inves- ti d’une potestas, c’est-à-dire d’un pouvoir légalement reconnu pour exercer sa tâche d’enseignement ; il a notamment le droit de sanctionner un élève si le besoin s’en fait sentir. L’auctoritas n’est pas l’objet d’une attribution officielle. On n’investit pas quelqu’un d’une auctoritas, car elle est de l’ordre de l’influence, de l’ascendant, du crédit. Elle n’est pas fondée sur la puissance légale de contraindre, mais sur l’attestation d’une forme de supériorité. L’autorité, au sens d’auctoritas, est l’art d’obtenir l’adhésion sans le recours à la menace ou à la contrainte. Notons que ces deux formes d’autorité — potestas et auctoritas — ne s’impliquent pas nécessairement. On peut avoir de l’influence sans avoir un statut ou une fonction légalement reconnue. À l’inverse, on peut être investi d’une autorité légale et être dépourvu de toute forme d’auc- toritas. Cela étant, elles ne s’excluent pas nécessairement et on peut très bien imaginer qu’avoir l’autorité et faire autorité peuvent en certaines circonstances, et fort heureusement, se conjuguer. Si l’autorité, au sens d’auctoritas, permet d’obtenir le consentement sans le recours à la force, est-ce à dire qu’elle l’obtient par les moyens de la raison ? Si l’autorité ne contraint pas, est-ce à dire qu’elle persuade ? L’autorité, note Hannah Arendt, « est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. …). Face à l’ordre égalitaire de la persuasion se tient l’ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique. S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments… » (Arendt, 1995, p.123). Ni contrainte, ni persuasion, l’autorité est de l’ordre d’influence. Dès lors, une nouvelle question se pose : qu’est-ce qui distingue l’influence éducative — l’autorité — de l’influence manipulatrice ? 1. 2 Caractéristiques Il n’y a pas d’éducation sans initiatives, sans propositions ou suggestions. Refuser de proposer et donc d’influencer, c’est tout simplement refuser d’éduquer. Cela signifie qu’il n’y a d’accès à l’humanité que dans un mouvement en réponse et non dans un élan premier. Mais pour que l’éducation ne soit pas simple conditionnement, elle requiert la possibilité d’une compréhension, au moins finale, par l’enfant devenu | 99 adolescent ou jeune adulte, de ce qu’il a acquis et des raisons pour lesquelles nous l’avons enjoint à acquérir cela et non autre chose (Renaut, 2004, p. 36). Relation d’autorisation, l’autorité participe à ce travail de compréhension, d’où quatre propriétés qui la caractérisent comme relation spécifique. Tout d’abord, c’est une influence libératrice. Rousseau, dans son Second discours, note à propos de l’autorité paternelle qu’elle « regarde plus à l’avantage de celui qui obéit qu’à l’utilité de celui qui commande » (Rousseau, 1983, p. 159). Cela est vrai de toute autorité éducative en géné- ral. Le mot « autorité » vient du latin auctor (l’auteur) qui est lui-même dérivé du verbe augere (augmenter). L’autorité fait croître, grandir. Comme l’écrit justement Gérard Guillot, elle a « pour fonction première d’autoriser : autoriser à exister, à grandir, à apprendre, à se tromper, à être reconnu et respecté dans sa dignité humaine, à créer, à aimer… » (Guillot, 2006, p. 15). L’autorité est un concept méta-éducatif car elle traverse et structure l’ensemble des expériences relatives au grandir. Nous pourrions dire à la limite qu’éduquer et autoriser sont les deux faces d’une même réalité, d’un même processus. Éduquer, c’est autoriser ; grandir c’est se sentir graduellement et progressivement autorisé. En ce sens, l’autorité n’est pas contraire à l’idéal d’autonomie, elle en est la condition de possibilité. Seconde caractéristique, l’autorité est une action indirecte, elle ne s’épuise jamais dans sa transitivité. Elle n’est pas « une action sur », mais une activité qui vise à susciter, en l’autre, une activité. Elle n’est pas une volonté qui s’oppose et s’impose à une autre volonté pour la soumettre, mais une volonté qui s’allie à une volonté naissante pour l’aider à vouloir. On peut se reporter avec fruit sur ce point aux belles analyses de Vincent Descombes dans le complément de sujet et plus particulièrement à ses commentaires sur la notion de « diathèse causative », car la question de l’éducation et de l’enseignement est fondamentalement une question qui engage ce qu’il appelle « le partage de l’agir » (Des- combes, 2004, chapitre X). L’autorité est aussi une influence temporaire, elle a un terme, telle est sa troisième caractéristique. On n’est le pro- fesseur d’autrui qu’un temps, nul n’a vocation à être indéfiniment le professeur d’autrui. On est certes le père ou la mère de sa fille ou de son fils ad vitam aeternam, uploads/Politique/article-autorite-et-modernite-eirick-prairat.pdf

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