Burundi : Recrudescence des violences à l’approche du référendum constitutionne

Burundi : Recrudescence des violences à l’approche du référendum constitutionnel Février 2018 ©GRIFF TAPPER / AFP 1 SOMMAIRE INTRODUCTION I. SITUATION ET PROCESSUS POLITIQUES A. Conserver le pouvoir à tout prix 1. Un référendum à marche forcée 2. Enregistrement forcé, intimidation et violences liées à l’organisation du référendum Inscriptions forcées sur les listes électorales « Celui qui osera s’opposer au projet de révision de la Constitution en subira les conséquences » Arrestations de ceux perçus comme réfractaires au référendum 3. Durcissement de la propagande violente et des stratégies de divisions ethniques Nouvelles dynamiques ethniques au sein du parti au pouvoir Recensement ethnique dans le secteur public et les ONG L’Accord d’Arusha en péril : Vers une remise en question des quotas ethniques ? B. L’échec du dialogue inter-burundais C. Poursuite de la non-coopération 1. Perpétuer l’impunité et empêcher la documentation des violations 2. Poursuite du narratif négationniste II. RECRUDESCENCE DES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS A. Lourd bilan pour l’année 2017 B. Augmentation des violations liées au référendum C. Nouvelles attaques et entraves visant la société civile Répression des défenseurs des droits humains Restrictions supplémentaires à l’encontre des ONG internationales D. Contrôler la participation du Burundi aux opérations de maintien de la paix III. RECOMMANDATIONS 2 INTRODUCTION Le Burundi est plongé depuis bientôt trois ans dans une grave crise qui a profondément déstabilisé le pays. Cette crise est multidimensionnelle : à la fois politique, sécuritaire, humanitaire, économique et sociale. Elle a été initiée par la volonté du président Pierre Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat, considéré par beaucoup de burundais comme contraire à la Constitution. Afin de se maintenir au pouvoir, le président et ses partisans, ont recouru à la violence et étouffé la contestation populaire dans le sang. Depuis avril 2015, quand Pierre Nkurunziza a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, de graves violations des droits humains sont commises au Burundi, y compris des crimes contre l’humanité, et ont fait plusieurs milliers de victimes civiles. La majorité de l’opposition politique et la société civile indépendantes a été contrainte de fuir le pays et les défenseurs des droits humains et journalistes de cesser leurs activités sur le terrain ou d’opérer dans la clandestinité. Toute personne opposée au pouvoir de Pierre Nkurunziza, ou supposée l’être, est susceptible de subir des représailles voire d’être éliminée. La FIDH et son organisation membre au Burundi, la Ligue ITEKA, continuent néanmoins de documenter des crimes commis à la fois par le régime et des hommes armés supposés appartenir à des groupes d’opposition. Au cours de l’année 2017, la Ligue ITEKA a documenté 456 meurtres ; 89 disparitions forcées ; 283 victimes d'actes de torture ; 77 victimes de violences sexuelles et basées sur le genre ; et 2 338 arrestations souvent suivies de détentions en dehors de toute procédure légale. Il s’agit d’une estimation basse, de très nombreux abus et crimes échappant aux efforts de documentation. Ces chiffres viennent en partie s’ajouter au bilan des deux années précédentes. En juin 2017, nos organisations recensaient depuis avril 2015 plus de 1 200 personnes assassinées, entre 400 et 900 victimes de disparitions forcées, plusieurs centaines voire des milliers d’individus torturés, et plus de 10 000 arbitrairement détenus1. Ces violations se poursuivent et sont commises en majorité par les forces de sécurité burundaises (police, Service national de renseignement, armée), et la milice Imbonerakure (ligue de jeunes du parti au pouvoir). Leurs responsables sont toujours impunis, la justice burundaise demeurant en grande partie sous la houlette du régime. L’absence de volonté des autorités d’enquêter et de poursuivre les responsables de crimes graves a poussé la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) à ouvrir, fin 2017, une enquête sur les crimes de sa compétence commis au Burundi, ou par des ressortissants burundais en dehors du Burundi, entre le 26 avril 2015 et le 26 octobre 20172. Le troisième mandat du président Nkurunziza arrivera à son terme en 2020, année au cours de laquelle des élections devraient être organisées. Cependant, les autorités ont initié un processus de référendum sur la Constitution qui, s’il aboutit, permettra l’adoption d’un texte autorisant Pierre Nkurunziza à briguer au moins deux nouveaux mandats présidentiels et éventuellement à se maintenir au pouvoir quatorze années supplémentaires. L’opposition politique et la société civile indépendantes sont opposées à ce projet. Alors qu’approche ce référendum constitutionnel qui devrait se tenir en mai 2018, les violences s’accroissent. Aux abus et crimes quotidiens du régime s’ajoutent depuis la fin de l’année 2017 des actes de violence spécifiquement liés à l’organisation du scrutin référendaire et à l’imminence des élections, ce que décrit la présente note. Dans ce cadre, la propagande et les stratégies de division ethnique des autorités se sont à nouveau durcies. Les autorités mènent en effet une campagne de terreur qui visent à contraindre la population de s’inscrire sur les listes électorales et de voter en faveur de la révision constitutionnelle. Des dizaines de personnes perçues comme opposées au référendum ont été arbitrairement arrêtées. Des partisans du régime, notamment de hauts responsables du parti au pouvoir, du gouvernement et de l’administration, emploient des menaces violentes – parfois des menaces de mort – pour intimider la population et l’inciter à voter « oui ». Parallèlement, les autorités recourent de nouvelles stratégies de division ethnique notamment en créant des « associations de Hutus » (voir ci- dessous) utilisées comme des structures de rassemblement des Hutus du parti et des canaux de propagation de l’idéologie divisionniste du régime. Un recensement ethnique de la population est également en cours, que le 1 FIDH, Ligue ITEKA, Le Burundi au bord du gouffre : retour sur deux années de terreur, juin 2017, https://www.fidh.org/IMG/pdf/burundi_rapportconjoint_juin2017_fr_final_vweb.pdf 2 Communiqué de presse, « Les juges de la CPI autorisent l’ouverture d’une enquête sur la situation au Burundi », 9/11/2017, https://www.icc-cpi.int//Pages/item.aspx?name=pr1342&ln=fr ; FIDH ITEKA Burundi « la CPI prend une décision courageuse face à un régime en pleine dérive répressive », 9/11/2017, https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/la-cpi-prend-une- decision-courageuse-face-a-un-regime-en-pleine. 3 pouvoir cherche à imposer aux organisations non gouvernementales (ONG), notamment internationales. Dans le même temps, la société civile et particulièrement les défenseurs des droits humains, continuent de faire l’objet d’attaques et d’entraves et des restrictions supplémentaires ont été prises pour réduire le champ d’action des ONG internationales. Ces dynamiques s’inscrivent dans un contexte de refus persistant des autorités burundaises de mener des pourparlers avec l’opposition et de coopérer avec les institutions internationales, notamment les Nations unies. Ces manœuvres sont autant de tentatives du régime pour asseoir son emprise sur le pouvoir, alors qu’il semble se sentir menacé par l’approche des élections de 2020. Une victoire au référendum permettrait de prolonger le règne de Pierre Nkurunziza et de donner l’apparence de sa légitimité. Mais le processus en cours est très loin d’être légitime, comme le montre le contenu de cette note. Alors que le Conseil de sécurité se réunira sur le Burundi le 26 février 2018 et face à cette dégradation de la situation et au risque qu’une escalade des violences accompagne la tenue du référendum, nos organisations l’exhortent une nouvelle fois à prendre des actions fortes en faveur de la résolution de la crise burundaise. Cette note est le fruit de l’analyse des informations collectées par la Ligue ITEKA à travers son vaste réseau d’observateurs déployés sur l’ensemble du territoire burundais ainsi que de recherches complémentaires menées par la FIDH et son organisation membre. Il repose également sur l’examen de documents (photographies, vidéos, copies de documents institutionnels, etc.) transmis à nos organisations par des informateurs dont l’anonymat est préservé pour des raisons de sécurité et de documents pertinents, notamment des rapports d’ONG burundaises, internationales et des Nations unies. 4 I. SITUATION ET PROCESSUS POLITIQUES A. CONSERVER LE POUVOIR À TOUT PRIX 1. Un référendum à marche forcée Alors que le Burundi est traversé par une grave crise depuis avril 2015, les autorités burundaises poursuivent la mise en œuvre de leur projet dictatorial de conservation du pouvoir, au mépris du respect des droits humains et des textes et principes fondateurs du Burundi de l’après guerre civile (1993 – 2005), notamment de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation et de la Constitution burundaise de 20053. « En accord avec les autorités burundaises, nous avons décidé d’organiser le référendum sur la révision de la Constitution en mai 2018 », a déclaré Pierre Claver Ndayicariye, président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le 8 décembre 2017 sur les ondes de la radio télévisée nationale burundaise (RTNB) 4. La date précise du référendum devrait être fixée par décret présidentiel. Cette annonce a fait suite à l’adoption le 24 octobre 2017 par le Conseil des ministres burundais d’un projet attendu de révision de la Constitution. L’un des enjeux de cette révision est la question de la limitation des mandats présidentiels, le président Pierre Nkurunziza ne pouvant pas légalement se présenter pour un nouveau mandat lors de l’élection prévue en 20205. Le nouveau projet de Constitution pourrait ainsi permettre de faire sauter la limite de deux quinquennats successifs et instituer un septennat, renouvelable une fois. Rien ne semble empêcher Pierre Nkurunziza uploads/Politique/burundi-la-marche-forcee-vers-le-referendum-nourrit-violences-et-repression 1 .pdf

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